Liban: des assassinats et des arrestations des victimes! Halte aux manipulations et machinations

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(Montréal, 05 avril 2020) L’assassinat du responsable du contre-espionnage du Hezbollah, Ali Younès, ce samedi 4 avril, « peut être un acte isolé lié à des affaires financières dans un pays en crise, ou à une affaire de mœurs ou de cœurs. Son exécution peut également être liée à un règlement de compte intérieur au Parti de Dieu, comme elle peut relever d’une simple élimination d’un témoin encombrant, comme le Parti en a l’habitude », souligne en substance un ancien enquêteur des Forces de sécurité intérieur, maintenant à la retraite. Notre interlocuteur rappelle en effet que « des zones d’omble planent toujours sur les assassinats de nombreux responsables du Hezbollah, comme Imad Moughnieh, Mustapha Badreddine, ou encore des témoins clés dans le procès Hariri… » qui ont tous péri mystérieusement en Syrie. Ils étaient devenus encombrants pour leur maître, comme le fussent aussi des officiers syriens exécutés sur ordre, dont les plus célèbres les sinistres généraux Ghazi Kanaan, Jameh Jameh et Roustom Ghazalé. Tout ce beau monde était impliqué, d’une façon ou d’une autre, dans l’assassinat de Rafic Hariri.

Dans ce nouvel assassinat, notre source relève des détails qui pourraient être des indicateurs significatifs, comme l’annonce de la mort de Younès par l’agence iranienne Fars, qui accuse « le Mossad israélien et ses agents locaux » et qui s’octroie ainsi un large spectre aux accusations pour pouvoir manipuler les enquêtes en fonction des intérêts du moment. Mais techniquement, il semble difficile que les services israéliens puissent s’aventurer dans une zone sous haute surveillance, et où le Hezbollah est maître du terrain, et qu’ils tiennent une embuscade en utilisant trois véhicules, dont un tout terrain, pour liquider Younès, alors qu’ils auraient pu l’abattre par un drone dont ils ont la maîtrise.

Un autre détail frappe l’ancien officier: « l’assassinat de Younès, chargé de traquer les espions et anciens agents d’Israël, notamment les membres de l’Armée du Liban Sud (ALS), intervient quelques semaines après l’exfiltration de Amer Fakhoury, ancien membre de cette force supplétive de l’Etat hébreux, accusé de tortures et autres exactions dans la prison de Khyam jusqu’en 1998. Réfugié depuis aux Etats-Unis et porteur de la nationalité américaine, cet ancien geôlier est revenu au Liban en septembre dernier, avec, semble-t-il des garanties du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Gebran Bassil, qu’il a souvent rencontré à Washington. Il fut arrêté à sa descente d’avion et la justice militaire l’a acquitté, ses crimes présumés remontant à plus de 20 ans. Le président du tribunal militaire a démissionné pour éviter les pressions politiques, et Fakhoury a été exfiltré par hélicoptère depuis l’ambassade, vers Chypre, puis vers les Etats-Unis. Mais des responsables du Hezbollah n’ont pas digéré la couleuvre qu’ils venaient d’avaler et sont suspectés d’avoir organisé l’exécution d’un ancien adjoint de Fakhoury, Antoine Hayek, dans sa boutique de Miyé-Miyé, dans la région de Saïda. Cet assassinat et l’absence d’une enquête sérieuse ont fait monter la pression dans la région, d’autant plus que pour les proches de Hayek, ses assassins sont visibles à la vidéo-surveillance. Les autorités peuvent les identifier, les arrêter et les juger. Là aussi, des soupçons planent sur Younès qui serait identifiable sur les enregistrements. Le Hezbollah aurait-il choisi de l’exécuter pour ne pas le livrer? Et de surcroît, pour pouvoir exploiter son assassinat politiquement?

Par extension, un détail est encore plus inquiétant, poursuit notre interlocuteur: « l’assassinat de Younès intervient le 4 avril, date anniversaire de la tentative d’assassinat de Samir Geagea, chef du parti des Forces Libanaises, par un sniper (2012). Comme il l’a toujours été, Geagea est aujourd’hui le plus important obstacle à la mainmise du Hezbollah sur le Liban. A défaut de pouvoir l’abattre physiquement, le Parti de Dieu pourrait ainsi chercher à le neutraliser médiatiquement et politiquement en lui attribuant l’assassinat de Younès pour venger Hayek en choisissant une date symbolique. Dans ce scénario, l’assassinat de Younès serait le fait du même Hezbollah. C’est exactement le scénario qui avait conduit en 1994 à dissoudre les Forces Libanaises et à emprisonner Geagea. Le système sécuritaire de l’époque lui avait attribué l’attentat dans l’église de Notre Dame de la Délivrance » (9 morts et plusieurs dizaines de blessés parmi les fidèles, fin février 1994)

Les Libanais redoutent ainsi une multiplication des assassinats dans lesquels les autorités arrêtent systématiquement les victimes, exécutées de sang froid, et classent les affaires sans suite, car les exécutants restent inconnus. Ces dossiers pourraient ainsi ressortir des tiroirs de la justice, aux ordres, pour viser telle ou telle autre partie. Et notre interlocuteur conclut: « cela peut aller des ennemis de l’extérieur (Israël ainsi que les djihadistes des pays du Golfe engagés contre le Hezbollah et l’Iran dont il est le bras armé extérieur), ou des adversaires de l’intérieur » y compris de l’intérieur du Parti.

Sanaa T.