Un accord sur le blé et au-delà. Le tête-à-tête entre Erdogan et Poutine

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(Rome, Paris, 04.09.2023). A Sotchi, Erdoğan est l’invité de Poutine pour discuter de questions contingentes et de scénarios stratégiques. D’une part, il y a la nécessité de relancer l’accord sur le blé ukrainien que la Russie a rompu il y a deux mois. De l’autre, il existe la possibilité (pour les États-Unis, l’UE, l’OTAN) d’utiliser la Turquie comme canal pour maintenir actif le dialogue avec Moscou. Toujours dans l’optique de négociations, lorsque les conditions sur le terrain le permettront

Le président russe Vladimir Poutine a déclaré que Moscou était « ouvert aux négociations » pour revenir à un accord sur le passage des céréales (ukrainiennes) par la mer Noire, auparavant négocié par les Nations Unies puis suspendu à la demande de Moscou comme arme de coercition économique dans le cadre de la campagne d’invasion militaire de l’Ukraine. Il s’agit «l’apéritif» de la rencontre avec le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, l’un des rares dirigeants internationaux appartenant également au monde occidental (via l’OTAN) qui n’a pas perdu le contact avec le satrape du Kremlin, comme le rapporte Ferruccio Michelin dans le quotidien «Formiche».

Les récits et les intérêts

Lors d’une déclaration commune avant la rencontre en tête-à-tête (avec Erdoğan) d’aujourd’hui dans la ville de Sotchi, le Camp David de Poutine, le président russe a déclaré que les deux parties « n’éviteront pas les questions liées à la crise ukrainienne ». « Je sais que vous souhaitez soulever la question de l’accord sur les céréales. Nous sommes ouverts aux négociations », a déclaré Poutine. Erdoğan a déclaré qu’un accord sur le blé serait « très important » pour les pays en développement d’Afrique : « Le monde attend le résultat aujourd’hui. » Ankara, comme Moscou, a un objectif (parmi d’autres) de sa grande stratégie internationale, de se faire le vecteur des besoins des pays du Sud, où la question de la guerre en Ukraine est perçu dans une perspective très pragmatique liée à l’approvisionnement en matières premières (y compris des denrées alimentaires comme le blé) et non au dualisme des démocraties contre l’autoritarisme.

L’accord sur les céréales

La rencontre entre Poutine et Erdoğan intervient près de deux mois après le retrait de Moscou de l’accord céréalier, qui permettait l’exportation d’environ 33 millions de tonnes de céréales produites en Ukraine via la mer Noire. Le dirigeant turc a tenté de jouer un rôle de médiateur entre la Russie et l’Occident. Ankara a refusé d’adhérer aux sanctions occidentales contre la Russie et les deux pays ont renforcé leurs liens économiques depuis le début de la guerre en Ukraine l’année dernière. Cependant, la Turquie, membre de l’OTAN, a également joué un rôle clé dans la négociation de l’accord initial sur le blé, signé en juillet 2022 (selon le comité de coordination de l’accord, plus de la moitié des denrées alimentaires, avait été livrée aux pays en développement, dont la Turquie). La sortie de la Russie de l’accord a fait craindre une crise alimentaire potentielle dans certaines régions d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Moscou s’est alors ouvert à des exceptions lors du sommet avec les pays africains fin juillet.

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Ces exceptions étaient censées alléger le fardeau des expéditions manquées, mais dans l’ensemble, les céréales que la Russie envoie directement ne seront destinées qu’aux pays amis sur le continent.

La confrontation sur la mer Noire

Sans accès sécurisé aux ports de la mer Noire, les exportateurs ukrainiens ont été contraints de modifier les itinéraires d’exportation des céréales par voie terrestre et via les ports du Danube, à des coûts nettement plus élevés, ce qui pourrait entraîner une réduction des cultures, alimentant les craintes d’une future famine alimentaire.

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Preuve de la détérioration de la situation au cours des dernières semaines, la Russie a lancé une série d’attaques dans la région sud de l’Ukraine, notamment dans les ports du Danube comme Izmail. Kiev affirme même que les attaques de lundi soir ayant visé cette zone, ont traversé le fleuve et touché le territoire de la Roumanie, membre de l’OTAN.

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La Commission européenne a déclaré que « l’on s’attend généralement à ce que la Russie rejoigne au moins l’accord sur le blé de la mer Noire » et qu’elle cesse de « cibler spécifiquement les exportations de blé ukrainien ». Les attaques contre les ports du Danube « démontrent une fois de plus que la Russie aggrave la crise alimentaire mondiale par ses actions, qui mettent en danger des millions de personnes vulnérables dans le monde », a ajouté la Commission.

Ce que cherche Erdoğan

Avant la rencontre avec Erdoğan, Moscou, pour réintégrer l’accord, avait présenté une série de revendications. La Russie a longtemps soutenu que l’accord initial avait été appliqué de manière injuste, arguant que les sanctions occidentales ont empêché la mise en œuvre d’un accord parallèle autorisant l’exportation de divers produits agricoles depuis Moscou. La Russie est particulièrement irritée de ne pas avoir pu exporter de l’ammoniac, un composant clé des engrais, à travers le territoire sous contrôle ukrainien. Dans ce contexte, le président turc cherche un espace diplomatique. Tout d’abord, il veut se revendiquer comme l’acteur clé de la mer Noire, sur laquelle la Turquie est le pays ayant le plus de kilomètres de côtes et actuellement la puissance régionale de référence pour l’Occident. Un rôle qu’elle revendique également dans le dialogue général avec Moscou. Aussi ambiguë soit-elle, la Turquie constitue un canal utile pour l’OTAN (et donc pour les États-Unis et l’UE, les principaux adversaires internationaux de la Russie) afin de maintenir le contact avec Moscou. D’autant plus que les choses pourraient commencer à bouger au niveau des négociations, à condition que les éléments réels soient réunis sur le terrain pour pouvoir faire avancer la diplomatie.