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Les intérêts de la Turquie et de la Russie se heurtent dans la Caspienne. Le rôle du Kazakhstan

(Paris, Rome, 03.08.2023). La Turquie et le Kazakhstan lancent un projet commun de construction de nouveaux navires de guerre, soutenant les ambitions géopolitiques d’Astana dans la Caspienne. Cette dynamique s’inscrit parfaitement dans le processus de rapprochement général mené par Istanbul vers les pays de la plaine turc, en essayant de les attirer dans son orbite. Et donc les retirer de celui de Moscou

Depuis l’époque soviétique, rappelle Lorenzo Piccioli dans le quotidien «Formiche», Moscou a toujours dominé les eaux de la mer Caspienne, considérée presque comme une mer intérieure. Cependant, ces dernières années, la flottille caspienne de la marine russe semble en passe de perdre sa suprématie dans ces flots. Pas tant à cause de pays côtiers comme le Turkménistan ou l’Iran, dont les petites flottes ont été développées principalement pour assurer des fonctions de recherche et de sauvetage ou pour protéger les infrastructures énergétiques offshore, mais plutôt à cause des ambitions d’autres acteurs. Comme, par exemple, le cas du Kazakhstan.

Bien qu’elle n’ait reçu aucun navire à la suite de la dissolution/dislocation de l’Union soviétique, Astana s’est immédiatement efforcé pour se doter d’une marine capable d’opérer dans le bassin caspien, soit en achetant des navires produits par des pays étrangers soit en les construisant avec l’aide d’entreprises manufacturières étrangères. En conséquence, la flotte militaire du Kazakhstan est devenue la plus importante de toutes celles des États riverains, y compris la Russie. Alors que cette dernière détient toujours le record en termes de puissance de feu, la flotte d’Astana semble mieux adaptée aux conditions d’exploitation d’un réservoir marqué par l’envasement, en raison de sa petite taille et de sa capacité à naviguer dans des eaux moins profondes. Et tandis que la Russie consacre de moins en moins de ressources à la flottille caspienne, le Kazakhstan augmente les effectifs, s’appuyant ainsi sur des partenaires inhabituels.

Après avoir collaboré pendant des années avec la Fédération de Russie sur des projets de construction de nouvelles unités pour la marine (le dernier accord ayant été signé en 2010), Astana a décidé de regarder ailleurs. La nouvelle de l’accord conclu entre le producteur « kazakh Zenith » et les homologues turcs « ASFAT et YDA Group » pour la construction de nouveaux navires dans l’usine de construction navale d’Uralsk, remonte à il y a quelques jours. Bien qu’il s’agisse de la première forme de coopération dans le domaine naval entre la Turquie et le Kazakhstan, elle s’inscrit dans un système plus large de coopération entre les industries turques et kazakhes dans le secteur de la défense et de la sécurité.

Cette collaboration s’inscrit, à son tour, dans un projet plus général de renforcement des liens économico-militaires promu par Istanbul à l’égard de l’ensemble du «Turkestan». Les ambitions panturaniques du président Recep Tayyip Erdoğan sont bien connues et agissent comme un propulseur de la politique étrangère turque sur le flanc oriental du pays. Le soutien à l’Azerbaïdjan lors du conflit du Haut-Karabakh et le rapprochement avec les pays «Stan» (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Afghanistan …) au lendemain de l’éclatement de la crise en Ukraine en sont de parfaits exemples, notamment parce que toutes ces initiatives partagent le plus petit dénominateur commun d’aller au détriment des intérêts de Moscou dans la région. En facilitant le découplage kazakh de la Russie dans le secteur de l’industrie de défense, Istanbul soutient par conséquent l’autonomie diplomatique de l’Etat d’Asie centrale.

Toutefois, ces opérations doivent être considérées pour ce qu’elles sont : de petites tentatives d’érosion de la suprématie russe dans la région. Non seulement Moscou continue de représenter un partenaire diplomatique fondamental pour Astana et les autres capitales de la région, mais elle reste de loin la puissance militaire dominante. Dans le même temps, cependant, il n’est pas impossible de dire qu’à moyen et long terme, l’effet domino de toutes ces initiatives, ainsi que l’évolution du contexte géopolitique mondial, conduiront à une transformation du scénario local, avec une Fédération de Russie dans une position de force nettement inférieure à celle d’aujourd’hui.

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