Vladimir Poutine, veut-il ouvrir un nouveau front anti-OTAN depuis la Libye ?

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(Paris, Rome, 25 février 2024). Le site spécialisé Formiche.net est en possession d’informations sur l’arrivée d’armements russes en Libye. Si l’information était confirmée, elle pourrait signifier que Moscou entend renforcer Haftar et ouvrir un nouveau front au milieu de la Méditerranée, contre l’Europe et l’OTAN

Selon des informations confidentielles recueillies par le site italien spécialisé «Formiche», de grandes quantités de matériel militaire lourd russe, notamment des chars et des véhicules blindés, arrivent en Libye, dans l’est du pays, la zone contrôlée plus ou moins militairement par le chef de guerre de Benghazi, Khalifa Haftar. Les liens du maréchal avec Moscou sont bien connus, un rang qu’il s’est lui-même attribué lorsqu’il a tenté de renverser le gouvernement soutenu par l’ONU à Tripoli, dans une période de l’histoire libyenne (avril 2019, octobre 2020) qui semble lointaine mais qui pourrait facilement revenir comme un scénario futur, dans une période d’impasse institutionnelle comme celle que l’on connaît actuellement, qui dure depuis au moins trois ans, écrit Emanuele Rossi dans «Formiche.net».

Selon les informations reçues, ces armes russes pourraient être destinées à Haftar, mais certains membres des forces de sécurité libyennes expliquent qu’il s’agit plutôt d’équipements sophistiqués pour la milice de Haftar (qui depuis 2014 s’appelle Armée nationale libyenne, mais qui est aussi constitué de miliciens sans expérience et sans compétences). Cet élément est parmi les plus intéressants : cela pourrait-il signifier que ces armes finiront par être directement utilisées par les Russes ?

En janvier 2017, Haftar est monté à bord du porte-avions «Admiral Kuznetsov» qui avait voyagé de Mourmask vers la Syrie, et a signé un accord de coopération avec Moscou. Déjà à cette époque, des spéculations circulaient selon lesquelles la Russie souhaitait transférer le modèle syrien en Libye, et c’est probablement l’intervention militaire turque pour protéger Tripoli qui a compliqué les plans. Le «généralissime» dispose d’un accord d’exploitation à travers Wagner, une entreprise militaire privée qui redémarre ses activités sous une nouvelle forme, après que le leader et fondateur Evgueny Prigozhin ait osé se rebeller contre Vladimir Poutine (et il a par hasard péri dans un accident d’avion quelques mois plus tard).

Wagner fait actuellement partie d’un réseau de sociétés militaires privées (Private Military Company, PMC) qui suivent les directives d’Andrei Averyanov, général du GRU, le renseignement militaire qui dirige les opérations de guerre hybride de Moscou, mais selon un récent rapport, les opérations sont partagées par diverses agences, qu’il s’agisse de pénétration commerciale ou d’assistance à la sécurité, de contrebande pour échapper aux sanctions internationales ou de trafic de migrants (autant d’activités que les PMC russes mènent en Afrique). Si la présence de ces sociétés en Afrique, telles que Convoy et Redut, actives en Ukraine, est fondamentale, leur présence en Libye l’est encore plus. Le pays possède une centralité géostratégique, situé au milieu de la Méditerranée et profondément connecté à la zone centre-sahélienne (où les Russes sont présents avec des sociétés PMC au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad, en République Centrafricaine et au Soudan).

Depuis le changement de marque après la mort de Prigozhin, les PMC sont appelés « Corps expéditionnaire », qui, sur ce continent deviennent « Corps africain ». En Libye, on estime à 800 le nombre d’entrepreneurs russes, tandis qu’environ 5.000 sont actifs dans d’autres pays du continent. Ils sont répartis dans trois bases libyennes : une dans le bassin pétrolier de Syrte, une à Al-Jufra et une à Brak al Shati. Ces postes sont utilisés à la fois par les forces de Haftar et les forces russes et deviennent souvent des plaques tournantes logistiques du réseau africain de Moscou. Depuis quelque temps, la possibilité que la Russie ouvre une base navale à Tobrouk est également évoquée, ce qui lui permettrait de disposer d’une autre rive au centre de la Méditerranée, après la base du Levant, à Tartous, en Syrie. Haftar en aurait parlé lors d’une récente visite à Moscou.

Le renforcement militaire libyen mentionné par les sources doit donc être replacé dans ce contexte. La Russie est désormais stratégiquement stabilisée dans l’est de la Libye, qui fait office de « porte d’entrée » entre les rives de la Méditerranée et les zones d’Afrique centrale. Cette présence peut avoir des conséquences à l’avantage de la Russie et au détriment de ses rivaux. Si la présence en Libye (ou ailleurs en Afrique) permet à Moscou de participer à l’exploitation des ressources naturelles dont ces pays sont riches, cela peut aussi nuire à l’Union européenne (et par extension à l’OTAN). Selon ce qu’a déclaré en mars dernier le ministre de la Défense Guido Crosetto, par exemple, les activités russes auraient favorisé l’augmentation des flux migratoires en provenance de l’est de la Libye, à la fois pour les affaires liées aux fils de Haftar, et pour déstabiliser les pays de l’Europe du Sud comme l’Italie, qui d’un point de vue politique, est particulièrement touchée par la question de l’immigration.

L’activité russe en Libye est certes en augmentation : l’ambassade à Tripoli a rouvert ses portes jeudi et, dans les prochains mois, le consulat de Benghazi pourrait commencer ses opérations. De manière générale, le risque d’un renforcement de la présence russe en Libye réside donc dans l’ouverture d’un nouveau front le long du flanc sud de l’OTAN, utilisant également les ambitions de Haftar comme instrument. « Si certaines informations s’avéraient exactes, le risque ne concernerait pas seulement l’ouverture potentielle d’une nouvelle saison militaire en Libye », explique Karim Mezran, directeur du programme Afrique du Nord au sein des programmes Moyen-Orient de l’Atlantic Council. « Cela pourrait se combiner avec la guerre en Ukraine, la déstabilisation des routes qui remontent la mer Rouge et le chaos des zones balkaniques comme le Kosovo : en d’autre terme, un nouveau front, méditerranéen cette fois, vise à affaiblir l’OTAN ».