(Rome, 24 août 2025). Pour Mario Draghi, l’Europe s’est volontairement placée en position subalterne, incapable de rivaliser dans un monde multipolaire. Un constat implacable, mais paradoxal venant de l’un des artisans d’un modèle trop dépendant du lien transatlantique, désormais remis en question par le retour des guerres commerciales et des tensions géopolitiques. De plus, il est difficile d’ignorer que l’ancien président de la BCE et ex-chef du gouvernement italien fut lui-même au cœur des décisions qui ont façonné cette «fragilité structurelle»
Mario Draghi a repris la parole lors du meeting de «Communion et Libération» à Rimini, sur la même scène où, il y a cinq ans, il avait concrétisé le programme qui allait façonner son agenda gouvernemental, de février 2021 à septembre 2022. Cette fois-ci, c’est l’Europe qui était visée dans son discours prononcé vendredi. Une Europe perçue comme faible, reléguée à un rôle secondaire, incapable de tenir une position solide ou de jouer un rôle dans les grandes crises mondiales, et qui, en 2025, a consciemment choisi de devenir secondaire et sans influence face à l’histoire. En bref, une Europe désormais rétrogradée en en deuxième division de puissance, écrit Andrea Muratore dans «Inside Over».
Draghi rappelle que l’arrivée de Trump a été un «réveil brutal» pour Bruxelles et souligne le poids des «tarifs douaniers internes», la compétitivité réduite et l’absence d’ampleur des investissements productifs. En bref, une attaque en règle contre Ursula von der Leyen, jamais citée nommément, dont la présidence de la Commission semble avoir été sévèrement jugée par le grand commissaire romain, ancien gouverneur de la Banque d’Italie et de la BCE avant de devenir Président du Conseil des ministres italien. Mais dans son discours, il semble manquer quelque chose : le geste par lequel l’ancien Premier ministre s’engagerait concrètement. Le constat indéniable sur la faiblesse de l’UE et son jugement tranchant sur une Union qui a choisi de «rester spectatrice» face à un monde compétitif donnent l’impression qu’il reste en retrait.
Draghi semble être un observateur extérieur, comme s’il n’avait jamais été là et, plus important encore, qui n’a pas été aux commandes pendant des décennies. On peut comprendre l’application de l’adage de John Maynard Keynes : «When facts change, I change my mind» («Quand les faits changent, je change d’avis»). On peut aussi comprendre la frustration de voir son épais, et détaillé, rapport sur la compétitivité remis à von der Leyen en septembre 2024 pris comme modèle, puis non appliqué. Mais il semble difficile d’exclure «Super Mario» du cercle des décideurs qui, comme l’a rappelé, ont contribué à faire croire à l’Europe que disposer d’un marché de 450 millions de consommateurs lui assurait automatiquement un poids géopolitique réel.
Ces dernières décennies, entre Rome et Francfort, Draghi a été l’une des figures de proue de l’Europe, et nier que l’échec est celui d’une élite entière risque de faire passer au second plan l’élément structurel, qui indique une tendance générale au déclin, au profit d’une simple prise de distance vis-à-vis de l’actuelle Commission européenne. Certes, il faut reconnaître à Draghi qu’à l’un des moments les plus difficiles de l’Europe, l’austérité de 2011-2015, sa BCE a tenté de contenir les pressions les plus violentes des rigoristes. Mais il ne faut pas oublier les responsabilités entourant la Grèce et son «waterboarding économique», ou l’illusion qu’il était possible, au début du conflit en Ukraine, de pousser la Russie à s’effondrer en peu de temps.
Surtout, Draghi a longtemps été (peut-être jusqu’à l’arrivée de Trump 2.0), un fervent partisan de l’axe transatlantique et un bâtisseur de ponts entre Bruxelles et Washington. L’actuelle classe dirigeante européenne paie le principal péché d’avoir cru aveuglément à l’inéluctabilité de ce partenariat, à une posture transatlantique censée durer envers et contre tout, malgré les vents de guerre économique, l’affaiblissement de l’UE dans la stratégie géopolitique américaine au Moyen-Orient et en Russie et, plus récemment, l’assaut tarifaire américain. L’arrivée de Trump a été un réveil brutal pour beaucoup, même pour Draghi. Qui ne peut pas oublier qu’il était là lorsque de nombreuses décisions ont été prises, malgré la pertinence indéniable de plusieurs de ses critiques adressées aux technostructures de la communauté.