(Rome, Paris, 15 mars 2025). L’austérité n’existe plus. C’est la décision prise par une coalition tripartite, fondée sur les rapports de force au Bundestag sortant en Allemagne. Cette Assemblée précédera celle autour duquel Friedrich Merz et son Union chrétienne-démocrate (CDU) formeront le gouvernement de coalition avec le Parti social-démocrate (SPD).
Trois points clés sont au cœur du plan tripartite convenu entre la CDU, le SPD et les Verts : le climat, les grandes infrastructures et les armes en grande quantité, rapporte l’analyste Andrea Muratore dans «Inside Over». Fini le frein constitutionnel à l’endettement, fini la rhétorique rigoriste, fini la pensée austère que Merz, fervent défenseur de l’orthodoxie budgétaire par le passé, a encore promue lors de la campagne électorale précédant la victoire de la CDU le 23 février dernier. Au total mille milliards d’investissements seront mis sur la table.
Un tournant historique devenu réalité
Avec le soutien des Verts au projet de la CDU et du SPD, un méga-fonds de 500 milliards d’euros va être lancé pour investir dans les infrastructures au cours des dix prochaines années et, en même temps, un plan de même ampleur pour réaliser le «Zeitenwende» (tournant historique) en matière de Défense, annoncé par Olaf Scholz après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Toutes les dépenses militaires dépassant 1% du PIB seront exclues du déficit, et l’Allemagne accéléra son réarmement dans tous les domaines ainsi que son soutien à Kiev.
«Les Verts ont largement accepté le plan de Merz après avoir obtenu l’engagement d’orienter les dépenses d’infrastructure vers des politiques climatiques», note «Politico.eu» : «Ainsi, 100 milliards d’euros du fonds dédié aux infrastructures serviront à atteindre les objectifs climatiques et à la transition vers les énergies renouvelables», tandis que 16 milliards d’euros seront versés aux collectivités locales pour renforcer des structures telles que les réseaux de chauffage urbain.
L’Allemagne entre dans une décennie cruciale avec un nouveau principe : investir pour construire un nouveau paradigme et un modèle de développement inédit, consciente de l’incertitude croissante entourant les «dividendes de la paix» acquis depuis la Seconde Guerre mondiale. Merz, conscient du fait que l’accord de coalition CDU-SPD repose sur un consensus fragile et devra être jugé à l’épreuve des défis et des tensions ayant favorisé l’ascension de l’extrême droite d’«Alternative für Deutschland» (AFD), désormais deuxième force politique du pays. Cette montée en puissance survient dans un contexte de tensions sociales, de déclin industriel, de bouleversements économiques après des années de tensions commerciales et industrielles avec les États-Unis, la fin des approvisionnements russes en gaz à bas prix et l’émergence d’une rivalité avec la Chine dans de nombreux secteurs.
Si l’État allemand, au moment de la renaissance d’après-guerre, a façonné son économie, en régulant, fixant des normes et surveillant la concurrence dans le cadre de l’économie sociale du marché et de l’ordolibéralisme (un courant de pensée libéral), il opère aujourd’hui un virage radical.
Après des décennies de rigueur budgétaire et de surveillance des comptes des autres pays, Berlin change de cap et mise sur l’investissement public comme jamais depuis au moins quatre-vingt-dix ans. Un tournant impulsé par un futur Chancelier qui, jusqu’alors, s’était toujours présenté comme le gardien de la discipline budgétaire. Merz semble aujourd’hui redécouvrir le paradigme de John Maynard Keynes de la dépense publique «contra-cycliques» comme moteur de croissance dans les temps difficiles.
Le pari risqué de Merz
Il aura fallu la menace russe, Vladimir Poutine, et la rupture transatlantique avec Donald Trump pour offrir à l’Allemagne cette opportunité de changement. Mais Berlin s’engage dans cette voie par une manœuvre audacieuse : c’est le Bundestag sortant qui votera l’accord CDU-SPD-Verts, scellant une transformation systémique du pays après une élection où aucun compromis de ce type n’était envisagé. La raison ? Parce que dans le nouveau Bundestag, L’AFD et le parti de gauche de Die Linke contrôleraient plus d’un tiers des sièges, les empêchant d’atteindre la majorité des deux tiers requise pour modifier la Constitution.
Cette manœuvre est à la limite du cadre démocratique. Elle risque de créer un précédent quant à la flexibilité des institutions face aux urgences, dont les conséquences pèseront sur les choix politiques des années à venir. Le pari politique de Merz est risqué. Mais peut-être est-ce aussi la seule occasion de justifier un gouvernement avec un SPD plus éloigné que jamais des conservateurs.
«Quand les faits changent, je change d’avis», disait John Maynard Keynes («When facts change, I change my mind»). A Berlin, assiste-t-on à un véritable tournant ou à une tactique pour établir un gouvernement par ailleurs fragile ? Quoi qu’il en soit, Merz lance l’Allemagne dans une dynamique de rupture totale, où il n’y aura que deux issues possibles : réussir ou échouer spectaculairement sur des enjeux cruciaux pour le développement du pays et son positionnement mondial.