Les accusations des blogueurs militaires nationalistes contre Poutine: Moscou contre Moscou

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(Rome, Paris, 27.06.2023). L’avancée des forces de Wagner a ouvert des failles au pouvoir de Poutine. Des critiques virulentes des voix nationalistes contre la Défense, et une question fondamentale : si l’ennemi entrait directement à Moscou, serions-nous si faibles pour réagir ?

Le président russe, Vladimir Poutine, risque de devenir la figure contre laquelle s’expriment les intérêts, les revendications et les tensions dans le système de pouvoir du pays, dont la structure essentiellement clanique est de plus en plus évidente, avec des factions divisées entre les services de sécurité, les gouverneurs régionaux, les oligarques de toutes sortes. Poutine n’ayant plus le monopole du pouvoir, d’autres composantes internes pourraient suivre les traces d’Evgueny Prigozhin et commencer à agir et poursuivre leurs propres ambitions sans coordination ni approbation du Kremlin. En revanche, si l’oligarque à la tête de Wagner a réussi à s’en tirer avec un confinement (temporaire, en attendant que toutes les charges retenues contre lui tombent ?) en Biélorussie, à partir duquel il pourrait continuer à gérer une partie de ses intérêts, pourquoi d’autres ne tenteraient-ils pas, eux aussi, de faire pression pour atteindre leurs objectifs ?, s’interroge Emanuele Rossi dans les colonnes du journal italien «Formiche».

Le président russe doit faire face à une série de problèmes que le blogueur militaire russe Voenkor Kotenok, partisan de longue date de l’intérêt national derrière la guerre en Ukraine, a résumés pour ses quelques 450.000 abonnés à sa chaîne Telegram (nationaliste et propagandiste). Ils méritent d’être pris en considération, car il s’agit d’une voix écoutée par certaines composantes de la société civile (et militaire) et qui dessine un scénario au sein des ganglions du pouvoir. Une puissance qui, malgré le calme apparent de ces dernières heures, après l’arrêt imposé par Prigozhin à l’avancée des wagnériens, est en pleine ébullition.

« Bien sûr, ce n’est pas un spectacle », dit-il, rappelant que les batteries Pantsir de Wagner ont abattu des avions de l’armée de l’air russe (les mêmes qui, en Ukraine, ont à plusieurs reprises assuré la couverture aérienne des opérations de la milice de Prigozhin). Une dizaine de pilotes tués. « Une unité militaire armée a presque atteint la capitale en un temps record, 8 heures. La question se pose : où est le ministre de la Défense ? Où sont le chef d’état-major et les directions opérationnelles ? Où est un discours adressé aux soldats ? », Écrit Kotenok. C’est le cœur des grandes controverses dans le centre du pouvoir russe : le ministre Sergueï Choïgou et le général Valery Gerasimov sont les grands ennemis de Prigozhin. La rébellion n’avait pas pour cible Poutine, mais plutôt l’establishment de la défense, contre lequel les wagnériens ont exprimé leur intolérance à de nombreuses reprises.

Ils sont accusés d’incompétence, on reproche aux troupes d’être improvisées et donc inefficaces. Wagner se plaint d’être mal soutenu (en raison de la concurrence interne) et de se retrouver sans approvisionnement. La milice prétend être plus forte que les unités régulières, mais subit des décisions défavorables du gouvernement parce qu’elle est poussée par la Défense. Parmi ces décisions, le projet d’inclure les wagnériens combattant en Ukraine sous la direction des structures militaires fédérales, ce qui signifie que Prigozhin perdrait une partie de son pouvoir. La médiation qui a suivi la rébellion a formalisé cette mesure en vertu d’une loi ministérielle qui était censée entrer en vigueur le 1er juillet. Cependant, les structures extérieures (les unités actives en Afrique par exemple) ne savent toujours pas si elles resteront sous le commandement de l’oligarque. Notamment, il n’est pas clair si Choïgou et Gerasimov resteront dans la défense et si Prigozhin a donc accepté cette solution en sachant qu’il y aurait un changement.

« Le président s’est exprimé, déclarant clairement qu’il s’agissait d’une rébellion militaire. Et où était la direction du ministère de la Défense au moment où l’unité armée s’est approchée de Moscou ? », S’interroge encore le blogueur, raisonnant sur la comparaison entre le poids de l’accusation soulevée par Poutine dans son discours adressé à la nation samedi 24 juin et la faible réaction de l’armée. Ce qui s’est passé montre une faiblesse dans le système interne de la Russie qui a peut-être été un succès pour la démarche de Progozhin. « Une question adressée à la haute direction du ministère de la Défense : non seulement avez-vous permis que tout cela se produise, car si vous vous étiez comportés normalement, cela ne se serait peut-être pas produit, mais où étiez-vous le jour où tout cela s’est passé ? […] Reprenez vos esprits, ce n’est pas un spectacle. Le pays est en guerre depuis un an ». La critique est associée au mot « guerre », que le récit du Kremlin n’a pas encore dédouané, bloqué sur « l’opération militaire spéciale » avec laquelle il allait conquérir l’Ukraine.

« L’histoire des événements de 1991-1993 s’est répétée lorsque les téléphones des bureaux des hauts fonctionnaires, qui étaient censés prendre des décisions, se sont tus. Est-il juste que même un Quartier Général opérationnel n’ait pas été créé pour réprimer la rébellion ? Personne ne sait quelles ont été les négociations. Quelque chose se préparait en interne, quelque chose a été convenu. Merci à Alexandre Loukachenko et à ceux qui ont contribué à cette issue. À l’homme qui a sauvé le pays de la honte de la prise de la capitale, que Dieu le bénisse ». Cette attaque est très lourde, car elle confirme l’incapacité des dirigeants russes à gérer l’une de leurs créatures, Wagner. L’intervention de Loukachenko renverse l’ordre des relations, dont l’objet sauvant le souverain.

Il existe également une autre question d’ordre technique. Les forces de Prigozhin ont voyagé pendant 8 heures à la vitesse moyenne d’un bus public. Ils n’ont pas été arrêtées, il n’y a pas eu d’actions incisives, une initiative molle a été faite pour bloquer l’avancée avec du matériel de voirie. « Ne pourrions-nous pas faire des obstructions ? N’y avait-il pas un seul char entre Moscou et Rostov à dresser sur la route ? Ou organiser un barrage de contrôle régulier et commencer ainsi à discuter ? Ne pas tirer, mais au moins négocier pour arrêter le convoi. Encore une fois, où est le leadership militaire ? C’est sa fonction directe », explique Kotenok.

Le blogueur se pose ensuite une question d’une haute valeur stratégique, bien que simple : que ferions-nous si l’ennemi arrive demain dans la même configuration ? «Il ira dans la forêt de la région de Soumy, sortira en tant que sous-unité près de Kalouga et ira jusqu’à Moscou. En sera-t-il de même ? Allons-nous courir comme des poulets sans tête autour du poulailler et tenter de fuir la capitale le plus loin possible ? Des scénarios effrayants. Je ne veux même pas les imaginer », dit-il.

A lire : La prophétie de Luttwak: «la guerre ne finira qu’à une seule condition…» (02 mars 2022)

Il est clair que ces contenus s’inscrivent aussi dans une guerre de l’information désormais ouverte, des opérations visant les perceptions et les psycho-sociologies de la collectivité. C’est aussi la raison pour laquelle il vaut la peine de les suivre, de suivre ce qui se passe et ce qui se passera en Russie, d’où de nombreux faits ressortent altérés. Des problèmes similaires ont également été soulevés ailleurs, par exemple sur la chaîne Telegram VChK-OGPU, qui a des liens informels avec les services de Renseignements fédéraux, et comptent 750.000 abonnés. Là, on va jusqu’à supposer que des mesures à l’encontre de la haute direction du ministère ont déjà été prises. Selon le média indépendant Verstka, Evgueny Prigozhin, en Biélorussie, a déjà mis en place un camp d’entraînement et de recrutement dans la région de Moguilev.