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Syrie : premier contrat de sécurité privée accordé à une société anglo-émiratie marquant l’arrivée de mercenaires

(Rome, 15 avril 2025). Damas, autrefois cœur battant d’un régime autoritaire, est aujourd’hui un échiquier brisé, où les pions naviguent entre ruines et espoirs. Depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre 2024, la Syrie est plongée dans un vide de pouvoir qui attire des acteurs de toutes sortes : milices locales, puissances étrangères, et désormais des entreprises privées, prêtes à capitaliser sur l’instabilité. Ambassades, médias, cabinets d’études : tous cherchent protection dans un pays où la frontière entre ordre et chaos est aussi fine qu’une lame. Dans ce contexte, une nouvelle vient bouleverser le panorama : une société anglo-émiratie, dont le nom est encore confidentiel, aurait obtenu une licence pour opérer en Syrie, une étape qui pourrait marquer le début d’une nouvelle ère pour le secteur de la sécurité privée au Levant, nous explique Giuseppe Gagliano dans le quotidien italien «Inside Over».

Ce n’est pas une surprise que la Syrie post-Assad devienne un terrain propice pour ceux qui vendent de la protection. Après des années de guerre civile, le pays est un patchwork de factions armées, des rebelles Hay’at Tahrir al-Cham (HTC) qui contrôlent Damas, aux milices kurdes des FDS dans le nord-est, en passant par les restes des forces pro-Assad qui errent toujours comme des fantômes. Mais des sources bien au fait font état de la présence de patrouilles russes dans la région (fief historique des Assad) de Lattaquié. Elles affirment que la responsabilité de la stabilité et de la sécurité incombe uniquement aux organes de l’État, insistant sur le fait qu’«il n’existe aucun plan d’impliquer des forces étrangères dans cette mission».

Dans ce chaos, les ambassades rouvrent prudemment, les médias internationaux envoient des journalistes pour documenter la transition et les sociétés de recherche, souvent liées à des intérêts géopolitiques, prospectent pour du gaz, du pétrole ou simplement d’informations. Mais personne ne se déplace sans escorte armée. Les anciennes institutions de l’État, déjà fragiles sous Assad, se sont effondrées ou fragmentées, laissant un vide que ni HTC ni d’autres factions ne peuvent combler seules. Et c’est là que les sociétés de sécurité entrent en jeu, avec leurs contractuels formés, leurs SUV blindés et leurs promesses de sécurité à un prix élevé.

Capital arabe et savoir-faire britannique

Selon les rumeurs, l’entreprise anglo-émiratie aurait reçu le feu vert de l’une des autorités de transition qui tentent de gouverner la Syrie (peut-être le HTS lui-même), organisation pourtant désignée comme terroriste par l’ONU et l’Occident, mais qui s’impose comme une force dirigeante. Obtenir une licence dans un tel contexte est loin d’être anodin. Cela exige des contacts de haut niveau, des garanties financières et, surtout, une capacité à naviguer dans un labyrinthe d’alliances et de rivalités. Les Émirats arabes unis, qui entretiennent des relations avec Damas depuis plusieurs années (ils ont rouvert leur ambassade en 2018), disposent du poids diplomatique et des fonds nécessaires pour ouvrir des portes. Le partenaire britannique apporte quant à lui une expertise technique et un réseau d’anciens militaires, souvent vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan, prêts à mettre leur expérience au service d’un nouveau théâtre d’opérations. Ensemble, ils forment un duo redoutable : le capital est arabe et le savoir-faire est occidental.

Mais que signifie réellement cette initiative ? Pour les ambassades, une entreprise étrangère offre une garantie de neutralité que les milices locales, souvent affiliées à des clans politiques ou ethniques, ne peuvent fournir. Pour les médias, elle fait office d’assurance vie pour opérer dans des zones où un point de contrôle peut se transformer en piège mortel. Pour les entreprises de recherche, notamment celles qui s’intéressent aux ressources naturelles, c’est une moyen d’explorer un pays riche en opportunités mais parsemé de risques. Pourtant, l’arrivée d’un acteur anglo-émirati soulève des interrogations. Qui supervise réellement leurs opérations ? Et quels sont leurs véritables objectifs ? Ce n’est un secret pour personne que les Émirats, comme d’autres puissances du Golfe, ont des intérêts stratégiques en Syrie : contenir l’influence iranienne, contrer la Turquie et assurer un rôle dans la reconstruction. Une entreprise de sécurité pourrait n’être que la face émergée de l’iceberg, un avant-poste pour des projets bien plus ambitieux.

Des zones d’ombre

Les entreprises de sécurité privées, où qu’elles opèrent, apportent avec elles leur lot de controverses. En Irak et en Afghanistan, les contractuels occidentaux ont été accusés d’abus, de corruption et de violations des droits de l’homme. En Syrie, où la confiance entre les communautés est déjà une denrée rare, la présence de mercenaires étrangers risque d’alimenter la suspicion et les tensions. De plus, HTC, qui semble bénir cette initiative, n’est pas un partenaire fiable aux yeux de l’Occident. Collaborer avec un groupe classé terroriste pourrait compliquer les relations avec les États-Unis et l’Europe, qui, tout en levant certaines sanctions en 2025 pour favoriser la reprise économique, restent prudents. Et puis il y a la question de la transparence : qui finance réellement cette entreprise ? S’agit-il simplement d’une initiative commerciale ou d’un bras armé des intérêts d’Abou Dhabi et de Londres ?

Pour l’instant, la compagnie anglo-émiratie avance en toute discrétion, se limitant à confirmer l’obtention de la licence et promettant des «services de haut niveau» à ses clients internationaux. Mais dans un pays comme la Syrie, où chaque contrat cache un agenda et chaque arme raconte une histoire, rien n’est jamais ce qu’il paraît. Les rues de Damas, encore marquées par les cicatrices de la guerre, s’apprêtent à accueillir un nouveau type d’armée : non plus idéologique, mais mercenaire. Et tandis que le monde observe, une question reste en suspens : qui protégera véritablement la Syrie d’elle-même ?

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