(Rome, Paris, 24.12.2023). Celui qui contrôle le ciel peut gagner une guerre. Il s’agit de l’un des concepts clés exprimés dans le désormais célèbre essai de Valery Zalouzhny, chef des forces armées de Kiev, publié le mois dernier dans «The Economist». « L’armée ukrainienne a besoin de capacités et de technologies fondamentales pour renverser le cours du conflit. La plus importante d’entre elles est la puissance aérienne », écrit le général, reconnaissant que l’avantage russe dans ce domaine empêche ses hommes de mener des opérations terrestres de grande envergure. Maintenant que l’échec de la contre-offensive lancée par le président Volodymyr Zelensky semble avéré, les efforts stratégiques de l’Ukraine pourraient se concentrer précisément sur le facteur aérien et, par conséquent, sur les F-16, les avions à réaction tant attendus qui pourraient renverser le déroulement de la guerre contre la Russie.
Un espoir venu du ciel ?
Les premiers avions de chasse produits par Lockheed-Martin commencent à arriver dans les centres d’entraînement aux États-Unis, au Danemark et en Roumanie, nous explique Valerio Chiapparino du quotidien «Inside Over». Huit pilotes et 65 membres de l’équipe de soutien auraient en effet commencé la formation nécessaire dans la base danoise de Skrydstrup, tandis qu’un nombre indéterminé de soldats ont été envoyés en Arizona et dans la ville roumaine de Fetesti. Il convient de noter que, sur le nombre total d’avions (de l’ordre de plusieurs dizaines) fournis par les pays européens après le feu vert du président américain Joe Biden, aucune confirmation n’a émergé.
L’optimisme manifesté il y a quelques mois par le Président Zelensky lors de l’annonce de la concession des F-16 (ceux-ci étant produits aux Etats-Unis, Washington doit approuver leur transfert vers des pays tiers) a entre-temps été tempéré par les mauvaises nouvelles en provenance du front et par les considérations sur l’impact que les jets pourraient avoir sur la guerre. De nombreux analystes appellent à la prudence et même le général Zalouzhny a reconnu que la fourniture des avions de combat aurait pu faire une différence dans une phase initiale des opérations de guerre, d’autant plus que leur utilisation effective pourrait avoir lieu dans plusieurs mois. Selon diverses estimations, la livraison effective des F-16 à l’Ukraine est prévue pour 2025.
Malgré la supériorité de l’armée de l’air russe, au début de la guerre d’agression, Moscou a subi des pertes importantes lors de raids aériens massifs lancés contre des cibles ukrainiennes. Une circonstance qui a contraint les Russes à renoncer à des missions risquées en s’appuyant davantage sur les drones et les attaques aux missiles balistiques à longue portée. Si Kiev a réussi à tenir tête pendant près de deux ans à un conflit que Vladimir Poutine ne voulait voir durer que quelques jours, c’est aussi grâce à la mise en place, avec le soutien des alliés, d’une barrière de protection composée des systèmes «Iris-T», «Nasams» et «Patriot» en plus de l’utilisation de vieux MIG-29 produits par les Soviétiques. Un système de défense qui, dans les conditions actuelles, ne semble toutefois plus suffisant.
Le poids des F-16
Depuis leur entrée en service à la fin des années 1970, les F-16 ont été améliorés et utilisés dans de nombreuses missions, de la guerre du Golfe au Kosovo en passant par l’Afghanistan et l’Irak. Environ 25 pays en possèdent, dans différentes versions, et on en dénombre plus de 4.600 unités dans le monde. Comparés aux avions russes, les jets de fabrication américaine peuvent transporter plus d’armes, disposent d’un cockpit plus fonctionnel et seraient plus efficaces pour mener des opérations de défense aérienne et d’attaque contre des cibles terrestres.
En revanche, les F-16 sont chers, ils ne sont pas particulièrement adaptés à l’atterrissage et au décollage sur les pistes non optimales de l’Ukraine, et leurs radars, bien que plus puissants que ceux inclus dans les avions déjà fournis aux forces de Kiev, ne serait pas capable d’éliminer l’avantage des radars russes. « Les F-16 sont des avions à réaction précieux et fragiles », a déclaré à Reuters Kelly Grieco, experte au «Stimson Center». De plus, la formation des pilotes prend plusieurs mois. « Il ne suffit pas de les former aux tâches les plus essentielles si l’on veut tirer le meilleur parti de ces avions. Il faut leur apprendre les choses les plus complexes », explique pour sa part Brynn Tannehill, ancien pilote de l’US Navy.
Afin de comprendre la complexité liée à l’octroi de F-16 à l’Ukraine, l’ancien ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, a déclaré aux journalistes de Sky News qu’«il ne s’agit pas de céder un système d’armement. Il s’agit de déplacer une plateforme». Le ministre fait ensuite référence aux courses automobiles : comme en Formule 1, «on ne donne pas seulement une voiture, mais donne une équipe», a-t-il dit.
Il est difficile pour l’heure de conclure que l’arrivée non immédiate des avions américains pourrait changer la donne comme le souhaiteraient Volodymyr Zelensky et ses alliés occidentaux. Ce point de vue est partagé par une importante partie de la communauté des experts, qui estiment que toute contribution positive apportée par les F-16 se mesurerait en années, et non en mois. Le risque est que d’ici là, il n’y ait plus de guerre à mener pour l’Ukraine.