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Le Mossad prend ses distances avec Netanyahu avec le «refus résolu» de Barnea d’attaquer Doha

(Rome, 15 septembre 2025). Alors que le Moyen-Orient reste traversé par des tensions explosives depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la guerre à Gaza et les répercussions régionales ont mis en lumière de profondes fractures au sein même de l’appareil sécuritaire israélien. Une fracture inédite sur fond de tensions régionales et de guerre sans fin à Gaza. Entre l’interventionnisme du Premier ministre et le pragmatisme diplomatique du Mossad, c’est la stratégie et la crédibilité internationale d’Israël qui se trouvent en jeu

Le «grand refus» de David Barnea, dernier adulte encore en poste au sein de l’appareil sécuritaire israélien, a influencé la stratégie israélienne contre le Hamas et la conduite du raid spectaculaire au Qatar ce 10 septembre. Le retrait du Mossad, fer de lance de l’État hébreu, d’une opération contre les négociateurs de l’organisation gouvernant Gaza sur le territoire d’un État neutre et médiateur, a déclenché une chaîne d’événements qui a conduit à l’implication du Shin Bet et de l’armée israélienne, à la frappe aérienne retentissante contre Doha et à l’émergence d’une série de fractures critiques entre Tel-Aviv et de nombreux alliés, nous explique Andrea Muratore dans le portail «Inside Over».

Le Mossad n’a pas participé à l’assaut contre Doha

Nous avons évoqué les scénarios ayant conduit à une possible rupture entre Barnea et le Premier ministre Benyamin Netanyahu, liée à la volonté de ce dernier de renforcer son emprise sur le renseignement. Nous avons émis l’hypothèse que l’absence du Mossad dans l’attaque contre le Hamas révélait une posture stratégique et diplomatique différente de celle de l’organisation de Ramat Ha-Sharon par rapport à celle de l’exécutif.

Barnea entretient par ailleurs depuis longtemps des relations diplomatiques florissantes avec le Qatar et les monarchies du Golfe, nourries d’abord par les accords d’Abraham, puis par des négociations avec le Qatar et l’Égypte pour servir de médiateur auprès du Hamas concernant la libération des otages israéliens. Des révélations récentes laissent présager ce scénario. Le «Washington Post» a rapporté que des responsables du Mossad avaient rassemblé des documents et des informations pour organiser un assassinat ciblé de plusieurs dirigeants du Hamas alors qu’ils se trouvaient à Doha, avant de voir l’opération stoppée par Barnea.

«Gulf News» a toutefois expliqué les raisons de ce refus : «l’agence estimait que l’élimination des dirigeants du Hamas en exil au Qatar aurait non seulement compromis les négociations en cours pour la libération des otages, mais aussi porterait atteinte à ses relations délicates avec Doha».

Pourquoi Barnea freine-t-il ?

Il ne s’agit pas de pacifisme, mais de pragmatisme. Barnea et ses hommes n’ont pas manqué de mener des opérations d’envergure dans cette longue crise au Moyen-Orient déclenchée en octobre 2023. En septembre 2024, ils ont d’abord lancé la grande opération contre le Hezbollah, puis ont identifié et contribué à cibler et éliminer le secrétaire général du Parti de Dieu, l’enturbanné Hassan Nasrallah. En décembre, le Mossad a collaboré avec Tsahal pour identifier et détruire les défenses aériennes syriennes après la décapitation du régime de Bachar al-Assad. Puis, en juin, l’importante infiltration au cœur du territoire iranien a eu lieu, avec de nombreuses images et vidéos montrant des agents de renseignement opérant en République islamique, utilisant des drones et des sabotages pour frapper des batteries antiaériennes, des bases militaires et des centres de communication.

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Toutes ces stratégies, pour le Mossad, étaient unies par un point commun : le renforcement de la sécurité d’Israël. Il ne s’agit pas de soutenir Netanyahu, mais de loyauté fondamentale envers la mission de l’agence d’espionnage la plus célèbre de Tel-Aviv : frapper les ennemis d’Israël afin de garantir la stabilité et la suprématie de l’État hébreu, dans le cadre d’un discours conçu comme «défensif». Une défense qui, pour Israël, coïncide souvent avec le lancement de guerres préventives, bien sûr. Mais la logique est claire et repose sur le rejet de toute création de risques ou de dommages inutiles, comme ceux révélés par le raid de Doha. Ce raisonnement rejoint les doutes de nombreux dirigeants de Tsahal concernant l’opération terrestre visant à occuper Gaza.

La diplomatie du Mossad

Par ailleurs, à plus long terme, force est de penser que la réticence du Mossad à poursuivre l’opération de Doha s’explique en partie par une décision prudente, fondée sur un calcul des coûts et des bénéfices internationaux. En tant que service secret capable d’une diplomatie à large spectre, celui dirigé par Barnea dialogue avec tous ses partenaires au Levant et entretient des liens étroits avec l’appareil sécuritaire américain.

La fracture entre le Mossad et le Shin Bet, ainsi que l’éloignement du premier vis-à-vis de Netanyahu, reflètent également un climat international caractérisé par des alliances de pouvoir transversales. Dans ce cadre, le chef du département d’État, Marco Rubio, apparaît comme l’interlocuteur privilégié de Tel-Aviv, plus encore que le président Trump lui-même. Dans la géographie complexe du pouvoir entre les États-Unis, Israël et le Moyen-Orient, le Mossad joue un jeu unique, comme cela s’est souvent produit par le passé. Et il est révélateur de la situation actuelle en Israël que ce soit le chef de son service secret dynamique qui incarne désormais une forme de modération face à l’interventionnisme plaçant la stratégie et la sécurité du gouvernement de l’État hébreu dans un équilibre précaire.

Selon un observateur italien, «le refus de David Barnea d’autoriser une opération d’élimination ciblée au Qatar illustre la fracture (susmentionnée) : d’une part, la volonté du Premier ministre de recourir à une stratégie de confrontation sans concessions ; de l’autre, l’approche pragmatique d’un service de renseignement soucieux de préserver ses canaux diplomatiques, ses alliances régionales et sa crédibilité auprès des partenaires occidentaux».

«Comment maintenir la sécurité et le statut régional d’Israël sans compromettre un réseau d’alliances indispensables dans un Moyen-Orient pris par la rivalité entre puissances régionales et internationales» ?, conclut-il.

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