(Rome, Paris, 05 avril 2025). Après des jours de fortes tensions, le ministre turc des Affaires étrangères a calmé le jeu, affirmant que son pays ne voulait pas de confrontation militaire avec Israël en Syrie parce que «la Syrie appartient aux Syriens, non à la Turquie». L’accent est mis sur un éventuel rapprochement entre Trump et Erdogan
Déjà à la fin du siècle dernier, Mohammad Heykal, ancien proche collaborateur de Jamal Abdel Nasser, exprimait, comme à son habitude, une opinion tranchée sur le désastre arabe : selon lui, les terres arabes étaient devenues un «terrain neutre» où se jouait le jeu des autres puissances. Ces autres, étaient les grandes puissances mondiales ; Les Russes et les Américains, puis les acteurs régionaux majeurs. Parmi ceux-ci, l’Iran se distinguait déjà à l’époque par son expansionnisme sur les terres arabes ; C’est pourquoi on peut supposer que s’il existe un dirigeant arabe qui serait d’accord avec l’urgence de tourner la page, c’est bien le Président libanais Joseph Aoun. Lors de son discours d’investiture, il a clairement affirmé que l’État doit retrouver le monopole de l’usage de la force et des armes dans le pays, appelant clairement au désarmement du Hezbollah, la milice «khomeïniste» alignée sur les intérêts iraniens, comme l’ont fait d’autres milices depuis des années, nous explique Riccardo Cristiano dans son décryptage dans le média «Formiche.net».
Cette question à été au centre de ses échanges aujourd’hui avec l’envoyée spéciale américaine, Morgan Ortagus. Elle aurait obtenu des signaux positifs sur les réformes économiques vitales. Selon plusieurs sources, Aoun a obtenu la non-imposition de délais spécifiques sur la question du contrôle des armements, tout en maintenant la nécessité d’appliquer la résolution 1701 de l’ONU, qui avait mis fin aux combats (et décapité le mandataire de Téhéran, le Hezbollah, Ndlr) et qui impose, dans un rayon de 30 kilomètres de la frontière avec Israël, la présence exclusive de l’armée et de la FINUL. Le travail accompli jusqu’ici par l’armée pour reprendre le contrôle du territoire a été salué, et deux propositions ont reçu une première évaluation positive : la création d’un comité technique militaire et l’instauration d’une diplomatie navette pour résoudre les différends non réglés entre le Liban et Israël, à commencer par les frontières terrestres.
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Des avancées modestes, semble-t-il, alors que sur un autre front, la confrontation redoutée entre Israël et la Turquie émerge aujourd’hui en Syrie.
Tout sauf un conflit ne serait dans l’intérêt d’un pays en ruines comme la Syrie. Mais la précarité, la proximité entre le nouveau pouvoir et les milieux djihadistes, et la dépendance vis-à-vis d’Ankara font surgir une crainte : La Turquie veut-elle s’étendre militairement en Syrie pour diriger un nouveau front «islamiste» dont elle prendrait la tête ? Francesco Petronella a écrit sur le site web de l’ISPI : «Les autorités israéliennes ont dès le départ exprimé leur méfiance aux nouveaux arrivants au pouvoir après une attaque éclair qui n’a duré que onze jours. Mais l’enjeu concerne aussi le conflit, de moins en moins latent, entre Israël et le principal sponsor régional de Damas : la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan. Ankara possède l’armée la plus puissante du Moyen-Orient et entend faire de la Syrie sa plateforme militaire avancée. Une proximité peut-être trop grande avec les territoires israéliens».
Israël a, ces derniers jours, frappé plusieurs installations militaires en Syrie pour empêcher les Turcs de les utiliser pour y installer leurs missiles, ou des groupes armés liés à eux, voire leurs propres techniciens et militaires. Une nouvelle forme d’expansionnisme turc serait-elle en vue ? Pour la Syrie, en revanche, il ne s’agirait pas de la rupture méthodologique attendue avec le régime d’Assad. Les gestionnaires des bases militaires changeraient : après les Russes et les Iraniens, ce seraient désormais les Turcs. Pour beaucoup, Damas est incapable de reconstruire une véritable armée nationale, en partie des divisions internes, à savoir les frictions entre les différentes communautés syriennes encore divisées, mais aussi en raison de liens très étroits avec Ankara, qui n’est, par exemple, certainement pas un ami des Kurdes syriens.
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Certains craignent que la situation ne puisse devenir incontrôlable, notamment en raison des zones grises existantes entre armées et miliciens liés aux régimes, et en raison de la détermination israélienne à empêcher toute consolidation qu’elle jugerait risquée (la fameuse «stratégie périphérique»). Mais il y a aussi la question des relations avec Washington : Erdogan, confronté à une contestation interne après l’arrestation de son challenger dans la course aux prochaines élections présidentielles, espère un réchauffement de ces liens. Nombreux sont ceux qui pensent que Trump pourrait partager cette intention. Et c’est peut-être pour cela que le ministre turc des Affaires étrangères, après des jours de grande tension, a fait baisser la pression, en déclarant que son pays ne veut pas de confrontation militaire avec Israël en Syrie, car la «Syrie appartient aux Syriens, pas à la Turquie». Ankara affirme ne pas vouloir transformer la Syrie en un autre foyer de tension régionale. Les craintes demeurent, et les paroles du ministre turc des Affaires étrangères ne suffiront pas à les dissiper, mais au moins, ne les aggravent-elles pas. D’autant plus qu’une autre confrontation, entre les États-Unis et l’Iran, pourrait s’y superposer. Washington propose des négociations pour clore le dossier nucléaire iranien, faute de quoi, seule l’option militaire reste sur la table. Et nul ne peut dire aujourd’hui comment cela évoluera.
Ce qui est certain, c’est que nous vivons un moment régional extrêmement délicat. La présence arabe dans ce jeu complexe s’exprime à l’heure actuelle par le rôle d’«adoucisseur» des tensions que semblent vouloir jouer les Saoudiens. C’est un indice qui suggère que les Arabes ne sont pas de simples spectateurs dans les affrontements qui concernent directement leur avenir. C’est la voie qui semble émerger après l’échec des idéologies du passé, le panarabisme et le panislamisme, pour trouver un moyen de reconstruire un rôle arabe tourné vers l’avenir.