(Roma, 03 février 2025). Le manque de courage du premier ministre désigné Nawaf Salam a entamé l’optimisme né de l’élection du président Joseph Aoun. Nous publions ci-après le point de vue de Maître Anthony Khouri tel qu’il nous l’a adressé
Le Liban se trouve à un tournant politique crucial avec la nomination de Nawaf Salam à la tête du gouvernement. Ancien président de la Cour internationale de justice, Salam découvre aujourd’hui les rouages complexes de la politique libanaise, bien loin de la rigueur institutionnelle à laquelle il était habitué. Face à lui, une double pression s’exerce : d’un côté, l’attente d’un véritable changement portée par une grande partie des Libanais, et de l’autre, les manœuvres d’un système enraciné dans des pratiques opaques.
Dès son entrée en fonction, Salam, accompagné de quelques députés de son entourage, dont plusieurs sont novices en politique, prend rapidement conscience de l’ampleur du défi à relever. Le paysage politique est marqué par des alliances mouvantes, des négociations sous pression et des tactiques souvent éloignées des principes de gouvernance transparente.
Parmi les acteurs influents, le parti des Forces Libanaises (FL), détenteur du plus grand groupe parlementaire et soutenu par une vingtaine d’alliés, a choisi une approche radicale : ne pas revendiquer de ministères ni imposer de membres du parti au gouvernement. Cette décision vise à laisser le président de la République, Joseph Aoun, et le Premier ministre Salam composer librement leur équipe. Une posture qui reflète la volonté de renouvellement et de rupture avec les anciennes pratiques.
Le ministère des Finances : un enjeu de pouvoir stratégique
Toutefois, la formation du gouvernement est loin d’être un processus serein. Le duo chiite (Hezbollah et Amal) exerce de fortes pressions sur Nawaf Salam, cherchant à imposer ses conditions, notamment sur des postes clés comme le ministère des Finances. Ce ministère n’est pas un portefeuille ordinaire ; il est devenu, au fil des années, un levier stratégique permettant de contrôler non seulement les finances de l’État mais aussi le fonctionnement de l’exécutif lui-même.
En effet, le détenteur du ministère des Finances dispose d’un pouvoir de paralysie du pouvoir exécutif. En vertu des pratiques établies (et non de la Constitution), tout décret émis par le Conseil des ministres nécessite la contresignature du ministre des Finances dès qu’il engage une dépense publique. Cela confère au titulaire de ce poste une capacité d’obstruction permanente, capable de bloquer des décisions vitales pour le pays.
De plus, ce contrôle permet de protéger les responsables de la faillite économique du Liban, en freinant toute tentative de réforme financière ou de transparence budgétaire qui pourrait révéler des pratiques de corruption passées.
Un projet politique caché : la tentative d’imposition d’un Triumvirat
L’entêtement du duo chiite à conserver non seulement le ministère des Finances mais aussi les cinq sièges ministériels réservés à la communauté chiite s’inscrit dans une stratégie politique de long terme. Depuis des années, ce duo cherche à imposer un système de triumvirat où les chiites gouverneraient aux côtés des sunnites et des chrétiens maronites, modifiant ainsi l’équilibre du pacte national libanais.
Ce pacte, fondé sur l’égale représentation des communautés chrétiennes et musulmanes dans leur ensemble, repose sur une répartition équilibrée du pouvoir. En s’assurant un contrôle sur des ministères clés et une représentation gouvernementale exclusive, le duo chiite tente de créer un précédent où le pouvoir chiite serait institutionnalisé au-delà des principes du pacte.
Leur insistance à obtenir les cinq sièges ministériels chiites vise également à instaurer un mécanisme de chantage politique. En effet, si ces cinq ministres venaient à démissionner en bloc, cela pourrait entraîner une crise constitutionnelle en prétendant que le gouvernement n’a plus de représentativité chiite. Pourtant, en droit, il est tout à fait possible de nommer des ministres chiites indépendants du duo chiite, mais ce dernier jouerait alors sur la notion de «représentativité populaire» pour délégitimer le gouvernement.
Refus des compromissions et détermination du changement
Face à ces tentatives de mainmise sur l’État, le parti des Forces Libanaises s’est dressé en rempart, empêchant toute compromission qui irait à l’encontre des attentes populaires. Ce soutien a permis au Premier ministre Nawaf Salam de tenir bon et d’éviter de céder aux manœuvres miliciennes et mafieuses du duo chiite.
Le message est clair, celui qui déclenche une guerre, la perd et ruine le pays ne peut aucunement prétendre à un lot de consolation. Le Liban ne peut pas continuer à récompenser des acteurs politiques qui ont contribué à sa déstabilisation.
Les Libanais ne veulent plus de figures de l’ancien régime corrompu, particulièrement à des postes stratégiques. Le parti des Forces Libanaises reste catégorique : il ne participera à aucun gouvernement qui ne répond pas aux aspirations du peuple. Plus que jamais, l’heure est à la vigilance pour éviter un énième hold-up national et offrir enfin au Liban une chance de renouveau politique.
Par Me. Anthony Khouri, avocat et militant politique
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