(Paris, Rome, 01.07.2023). Des rumeurs en provenance de Libye sur un éventuel bombardement des positions du groupe Wagner. Perplexité sur ce qui s’est passé, qui en tout cas crée le chaos dans un contexte délicat
Une source du ministère libyen de la Défense a révélé à «Arab 21» que des drones appartenant au gouvernement d’union nationale (GNU) ont bombardé des sites appartenant au groupe russe sur la base de Kharouba dans l’est du pays. Il s’agit de l’aéroport militaire connu sous le nom d’al Khadim, centre de protection aérienne que des unités russes, émiraties et égyptiennes avaient fourni lors de la tentative de conquête de Tripoli que le chef de milice de Benghazi, Khalifa Haftar, avait lancée entre avril 2019 et octobre 2020.
La circonstance est surprenante, explique Emanuele Rossi dans le quotidien «Formiche», bien que la nouvelle ne soit pas officiellement confirmée : en effet, elle a déjà été démentie depuis la Cyrénaïque. La source d’Arabi 21 – un site populaire basé à Londres – affirme que des appareils d’attaque au sol sans pilote de fabrication turque ont été utilisés. Plus précisément l’«Akinci», reçu par le gouvernement libyen grâce à l’accord de coopération militaire signé avec Ankara (le même qui a permis au précédent gouvernement de Tripoli de repousser l’assaut de Haftar).
La base d’al Khadim, à l’est d’al Marj, est l’un des postes logistiques utilisés par le groupe de mercenaires russes qui, la semaine dernière, a défié le pouvoir de Poutine. L’infrastructure est fortement surveillée par le Renseignement occidental, notamment par la CIA. Lorsque le chef de l’agence américaine, William Burns, s’était rendu en mission en Libye ces derniers mois, il avait rencontré à la fois le Premier ministre Abdelhamid Dabaiba et Khalifa Haftar dans un objectif de trouver un moyen d’évincer Wagner du pays, à commencer par al Khadim.
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Les tentatives de contact avec Haftar, tant privé que public (comme la rencontre au Palazzo Chigi avec la Première ministre Giorgia Meloni) servent également cet objectif : tenter de désengager le chef de milice du groupe d’Evgueny Prigozhin. Haftar est un interlocuteur qui contrôle une partie du pays, au-delà des responsabilités (passées et en partie présentes) de la déstabilisation, où nombreux ceux qui pensent qu’il devrait être inclus dans le processus de recomposition socio-politico-institutionnelle en cours. Mais à condition qu’il sépare son destin de celui du groupe russe.
Dans l’est de la Libye, divers démentis de l’attaque présumée ont été apportés. Des sources expliquent que la situation n’est pas claire, mais ce qui se passe signifie qu’il y a des intérêts à compliquer la situation actuelle. Si l’attaque était effectivement menée, cela signifierait que le cessez-le-feu entre Haftar et les forces de Tripoli pourrait être rompu, à moins que Haftar n’accepte que les positions russes soient frappées. Dans le cas contraire, il n’en reste pas moins que quelqu’un semble intéressé à modifier l’équilibre en diffusant de fausses informations.
Cela ne serait pas surprenant. « Malgré le retrait de certains groupes armés, dont les milices de Wagner et des mercenaires syriens, dans un avenir proche, rien ne laisse présager que la Libye sera à l’abri des influences étrangères », a déclaré ces derniers jours Stefano Turchetto, commandant de l’opération « Irini » au Parlement européen pour informer les députés de l’évolution de la mission lancée pour la lutte contre le trafic d’armes à destination et en provenance de la Libye. En d’autres termes : l’ingérence et la déstabilisation potentielle sont également possibles de la part d’autres forces politico-militaires que Wagner.
Il est également possible qu’en ce moment, il y ait une tentative de profiter de la phase chaotique autour de l’avenir de l’entreprise de Prigozhin pour régler des comptes. Wagner en Libye, et plus généralement en Afrique, est considéré comme une présence déstabilisatrice, mais au point de devoir être touché dans une phase d’incertitude ? « La situation est très délicate car cette information, qu’elle soit vraie ou fausse, est en tout cas un facteur de déstabilisation », répond Karim Mezran, senior fellow à l’«Atlantic Council» et l’un des experts du puzzle libyen. «Le risque, ajoute-t-il, est que des acteurs internes et des puissances régionales tentent de profiter du chaos apparent autour des sous-traitants militaires russes pour gagner en emprise et en position. Mais cela ouvre des scénarios inquiétants, car la possibilité d’un retour de bâton qui déclenchera la reprise des combats en Libye, est toujours présente ».
L’équilibre des forces étrangères dans le pays, qu’elles soient turques, wagnériennes ou les milices du Soudan, du Tchad et du Niger, a représenté un facteur de maintien du cessez-le-feu conclu le 20 octobre 2020. Matteo Bressan, professeur de stratégie à la « Lumsa Master School » et analyste de la « Nato Defence College Foundation » rappelle qu’à plusieurs reprises, lors de ses tentatives répétées, l’envoyé spécial de l’ONU et chef de la mission Unsmil, Abdoulaye Bathily, a souligné à quel point le retrait de toutes ces forces étrangères est essentiel dans le processus de stabilisation libyen.
« C’est une hypothèse qui intervient avant même de savoir ce qui s’est réellement passé à la base aérienne d’Al Khadim. Dans le même temps, nous devons également garder à l’esprit qu’aucun acteur extérieur n’a intérêt à faire le premier pas, ce qui profiterait à d’autres concurrents. En outre, quel que soit le sort réservé à Wagner et à ses relations avec les appareils de sécurité russes, l’empreinte de Moscou en Afrique continuera d’être un vecteur essentiel de la politique étrangère ».
Bressan souligne qu’il s’agit d’une constante dans la politique du Kremlin qui ne cesse d’alarmer les Etats-Unis, le commandement régional du Pentagone, AfriCom, étant également très actif en Libye, et qui « a vu Wagner devenir le protagoniste des campagnes de désinformation contre la France, fonctionnelle pour pénétrer de plus en plus le continent africain, en y exportant son modèle de contre-insurrection. Ce n’est donc pas un hasard si, il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a réitéré la poursuite des activités des instructeurs russes (sans nommer Wagner) au Mali et en République centrafricaine, ainsi que la préparation du prochain sommet Russie-Afrique prévue fin juillet ».