(Rome, 22 janvier 2025). A quelques jours de l’entrée en fonction de Donald Trump à la Maison Blanche, le Premier ministre britannique Keir Starmer et le président ukrainien Volodymyr Zelensky ont signé à Kiev, le 16 janvier 2025, un ambitieux accord de coopération stratégique et de sécurité pour une durée de 100 ans, consolidant ainsi le rôle de Londres dans la guerre par procuration contre la Russie. Le Premier ministre travailliste s’est rendu à Kiev mais pas à Washington D.C, puisqu’il n’a pas été invité par Donald Trump à la cérémonie d’investiture, où son ami Nigel Farage était en revanche présent : si la forme est aussi importante que le fond, cela pourrait indiquer que la «relation spéciale» entre Londres et Washington est en crise, du moins tant que Starmer sera au 10 Downing Street. Cette situation résulte non seulement de divergences sur le conflit en Ukraine, mais aussi en raison du soutien actif du parti travailliste de Starmer à Kamala Harris pendant la campagne présidentielle.
Une contribution annuelle de 3 milliards de livres sterling
L’accord, écrit Roberto Vivaldelli dans «Inside Over», prévoit une contribution annuelle de 3 milliards de livres sterling (3,6 milliards de dollars) en aide militaire «aussi longtemps que nécessaire» et vise à renforcer la défense ukrainienne, notamment dans les régions de la mer Noire et de la mer Baltique, tout en favorisant les collaborations technologiques et culturelles. Lors de l’annonce de cet accord de 100 ans avec le Royaume-Uni, Zelensky a salué ce pacte comme un modèle à reproduire avec d’autres pays, laissant entendre qu’une partie de l’accord était «classifiée et secrète», tandis que Starmer s’est abstenu de s’engager publiquement sur l’envoi de troupes britanniques en Ukraine, insistant toutefois sur l’importance de renforcer la position de Kiev dans d’éventuelles futures négociations.
Que contient l’accord avec Zelensky ?
Le pacte signé par Keir Starmer et Volodymyr Zelensky réaffirme le rôle de premier plan du Royaume-Uni non seulement en tant qu’allié fondamental de Kiev, mais aussi en tant qu’acteur déterminant dans le conflit en cours. En effet, le rôle de la Grande-Bretagne dans le sabotage des pourparlers de paix de 2022 entre l’Ukraine et la Russie est largement documenté : des sources crédibles ont confirmé que Londres avait exercé des pressions significatives sur Kiev pour qu’elle rejette les termes préliminaires d’un accord qui aurait pu conduire à une désescalade du conflit, insistant plutôt sur la nécessité d’une victoire militaire contre Moscou.
L’accord signé à Kiev représente un engagement clair du Royaume-Uni à soutenir l’Ukraine dans tous les domaines, de la sécurité à la reconstruction économique. Londres et Kiev se sont engagés à une coopération à long terme qui comprend le renforcement des capacités militaires de l’Ukraine, la modernisation économique et la promotion des valeurs démocratiques et des droits de l’Homme. Dans l’attente des décisions de l’administration Trump, Londres semble vouloir remplacer Washington comme principal soutien de Kiev.
Le pacte signé par Starmer, en pleine continuité avec les gouvernements conservateurs précédents, s’appuie sur le Political, Free Trade and Strategic Partnership Agreement de 2020 et sur l’Agreement on Security Cooperation signé en janvier 2024, en élargissant sa portée avec de nouveaux objectifs stratégiques. Parmi ceux-ci figurent l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, le renforcement de la sécurité maritime et la «lutte contre la désinformation» et l’ingérence étrangère.
Les piliers de l’accord
L’accord met l’accent sur trois principaux piliers :
- Sécurité et défense: L’article 1 de l’accord porte sur le renforcement des capacités militaires ukrainiennes, à travers le développement conjoint de technologies de défense et l’amélioration de l’interopérabilité avec l’OTAN. L’objectif déclaré est d’accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique, considérée comme la meilleure garantie pour la sécurité du pays.
- La reconstruction: L’article 4 souligne la nécessité de moderniser l’économie ukrainienne, d’attirer les investissements et de promouvoir les secteurs stratégiques tels que l’énergie, les infrastructures et la technologie. Le Royaume-Uni se propose comme partenaire clé dans la reconstruction post-conflit, en veillant à ce que l’Ukraine devienne une économie résiliente et compétitive.
- Les droits de l’Homme et la «lutte contre la désinformation»: Les articles 6 et 7 soulignent l’engagement commun à «promouvoir les valeurs démocratiques», à lutter contre la corruption et à construire des institutions inclusives et transparentes. Parallèlement, l’accord prévoit une coopération renforcée contre les menaces hybrides, notamment la désinformation et les ingérences étrangères, qui ont joué un rôle clé dans le conflit.
Londres prend-elle la place de Washington ?
Le Royaume-Uni, déjà un acteur majeur dans la fourniture à Kiev d’armes de pointe, telles que des missiles antichars NLAW et des systèmes de défense aérienne, confirme avec cet accord son rôle de soutien indéfectible à Zelensky. Depuis 2022, le Royaume-Uni a fourni 12,8 milliards de livres sterling (15,6 milliards de dollars) d’aide à l’Ukraine, ce qui en fait le troisième donateur après les États-Unis et l’Allemagne.
Dans un contexte de transition géopolitique mondiale, où l’arrivée de Donald Trump pourrait redéfinir la politique étrangère américaine, Starmer, en pleine continuité avec les gouvernements conservateurs, maintient une ligne dure contre Moscou. Cela suffira-t-il à avoir un impact sur d’éventuelles négociations avec Moscou ? Rien n’est moins sûr.
«Mégalomanie post-impériale»
De nombreux analystes ont émis des doutes sur l’efficacité réelle de l’accord. Benjamin Martill, maître de conférences en politique et relations internationales à l’Université d’Edimbourg en Ecosse, a déclaré que, bien qu’il s’agisse d’un accord «très significatif», la décision de s’engager dans un pacte à si long terme pourrait être perçu comme une «mesure symbolique» destinée à masquer la «position plutôt faible» du Royaume-Uni, notamment face à l’incertitude liée aux actions de Trump.
Anatol Lieven, analyste en politique étrangère et critique de la stratégie occidentale en Ukraine, estime que «l’idée selon laquelle quoi que ce soit dans les affaires internationales puisse être garanti pendant cent ans relève d’une idiotie intellectuelle, enracinée dans une notion mystique d’un ‘Occident éternel’ et d’une OTAN toujours en opposition à une Russie immuable». Et d’ajouter : «La description de l’accord comme un ‘partenariat historique de 100 ans’ en dit moins sur la guerre en Ukraine et davantage sur l’incorrigible combinaison des élites britanniques de mégalomanie post-impériale et d’analphabétisme historique».
100 ans de promesses pour masquer un présent d’incertitudes : l’accord de Starmer avec Zelensky repose non seulement sur des fantasmes (certains) irréalisables, mais reflète aussi la volonté de Londres de projeter une grandeur perdue, oubliant que l’histoire ne pardonne pas à ceux qui ignorent la réalité de leur époque.