(Rome, Paris, 04.12.2023). Une analyse des médias russes réalisée par Julia Davis pour le «CEPA», révèle un récit qui confirme les prévisions pessimistes des stratèges occidentaux, selon lesquelles la victoire de Poutine en Ukraine conduirait à de nouveaux actes expansionnistes de la part de Moscou. Attention aux Balkans, dit Zelensky. Une région à surveiller
L’hésitation actuelle de l’Occident face au conflit en Ukraine est interprétée par le Kremlin comme un symbole d’espoir. Espoir d’une victoire toujours plus proche dans ce que l’appareil de propagande russe qualifie de sacro-sainte «opération militaire spéciale», où (jusqu’à présent) plus de trois cent mille Russes se sont sacrifiés pour le bien commun de leur peuple et de leur pays. Ou plutôt aux ambitions du dirigeant Vladimir Poutine. Une invasion, certes, mais une invasion juste, dit la propagande du Kremlin, nous explique Lorenzo Piccioli dans son décryptage dans «Formiche».
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Dans un article publié par le «Center for European Policy Analysis», la journaliste et experte russe Julia Davis tire la sonnette d’alarme sur la vivacité du système visant à promouvoir le discours officiel de Moscou, en choisissant un titre très significatif : «Give the Kremlin an Inch and it Will Take Half of Europe» (Donnez au Kremlin un pouce, et il prendra la moitié de l’Europe).
L’analyse décrit la rhétorique répandue dans la sphère médiatique publique russe, poussée à l’extrême non pas tant pour justifier logiquement que pour amplifier l’approche du Kremlin en matière de politique étrangère. Des menaces si peu voilées qu’elles apparaissent presque évidentes aux opposants du régime actuel de Moscou jusqu’aux références historiques à la grandeur passée de l’État russe sous sa forme plus ou moins soviétique. Nous regardons déjà au-delà de l’Ukraine. « La Pologne pourrait être le prochain candidat à être écrasée par les chars russes », a déclaré l’écrivain Dmitri Lekuh, ajoutant également que « diviser la Pologne entre la Russie et l’Allemagne est notre passe-temps national ». Tandis que Vladimir Soloviev figure emblématique de la propagande télévisée russe, affirme que « nous sommes entrés dans une période de changements géopolitiques colossaux. De nombreuses formations accidentelles, incapables de disposer de leur propre État, pourraient ne pas survivre à cette époque. Je fais référence aux États baltes et à l’ensemble de l’Europe. Je ne crois pas que les frontières européennes dans leur configuration actuelle, continueront d’exister encore longtemps. Je ne vois aucune raison pour laquelle elles devraient exister ».
Davis, spécialiste du langage de la propagande russe, décrit la menace qui émerge du discours d’information de Moscou : « Faire appel à la moralité ou à l’humanité du Kremlin est un exercice futile. La Russie de Poutine n’est pas limitée par de nobles idéaux, mais uniquement par ses capacités. Les discussions occidentales sur la possibilité d’abandonner l’Ukraine et de la forcer à conclure un accord de paix avec la Russie encouragent Moscou à étendre son offensive, par des moyens militaires et non militaires. Ceux qui espèrent l’apaiser commettent une grave erreur : si l’on cède un peu de terrain au régime, il n’en demandera que davantage ».
La «tactique du salami*». Un drôle de terme, existant dans le langage officiel de la théorie des relations internationales, et employé précisément pour décrire des processus similaires à celui que mène la Russie depuis plus d’une décennie : une série de petites opérations militaires plus ou moins conventionnelles, dont chacune garantit l’acquisition d’une portion de territoire. De la guerre en Géorgie au fait accompli de Crimée, des soulèvements séparatistes du Donbass à l’invasion à grande échelle de février 2022, Vladimir Poutine tente d’étendre, notamment à l’intérieur du « proche étranger », les frontières de sa Russie. Tranche après tranche.
Les pays voisins sont évidemment considérés comme les plus exposés à des risques similaires. La référence aux pays baltes et à la Pologne par le propagandiste russe rapportée par Davis n’est pas fortuite. De même que la décision de la Suède, et plus encore de la Finlande, de rejoindre l’Alliance atlantique afin de mieux se protéger d’éventuels coups de Moscou n’était pas non plus fortuite. Mais les visées du Kremlin sont profondes et touchent des régions aussi éloignées physiquement de la Russie qu’elles y sont étroitement liées.
Tout comme dans la zone des Balkans. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré que la Russie se préparait à agir dans la région, en exploitant ses liens historiques avec la Serbie et sa présence en Transnistrie, pour tenter de provoquer de nouvelles fractures sur le front occidental et ainsi le rapprocher du point de rupture. Afin qu’elle puisse finir d’engloutir l’ensemble de l’Ukraine avant que son adhésion aux instances internationales occidentales ne la rende impossible.
Cette même Serbie où Giorgia Meloni a fait escale à son retour de la Cop28, dans le but de promouvoir les nombreux dossiers italiens dans la région, des migrants à la transition énergétique. Des dossiers qui, pourtant, reposent tous sur la stabilité de cette zone qui a valu le surnom de « poudrière », et qu’une action bien étudiée par les services du GRU ou du SVR, pourrait remettre sur le devant de la scène, facilitant sa pénétration au détriment de celle des autres. Profitant ensuite de la position acquise comme un tremplin pour une nouvelle expansion dans la zone. Tranche après tranche.
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* La «tactique du salami» est une expression inventée par l’homme politique hongrois Mátyás Rákosi, chef du Parti communiste hongrois, pour décrire l’élimination progressive des pouvoirs extérieurs au communisme, « tranche après tranche, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien ».