(Roma, 28 septembre 2024). La députée libanaise Ghada Ayoub, du bloc parlementaire «La République Forte» (Parti des Forces Libanaises, FL) est intervenue ce samedi au colloque organisé au Sénat français (Salle Medicis). Une intervention d’une extrême importance qui reflète la vision de son parti pour sortir le Liban de la crise.
Ce colloque, organisé par l’association «Loubnan», était prévu depuis plusieurs mois. Or, l’évolution de la situation sur le terrain a contraint les intervenants à adapter leur discours, notamment après l’annonce de la décapitation du Hezbollah. Ce qui ouvre le débat sur de nouvelles perspectives pour le Liban.
Intervention de Dr. Ghada Ayoub
Colloque Le Liban à la croisée des chemins
2eme édition – 28 septembre 2024
Permettez-moi tout d’abord de remercier les organisateurs de ce colloque qui porte sur le thème «Le Liban à la Croisée des Chemins», qui à mon avis, revêt une importance particulière étant donné que le Liban traverse la période la plus périlleuse de son histoire moderne.
Le titre du colloque nous rappelle à l’ordre, en nous invitant, nous Libanais, à assumer nos responsabilités envers notre pays le Liban, ce pays unique dans l’Est et dans le monde arabe, par sa liberté, sa diversité et sa démocratie.
Les organisateurs du présent colloque, proposant «un cercle de réflexion apolitique» pour apporter des solutions innovantes afin de remédier aux dangers persistants qui sévissent au pays du Cèdre.
Je voudrais tout d’abord relever que ce colloque ne doit pas être apolitique, mais au contraire, rassembler tous les acteurs de la politique libanaise, aux côtés de ceux de la société civile et de la culture. En effet, l’une des principales sources de problèmes du Liban, est essentiellement politique, et non communautaire ou culturelle, contrairement aux idées préconçues.
Je voudrais aussi modestement relever, qu’il n’y a pas lieu de proposer des solutions innovantes : il suffit de respecter les constantes, d’adopter un code de conduite qui puisse résoudre tout conflit entre les Libanais, et ce par le dialogue, et uniquement le dialogue, dans le but de s’accorder sur un plan qui puisse remettre le pays sur la voie du redressement.
Je dresse ci-après une feuille de route aussi simple qui s’articule autour de cinq points principaux :
1) Le respect de la constitution, fondement de notre système démocratique, en commençant en premier lieu par l’élection du président de la république, le premier poste chrétien dans l’Etat.
Il serait bon de relever à cet égard, que le «dialogue» proposé par le chef du Parlement Nabih Berri est contraire à la constitution et aux usages libanais.
Tous les députés de l’opposition ont approuvé les initiatives locales et étrangères, notamment les efforts du «Comité des Cinq», en acceptant les consultations entre les blocs parlementaires et l’option d’un troisième candidat de compromis, afin d’aboutir à des sessions électorales successives et ouvertes jusqu’à l’élection d’un président.
Toutefois, il ne s’agirait pas de remplacer la vacance présidentielle par n’importe quel présidentiable ou via un accord de compromission.
2) Le respect de l’équilibre intercommunautaire, cet équilibre est menacé par le grand nombre de Syriens (près de deux millions) et de Palestiniens sur le sol libanais. Ainsi, il est faux de penser résoudre des problèmes humanitaires en créant d’autres ou en détruisant tout un patrimoine culturel dans une région qui n’a toujours pas acquis la liberté de croyance et de penser.
La crise des réfugiés syriens nécessite une approche au-delà de celle purement humanitaire en faveur d’une pression sur les forces de facto en Syrie, du régime syrien à l’Iran, à ses milices et à la Russie pour assurer leur retour dans leur pays.
La plupart de ces personnes sont désormais des réfugiés économiques, et peuvent choisir entre retourner dans les zones contrôlées par le régime ou dans celles contrôlées par l’opposition. D’ailleurs, cette semaine, plus de 13.000 refugies ont fui les bombardements, retournant en Syrie, ce qui prouve que ceux-ci n’ont certainement pas le statut de réfugiés.
Les Nations Unies, l’Union européenne doivent aider et soutenir financièrement et socialement ces personnes à l’intérieur de la Syrie, tout en cessant tout soutien à leur présence au Liban. Il est de la responsabilité des autorités centrales et locales libanaises d’appliquer des lois concernant le séjour légal, l’emploi, l’éducation et la sécurité comme le font les Etats souverains sur leurs territoires.
Quant aux réfugiés palestiniens, il est temps d’adopter une solution juste, respectant leur dignité et leur identité nationale en collaboration avec les Nations Unies.
3) Le respect de la souveraineté de l’Etat, ceci impose que la souveraineté nationale soit exclusivement sous la protection des forces armées légitimes. Cela suppose aussi, l’application des résolutions onusiennes auxquelles le Liban est signataire.
Aujourd’hui, le Liban est confronté à un coup d’état mené par le Hezbollah contre les résolutions des Nations Unies 1559, 1680, 1701 et 2650.
Le Hezbollah se comporte depuis plusieurs années comme le véritable dirigeant du Liban, c’est lui qui décida le 8 octobre 2023 d’ouvrir un front de soutien à Ghaza à partir du Liban sud et voici le résultat de ce soutien après 11 mois : Des milliers de morts et de blessés, des destructions de villages entiers, un nouvel exode interne et vie sous les bombes….
Afin d’épargner au Liban un chemin de non-retour, il est nécessaire de mettre le Liban à l’abri de l’emprise du Hezbollah, de le démilitariser, d’appliquer la résolution 1701 et remettre toutes les armes illégales entre les mains de l’Etat.
4) Le respect de la richesse nationale. Le Liban n’est pas un pays pauvre ; c’est un pays appauvri par la corruption, la violation du bien commun, et le détournement des fonds publics et dépôts bancaires privés.
Ceci dit, il est temps de mettre fin à la culture de l’impunité au Liban. Il est temps d’établir un plan de redressement économique, financier et fiscal complet et intégré, en identifiant les responsables de l’effondrement. De telles réformes garantissent le retour de la confiance et relancent le cycle économique et la production d’une manière qui contribuerait à reconstruire les avantages différentiels du Liban et ouvrirait la voie aux déposants pour récupérer leur argent.
5) Le respect de l’identité plurielle et culturelle. Le Liban est un pays d’entrecoupement de trois grands continents, à savoir l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Il offre l’un des exemples les plus anciens de société complexe au vrai sens du terme. Ce qui se laisse miroiter dans la société libanaise où nous voyons une pluriethnicité et une pluri culturalité qui façonnent une personnalité à identité plurielle.
Les chrétiens du Liban constituent la pierre angulaire de cette identité, ils sont fiers de leur passé Glorieux : créer la première démocratie au Moyen Orient, réussir un modèle de convivialité intercommunautaire, initier la renaissance Culturelle dans le monde Arabe, sauver la langue Arabe au temps des ottomans, libérer la femme en lui octroyant son droit à l’éducation bien avant le temps de la révolution française…
Si le Liban est à la croisée des Chemins, son salut consiste à respecter sa culture, sa spécificité et son patrimoine. La culture est depuis toujours un outil puissant pour la survie humaine, elle est nécessaire pour la survie et la prospérité du Liban. Il faut tout d’abord la sauvegarder car c’est un phénomène fragile, elle se perd facilement et nous n’avons pas l’intention de la fragiliser ou de la faire tomber.
Je conclue cette intervention, en relevant que quels que soient les solutions qui seront envisagées ou proposées durant ce colloque, elles ne pourront pas être entreprises ou mises en exécution tant qu’un problème d’ordre politique n’est pas réglé.
Le Liban est dans l’œil d’un cyclone qui sévit depuis des décennies, à savoir le conflit israélo-palestinien, dont l’unique voie de sortie est la création d’un État palestinien.
Cette solution apportera la stabilité non seulement pour le Liban mais aussi pour le Moyen-Orient. Il n’existe pas de civilisation sans stabilité.