(Rome, Paris, 10 août 2025). Cinq jours avant le sommet Trump-Poutine en Alaska, Moscou propose une trêve en échange du Donbass et de la Crimée. Kiev refuse toute concession, l’UE appelle à des négociations avec l’Ukraine. Washington vise un compromis rapide
Cinq jours nous séparent du très attendu sommet en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine, la diplomatie internationale est en pleine effervescence. En toile de fond, reste le conflit en Ukraine, avec un processus de paix encore fragile et une mosaïque d’intérêts divergents. Les rumeurs émanant de Washington, Bruxelles et Moscou dressent un tableau complexe, où la définition des frontières, les garanties de sécurité et le calendrier du cessez-le-feu sont étroitement liés à des calculs géopolitiques et à des objectifs nationaux, nous explique Francesca Salvatore dans «Il Giornale».
Poutine réclame le Donbass : paix ou reddition ?
Les intentions du Kremlin émergent d’un brouillard d’ambiguïté et de sources confidentielles. Selon le Wall Street Journal, lors d’une rencontre avec l’envoyé américain Steve Witkoff, Poutine aurait proposé un cessez-le-feu en échange du contrôle total de la Russie sur l’ensemble des régions de Donetsk et de Lougansk, autrement dit, le cœur du Donbass. Parallèlement, Bloomberg fait également état d’exigences encore plus larges : Moscou souhaite que Kiev renonce non seulement au Donbass, mais aussi à la Crimée, officialisant ainsi les annexions passées, en échange d’une trêve et d’un «gel» de certaines parties du front sud. Par ailleurs, il y a quelques heures, le journal allemand Bild révélait que, lors de sa rencontre du 6 août avec le chef du Kremlin, l’envoyé spécial américain avait mal interprété une demande russe de «retrait pacifique» des forces ukrainiennes de Kherson et Zaporizhia, la prenant pour une offre de Moscou de retirer ses propres troupes de ces mêmes régions.
Ces conditions, dénoncées par beaucoup et qualifiées de capitulation déguisée en diplomatie, risquent de sceller de facto une victoire territoriale russe sous couvert de paix. Le calendrier du sommet en Alaska, annoncée le 8 août, alors que venaient à expiration les ultimatums américains sur les sanctions, a alimenté les soupçons selon lesquels Moscou aurait obtenu une trêve informelle en échange de cette ouverture des négociations.
L’Europe en bloc : pas de décision sans l’Ukraine
En réponse aux initiatives de Moscou, les capitales européennes ont adopté une ligne diplomatique cohérente et ferme. Lors d’une réunion dans le Kent, présidée par le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, des dirigeants de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Pologne, de la Finlande et la Commission européenne ont signé une déclaration affirmant sans équivoque que les négociations de paix ne peuvent se poursuivre sans la participation directe de l’Ukraine. Un message qui pourrait compliquer sérieusement la rencontre tant attendue entre Washington et Moscou. Ces déclarations sont assorties d’un avertissement clair : aucune modification de frontière ne sera acceptée si elle est imposée par la force.
Le chancelier allemand Friedrich Merz plaide même pour la présence de Zelensky au sommet Trump-Poutine en Alaska. «Nous espérons que le président Zelensky participera à cette réunion», a-t-il déclaré à la chaîne ARD. La coalition européenne a par ailleurs présenté un plan stratégique déjà discuté lors du sommet de Londres : un maintien de l’aide militaire à Kiev, une pression économique accrue sur Moscou, des garanties de sécurité assorties d’une volonté d’engagement sur le terrain et la condition préalable à la présence ukrainienne à toutes les étapes des négociations. Il s’agit d’une réponse claire à toute proposition excluant formellement ou de facto Kiev.
Volodymyr Zelensky : pas de capitulation, seulement de la résistance
Depuis Kiev, le président Volodymyr Zelensky a réagi fermement. «Nous ne céderons pas nos terres à l’occupant», a-t-il affirmé, réitérant que la paix ne peut se négocier par des concessions territoriales. Il a ajouté que toute négociation unilatérale risque de se transformer en piège géopolitique, contraignant Kiev à accepter des solutions imposées par des puissances extérieures. De même, Zelensky a exprimé sa gratitude envers l’Europe pour son soutien politique et diplomatique, tout en soulignant que l’objectif principal reste la défense des intérêts ukrainiens et la préservation de la capacité de résistance, même au prix d’une guerre longue. L’hypothèse d’un accord bilatéral entre Washington et Moscou redessinant les frontières sans la pleine implication de Kiev représente le pire scénario pour la direction ukrainienne.
«Pour l’heure, le président ukrainien n’a pas été invité au sommet prévu vendredi en Alaska entre les présidents Trump et Poutine, mais il est possible qu’il y participer», a déclaré Matthew Whitaker, ambassadeur des États-Unis auprès de l’OTAN, lors d’une interview accordée à CNN. «Aucune décision n’a encore été prise». «Je pense que c’est tout à fait possible», a-t-il insisté. Et d’ajouter qu’«évidemment, la décision appartient au président» et qu’«il y a encore du temps.
Les États-Unis entre Trump et l’héritage de Biden
Trump avait promis de «mettre fin au conflit en 24 heures», quitte à reconnaître les conquêtes territoriales russes, et le sommet en Alaska avec Poutine semble être le premier test de cette stratégie. Trump laisse entrevoir une approche directe, caractérisée par des négociations pragmatiques et rapides, avec d’éventuelles concessions sur quatre régions occupées (Louhansk, Donetsk, Zaporizhia et Kherson) en plus de la Crimée. Cette ligne marque une rupture nette avec celle de son prédécesseur, Joe Biden, qui avait privilégié un soutien militaire et financier à long terme à Kiev, le renforcement de l’OTAN et le maintien d’une pression économique constante sur Moscou. L’orientation actuelle de Washington inquiète de nombreuses capitales européennes, et surtout Kiev, qui craint d’être poussée à un compromis territorial en échange d’une trêve qui pourrait s’avérer temporaire.
Par ailleurs, un J.D. Vance, exalté, a déclaré, dans une interview accordée à Fox News, que l’accord final, «ne satisfera ni la Russie ni l’Ukraine». Il a expliqué qu’il ne pensait pas qu’une rencontre entre Poutine et Zelensky serait productive avant celle avec Trump, ajoutant qu’en fin de compte, c’est au président américain qu’il incombe de rapprocher les deux parties. Il a assuré que les États-Unis discuteront avec l’Ukraine et maintiendront le dialogue ouvert, mais a précisé que, fondamentalement, il s’agissait d’une question sur laquelle le président devait contraindre Poutine et Zelensky à s’asseoir autour de la table.
La ligne de Washington fait l’objet d’un consensus total au sein de la haute direction de l’OTAN : «La rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine sera importante, car elle permettra de tester la volonté réelle de Poutine de mettre fin à cette terrible guerre», a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, dans une interview accordée à ABC, soulignant que cette réunion constituait un point de départ valable, mais qu’aucun accord n’était possible sans Kiev et sans tenir compte de la sécurité et de l’indépendance de l’Ukraine.
«Nous parlerons de territoire. Il sera question de garanties de sécurité, mais aussi de la nécessité absolue de reconnaître que l’Ukraine décide elle-même de son propre avenir et qu’elle doit rester une nation souveraine», a observé Mark Rutte.