D’une stratégie offensive à une stratégie défensive: pourquoi les plans de la Russie et de l’Ukraine changent-ils ?

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(Rome, Paris, 16.12.2023). Il est souvent difficile de jongler dans le bourbier médiatique de la guerre en Ukraine. L’année 2022 s’est terminée par la reconquête par Kiev de la ville de Kherson, qui fait suite à la reconquête des territoires dans les régions de Kharkiv ayant eu lieu en septembre. Un contexte dans lequel l’inertie semblait être passée aux mains de l’Ukraine, dont l’armée pouvait ainsi préparer la contre-offensive en vue de l’été. Mais 2023 n’a pas donné lieu à des retournements majeurs de la situation du front. En outre, l’année s’était ouverte avec la conquête de Soledar d’abord, puis de Bakhmout par les Russes, écrit Mauro Indelicato dans «Inside Over».

Des circonstances qui ont alimenté de forts doutes sur la capacité réelle de Kiev à poursuivre la guerre. Par ailleurs, il y a quelques jours, un article du Washington Post soulignait comment les plans ukrainiens de contre-offensive avaient échoué quelques heures après le début des attaques. À cela, s’ajoutent les désaccords et les querelles internes à Kiev, qui sont apparus principalement entre les dirigeants politiques et militaires.

Cependant, l’échec de l’avancée ukrainienne n’a pas été suivi d’une percée russe. Les forces de Moscou recommencèrent à attaquer, comme dans le cas du front d’Advika, mais sans gagner de terrain de manière significative. L’impression est que, du moins pour le moment, les deux parties sur le terrain ne sont pas en mesure de provoquer des bouleversements majeurs. En d’autres termes, la guerre pourrait être entrée dans une phase d’impasse caractérisée par de fortes frictions entre les deux armées le long des fronts.

Kiev sur la défensive

Le mois de décembre s’est ouvert sur un message très important du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Lors de ses vidéos quotidiennes sur sa chaîne Telegram, le chef de l’Etat a annoncé le début d’une nouvelle phase dans l’effort de guerre de Kiev. Le feu vert a notamment été donné à la construction de fortifications le long des principales lignes de front. Même dans les campagnes de la région de Zaporizhia, où les Ukrainiens ont concentré de nombreux efforts ces derniers mois pour gagner du terrain.

Cela signifie donc que l’armée est désormais entrée dans une phase défensive. L’impératif pour ces mois d’hiver est d’installer un système de barrières et de tranchées visant à consolider les positions. Il ne devrait donc pas y avoir de nouvelles attaques contre des positions adverses. Le choix de Zelensky pourrait être une conséquence directe de ce qui s’est passé à Zaporizhia. C’est là que l’avancée ukrainienne ne s’est pas déroulée comme prévu.

Plusieurs facteurs ont influencé l’incapacité des Ukrainiens à réaliser de gains territoriaux clairs. Toujours dans le journal américain, des analystes, entre autres, ont émis l’hypothèse de l’écart entre les conseils donnés par les responsables américains et les décisions prises alors à Kiev. En particulier, l’armée de Washington aurait poussé à une ligne d’avancée unique afin de créer les conditions d’une percée du front. Au contraire, les Ukrainiens ont alors choisi d’attaquer dans trois directions. Quoi qu’il en soit, Zelensky veut désormais éviter de nouvelles pertes et renforcer le front en prévision, peut-être, du printemps prochain. Lorsque les conditions météorologiques, la mise en place éventuelle d’une nouvelle force aérienne ukrainienne et l’arrivée de nouveaux renforts, pourraient conduire à la planification de nouvelles attaques.

Les actions de Moscou entre Donetsk et Koupiansk

Le changement de stratégie ukrainienne a permis au Kremlin d’adopter une approche plus détendue du conflit. Cela a également été constaté, comme l’a souligné l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), dans le discours du président russe Vladimir Poutine du 14 décembre.

A lire : Ce qu’a dit le Tsar Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse

A cette occasion, le dirigeant du Kremlin a tenu la traditionnelle rencontre avec la presse, qui était également ouverte aux questions du public. Dans ses réponses, Poutine semblait moins réticent à parler de la guerre et était en effet disposé à répondre aux questions les plus urgentes liées au conflit. Après les reconquêtes ukrainiennes fin 2022, les tensions avec Evgueny Prigozhin et la tentative de marche de ce dernier sur Moscou, pour le président russe, pouvoir observer les Ukrainiens se mettre sur la défensive représente presque une victoire.

Cependant, l’optimisme et la confiance accrue apparus ces derniers jours n’ont guère trompé les dirigeants russes de la défense. Le haut commandement de l’armée de Moscou est bien conscient qu’un échec des Ukrainiens à réaliser une percée n’est pas suivi d’une avancée majeure des Russes. Il faut en effet rappeler qu’après la prise de Marioupol et Severodonestk entre le printemps et l’été 2022, les plans du Kremlin prévoyaient également une capitulation rapide des villes de Slovjansk et Kramatorsk. Cependant, ces deux centres sont aujourd’hui éloignés du front et hors de portée des forces russes.

La stratégie de Moscou semble pour l’instant se limiter à une série d’assauts locaux concentrés sur une ligne de front allant de Koupiansk, dans la région de Kharkiv, à Advika, au sud de Donetsk. Là, les Russes ont tenté d’avancer, mais les attaques ont été repoussées. Cependant, de petits gains territoriaux ont été enregistrés au cours des dernières heures. L’impression est que, conscients de ne pas pouvoir percer le front, les Russes tentent la tactique d’une érosion lente mais constante du territoire au détriment de Kiev. Une façon de maintenir sous pression l’armée adverse et de pouvoir revendiquer, également devant la presse, des avancées lentes.

Deux armées incapables d’avancer

La dynamique générale du conflit, plus de 18 mois après son déclenchement, apparaît ainsi plus clairement. Après les premières avancées russes dans le sud et l’est de l’Ukraine, Moscou a eu tout le temps de consolider ses défenses au cours de l’année dernière. La création d’un vaste système de fortifications depuis le Dniepr jusqu’à Donetsk a représenté l’élément décisif qui a permis aux Russes de bloquer l’avancée ukrainienne tentée l’été dernier. Kiev, de son côté, après avoir stoppé les avancées russes début 2022 et avoir pu récupérer plusieurs territoires à Kharkiv et Kherson, a réussi à organiser d’importants systèmes défensifs de ce côté des lignes de front est et sud.

Le résultat est donc que les deux armées ne parviennent pas à percer. Nous sommes désormais parvenus à une phase d’impasse importante, qui va probablement perdurer pendant un certain temps. Il est difficile de dire si l’impasse conduira à des contacts politiques sérieux entre les parties. D’autant qu’à en juger par l’aide occidentale arrivant en Ukraine et par les actions de l’appareil de défense russe, tant Kiev que Moscou se préparent à des phases de guerre encore assez longues.