(Paris, Rome, 17 mai 2024). Xi scelle la visite de Poutine en Chine par une accolade. Moscou et Pékin semblent plus coordonnés que jamais. L’analyse de la rencontre par Flavia Lucenti (Luiss) et Giulia Sciorati (Lse)
L’alliance tacite entre Xi Jinping et Vladimir Poutine est devenue aujourd’hui l’un des partenariats les plus importants sur la scène politique internationale. Avec les deux dirigeants au pouvoir sans échéance précise, cette alliance est destinée à façonner la dynamique mondiale pour les années à venir, influençant notamment les États-Unis et, par extension, la stabilité du concept de l’Occident.
Au cœur de ce puissant partenariat se trouve le fort lien personnel entre Xi et Poutine, qui a émergé lors de l’étreinte singulière avec laquelle les deux hommes se sont serrés avant que le Russe ne quitte le sol chinois. Leurs rencontres fréquentes et leurs éloges mutuels reflètent un lien qui va au-delà de la simple commodité politique. Cette connexion personnelle a contribué à cimenter les relations entre leurs pays dans divers domaines, nous explique Emanuele Rossi dans les colonnes de «Formiche.net».
Mais il y a aussi un bilan, qui commence sur le plan économique, où la coopération sino-russe a atteint des niveaux sans précédent. La Chine est devenue le principal partenaire commercial de la Russie, fournissant une bouée de sauvetage économique grâce à l’augmentation des échanges, notamment dans les secteurs énergétiques (en profitant des rabais consentis par Moscou après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, dans l’objectif de maintenir le marché en vie), Pékin ne craignant pas les sanctions occidentales.
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Il y a ensuite la collaboration militaire, qui sort renforcée de la réunion, avec pour objectif de multiplier les exercices conjoints qu’ils mènent régulièrement, et probablement d’augmenter les ventes d’armes de manière significative. Si l’on considère la situation dans son ensemble, la Russie et la Chine semblent avoir créé l’équivalent fonctionnel d’une alliance militaire, forgée sur la base d’objectifs stratégiques communs.
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Des objectifs qui se reflètent dans le domaine de la diplomatie internationale, où Moscou et Pékin font preuve d’un haut degré de coordination. Ils votent souvent ensemble au Conseil de sécurité des Nations Unies et soutiennent mutuellement leurs discours politiques, à commencer par ceux anti-occidentaux. Cette solidarité diplomatique renforce leur position sur la scène mondiale, notamment aux yeux de certains pays du Sud (qui partagent des positions critiques envers l’Occident ou entendent être des tiers).
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Les deux pays partagent l’objectif commun de remettre en question ce qu’ils perçoivent comme l’hégémonie occidentale dans les processus de gouvernance mondiale, et c’est aussi la raison pour laquelle ils ont formé des alternatives, telles que les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), impliquant une partie importante de la population mondiale, dans le but de créer un ordre mondial multipolaire qui réduit l’influence occidentale.
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Les implications stratégiques de cette alliance sont profondes. Cela représente un défi important pour les États-Unis, inversant les stratégies diplomatiques antérieures qui cherchaient à diviser la Chine de l’Union soviétique. Aujourd’hui, la Chine et la Russie sont plus proches que jamais, incarnant un nouveau modèle de relations entre grandes puissances visant à contrer la domination américaine. Mais cette relation n’est pas équilibrée et la Chine semblant agir en tant que partenaire principal, tandis que la Russie se retrouve dans le rôle de partenaire junior.
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La visite de Poutine en Chine a une valeur bien plus symbolique pour la Russie, puisque Pékin reste l’un des rares partenaires sur lesquels Moscou peut compter pour «faire face à l’isolement international», note Giulia Sciorati, (boursière postdoctorale à l’Université de Trente, où elle étudie les relations Chine-Asie centrale). Pour l’experte, l’intérêt ne se situe pas seulement en termes bilatéraux, mais aussi multilatéraux : «Pensons à l’OCS, qui représente l’un des rares cadres multilatéraux non exclusivement liés à l’espace post-soviétique, dont la Russie est encore un acteur actif». L’importance de la visite pour Moscou est illustrée par le «personnalisme» avec lequel Poutine et son équipe de communication l’ont présentée, ajoute-t-elle.
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En outre, Sciorati souligne que le président russe était accompagné d’un entourage de fonctionnaires et d’entrepreneurs et, bien que cette circonstance ne soit pas si étrangère aux visites d’État normales, plusieurs observateurs ont émis l’hypothèse que cela était dû à une tentative des deux parties de se coordonner et de trouver des moyens de contourner les sanctions occidentales. «L’objectif est d’éviter que de nouvelles sanctions ne soient imposées, notamment à la Chine et à son tissu industriel. Un moyen pourrait être de trianguler le commerce bilatéral avec des pays tiers tels que les pays d’Asie centrale, avec lesquels la Chine a enregistré des volumes d’exportation beaucoup plus importants que par le passé, ce qui suggère qu’une telle pratique soit déjà en place».
«Il convient de noter que nous avons en quelque sorte reculé sur le plan rhétorique, car nous lisons dans la déclaration ‘partenariat stratégique’ (‘pour une nouvelle ère’) et non plus ‘amitié sans limites’ : donc au-delà de l’étreinte (ce qui s’est réellement produit, ndlr), il faut cependant s’attendre à ce que ce soit la Chine qui ait orienté les thèmes de la réunion», ajoute Flavia Lucenti, chercheuse postdoctorale à l’université Luiss. Pékin est clairement dans une position plus forte et plus favorable que la Russie, et «on peut le déduire de la définition ‘pour une nouvelle ère’, qui est une devise chinoise».
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Il semble que les deux hommes aient également discuté de l’approvisionnement énergétique : s’agit-il de donner de nouveaux débouchés au marché énergétique russe ? «Cela devient un problème pour l’Occident, car la seule façon d’affaiblir réellement la Russie de Poutine est de réduire ses exportations d’énergie. Tant que la Russie tire profit de ses exportations, elle est en mesure de financer et de poursuivre l’invasion de l’Ukraine». Lucenti souligne toutefois que «tôt ou tard, la Chine devra elle aussi se détacher de sa production d’énergie basée sur des combustibles fossiles polluants (ou du moins la réduire) et rechercher des sources plus respectueuses du climat et de l’environnement».
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Il y a ensuite la question technologique : «Moscou est de plus en plus isolée à cause de la guerre (son opération spéciale, Ndlr), les sanctions internationales et la fuite des cerveaux ne favorisant certainement pas le développement technologique russe, et cette situation la laisse considérablement à la traîne dans le défi technologique entre grandes puissances, en particulier entre la Chine et les États-Unis. Il est donc probable que Poutine tente de combler ces lacunes en recherchant le soutien de la Chine».