(Rome, 02 décembre 2024). L’arc de crise qui affecte les théâtres du Moyen-Orient et de l’Europe établit une ligne directe entre la guerre en Ukraine et celle éclatée en Syrie. Les raids des chasseurs-bombardiers et des forces de missiles russes sur les positions de «Hay’at Tahrir al-Cham» et de l’Armée syrienne libre (ASL), qui après des années de quiétude ont attaqué les positions loyalistes de Bachar al-Assad et ont pénétré dans Alep, montrent la volonté de Moscou de vouloir blinder son allié de fer et de démontrer que la Russie sait gérer une crise sur deux fronts, écrit Andrea Muratoré dans «Inside Over».
Huit ans après l’offensive qui avait ramené en 2016 la deuxième ville du pays du Levant aux mains de l’armée syrienne, la Russie est une nouvelle fois appelée à la rescousse, avec des raids sur Alep et des attaques contre des positions rebelles. Et la manœuvre apparaît d’autant plus urgente pour le pays dirigé par Vladimir Poutine que les sources politiques et de renseignement en Ukraine revendiquent haut et fort un soutien en termes de formation et d’armement aux mouvements qui ont conquis une grande partie de la métropole.
Depuis l’Ukraine, le «Kyiv Post» affirme que «des groupes rebelles basés dans la région d’Idlib, parmi lesquels figureraient des membres du Parti islamique du Turkestan (TIP), avaient reçu une formation opérationnelle des troupes des forces spéciales du groupe «Khimik» de la Direction principale des renseignements ukrainiens (HUR). L’équipe de formation s’est concentrée sur les tactiques développées pendant la guerre en Ukraine, y compris l’utilisation de drones», et avec le soutien de la Turquie, ce serait la principale raison de la capacité de combat accrue de «Hay’at Tahir al-Cham» par rapport aux années précédentes, note le journal ukrainien. La part de vérité dans ces rapports n’est pas connue pour l’heure, à partir d’informations qui peuvent être confirmées par des sources ouvertes : mais la proclamation du titre du journal de Kiev semble plausible, à la lumière de la projection des renseignements ukrainiens contre le groupe Wagner au Soudan et le soutien des rebelles Touaregs antirusses au Mali qui ont fait preuve d’une capacité d’action tout sauf indifférente de la part des forces armées de l’ex-pays soviétique.
L’évaluation de l’Ukraine est d’obtenir des positions favorables en Syrie pour user la Russie sur les flancs et lui faire lâcher temporairement son emprise sur le pays envahi. Pour Moscou, en revanche, qui soutient une fois de plus Assad, c’est montrer la capacité de combat du pays et obtenir des dividendes qui peuvent également être dépensés sur le front principal. Pendant ce temps, à Moscou, on décide de relever la barre du leadership et du contrôle.
Comme le rappelle l’Institut d’études sur la guerre (ISW), la première mesure sensible en ce sens a été un changement de leadership. «Le ministère russe de la Défense aurait remplacé le lieutenant-général Sergei Kisel par le colonel-général Alexander Chaiko, qui reprendra son poste précédent de commandant du groupement des forces russes en Syrie», note l’ISW, ajoutant que «le commandant en chef de la marine russe, l’amiral Alexander Moiseyev, est arrivé à Tartous», la base navale de la Méditerranée contrôlée par la Russie. Chaiko a été chef d’état-major des forces russes entre 2015 et 2017, années d’activisme militaire maximal contre les rebelles.
De ce point de vue, la démonstration de force en Syrie ne sera pas secondaire pour Moscou, qui ne s’est jamais retrouvée, dans l’ère post-Seconde Guerre mondiale, directement impliquée à divers titres avec ses forces armées dans deux conflits simultanés. Et pour une Ukraine qui veut se stabiliser en créant une situation de facto sur le terrain avec des avancées progressives, pour Moscou, les troubles syriens s’accroissent sur un théâtre qui semble désormais blindé. Et sur les épaules de laquelle, outre les mouvements ukrainiens, plane l’ombre d’une Turquie qui entretient à ce stade une relation directe et positive avec la Russie mais ne manque pas d’étendre sa zone d’influence régionale, cherchant souvent un espace au détriment de Moscou, du Caucase à la Syrie. Moscou est impliqué dans la géopolitique à géométrie variable du Moyen-Orient perturbé par plus d’un an de guerre généralisée et doit peser ses actions avec soin. Dans la conscience que ce qui se passe à Alep affectera la guerre en Ukraine, et vice-versa, dans un arc de crises géopolitiques qui a vocation à se souder en bien comme en mal.