(Rome, 07 novembre 2025). Ahmad Al-Charaa, ancien djihadiste devenu président par intérim, marque un tournant inédit pour la Syrie. Invité à la Maison-Blanche par Donald Trump, il bénéficie désormais de la levée de son statut de terroriste par l’ONU. Mais derrière ce geste symbolique se jouent des enjeux complexes : levée des sanctions, coopération avec la coalition internationale, négociations délicates avec les Kurdes et réorganisation de l’armée syrienne. La nouvelle Syrie qu’il incarne reste à définir, entre centralisme historique et aspirations locales à l’autonomie
L’ancien djihadiste devenu homme d’État sera reçu à la Maison Blanche lundi, invité par Donald Trump. Un événement capital pour la Syrie, mais aussi pour la Maison Blanche, qui accueille, comme on le sait, un ancien disciple de Ben Laden. Or, depuis hier, Ahmad Al-Charaa, avec 14 voix en faveur, et l’abstention de la Chine, ne figure plus sur la liste des terroristes établie par l’ONU. Dans les colonnes du portail «Formiche.net», Riccardo Cristiano s’interroge sur le nouveau cours de la Syrie, encore à écrire.
Ahmad Al-Charaa, président par intérim de la nouvelle Syrie, et son vice-président Anas Khattab ne sont plus inscrits sur la liste des terroristes établie par l’ONU. La résolution qui l’a permis a été présentée par les États-Unis et a recueilli 14 voix pour et l’abstention de la Chine. Afin d’éviter que Pékin n’exerce son droit de veto, Washington a renoncé à l’idée de retirer également de la liste le mouvement d’Al-Charaa et de Khattab, Hayat Tahrir al-Cham (HTC), qui reste donc classé comme groupe terroriste. Pékin sait que parmi les djihadistes étrangers qui suivent al-Charaa figurent aussi des Ouïghours, originaires de ses propres territoires, qu’il combat depuis des années. Le problème est bien connu, mais les Américains espèrent avoir déclenché un processus qui conduira al-Charaa à se désolidariser de plusieurs groupes qui le soutiennent actuellement.
Ainsi, l’ancien djihadiste devenu homme d’État sera reçu à la Maison-Blanche lundi, à l’invitation de Donald Trump. Il s’agit d’un événement historique pour la Syrie, mais aussi pour la Maison-Blanche, qui accueille, comme chacun sait, un ancien disciple de Ben Laden.
De nombreux sujets seront abordés ce jour-là. Al-Charaa attend la levée complète des sanctions économiques contre la Syrie promise par Trump, qui doit désormais recevoir l’approbation finale du Congrès.
Donald Trump, quant à lui, devrait obtenir une base aérienne américaine près de Damas pour superviser la stabilisation de la Syrie, un atout régional de premier ordre. Surtout, il compte annoncer l’adhésion de Damas à la coalition internationale contre Daech. À ce moment-là, le processus de transformation d’al-Charaa atteindra son apogée. La coopération entre la Syrie et la coalition est déjà en cours et a permis d’importantes arrestations. Mais pour comprendre la délicatesse de cette relation, il faut préciser qu’elle n’est pas gérée par le ministère de la Défense, le plus compétent, mais par le ministère de l’Intérieur, dirigé par Khattab, une figure très fidèle et respectée. Cela expliquerait pourquoi l’entrée de Damas dans la coalition devra être gérée progressivement et avec beaucoup d’attention. Al-Charaa et Khattab, selon des sources syriennes, devront «nettoyer» leur armée des poches djihadistes connues non seulement de Pékin, mais surtout, ils devront aussi parvenir à un accord avec les Kurdes, qui mènent des opérations contre Daech aux côtés des Américains depuis des années. Ils jouissent d’une large autonomie dans le nord-est de la Syrie et ne parviennent pas à un accord opérationnel avec Damas sur la manière d’unifier les armées et les territoires. Ce sujet est abordé depuis mars, mais l’accord de principe ne s’est pas traduit en actions concrètes.
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Les Kurdes refusent de rejoindre l’armée syrienne au compte-gouttes ; ils souhaitent le faire par bataillons, avec des hauts grades locaux et centraux, et revendiquent également une autonomie linguistique et administrative dans les territoires qu’ils occupent. C’est leur conception de l’État qui les divise : celle d’al-Charaa est hyper-centralisée, tandis que les Kurdes aspirent à un État fédéral.
Ce fossé a également été souligné ces dernières heures par des sources kurdes : al-Charaa comme les Kurdes comptent toutefois sur Washington. Il est donc probable que ce sujet sera au cœur des discussions à la Maison Blanche lundi. Et al-Charaa sait que s’il peut s’y rendre sans autorisations spéciales dérogeant au droit international, c’est grâce à l’Amérique, grâce à Trump.
A la Maison Blanche, on sera convaincu que, même si les sanctions sont totalement levées, al-Charaa n’aura d’autre choix que de poursuivre son processus d’intégration et en vue d’adhérer aux accords d’Abraham. Mais la question qui déterminera l’avenir est celle de l’idée de l’État qu’al-Charaa entend définir : le «Syrian Observer», portail en ligne critique du régime actuel, rapporte justement la destitution de nombreux juges syriens indésirables par le régime, révélant ainsi la véritable nature du conflit avec les Kurdes : quel type d’État envisagent-ils ?
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Peut-être qu’al-Charaa, maintenant que la Syrie pourrait vraiment se relever grâce à lui, changera-t-il également cette perspective. Un aspect peu exploré mais crucial pour les Syriens, car le nouveau al-Charaa, outre sa nouvelle vision géopolitique internationale, est aussi attendu au tournant dans sa vision interne. Ils ont déjà connu un centralisme exacerbé, et pour beaucoup d’entre eux, il en est déjà assez. Sa réussite dépendra moins des gestes diplomatiques que de sa capacité à réconcilier une Syrie fracturée, à intégrer les Kurdes, à purifier son armée et à réinventer l’État. La Syrie de demain se construira non seulement dans les salons internationaux, mais aussi dans les compromis et transformations qu’Al-Charaa saura imposer à l’intérieur de ses frontières. L’histoire syrienne entre dans une phase où chaque décision pourrait redéfinir durablement son destin.
En définitive, entre le régime actuel et celui d’Assad déchu, la Syrie hésite entre centralisme autoritaire et ouverture pragmatique. L’avenir du pays dépendra de sa capacité à réconcilier ses divisions internes et à transformer un passé de guerre en un projet d’État crédible.
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