Pourquoi l’attaque israélienne contre le Liban inquiète la Méditerranée élargie ?

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(Rome, Paris, 07.04.2023). Le raid au Liban représente la trajectoire de l’extension possible du conflit interne en Israël. Les groupes palestiniens, le Hezbollah, des milices chiites et l’Iran font partie d’un système qui vise à déstabiliser Jérusalem, avec le risque d’un affrontement régional

Dans la nuit du jeudi Saint (6 avril) à vendredi, les forces armées israéliennes ont lancé des raids dans le sud du Liban. La cible déclarée de l’opération était les postes utilisés par le Hamas, qui a également été touchée dans le bastion administré par l’organisation djihadiste palestinienne, Gaza. L’action est une réponse immédiate aux tirs de roquettes effectués depuis le territoire libanais en direction du territoire israélien, survenu quelques heures plus tôt, et le tout s’inscrit dans le contexte de tensions croissantes au sein d’Israël. Des tensions qui s’étendent au Liban, impliqué de diverses manières dans la question israélo-palestinienne, qui redevient à son tour à un élément à caractère régional, comme en témoigne l’intérêt manifesté par la Turquie.

Pourquoi le Liban ?

Les roquettes lancées depuis le Liban en direction d’Israël seraient (pour l’heure) une trentaine. Bien que la quasi-totalité d’entre elles aient été interceptées par le système de défense aérienne, ils n’étaient jamais arrivés en si grand nombre depuis 2006, lors de la guerre entre Israël et le Hezbollah, l’organisation politico-militaire djihadiste chiite qui entre-temps au cours des 17 dernières années a acquis un rôle de plus en plus central dans le pays, s’incrustant dans les nerfs du pouvoir économique, politique et militaire, et évoluant comme un État dans l’État. Un rôle également obtenu grâce à l’aide iranienne, même si le Hezbollah est désormais une entité ayant son propre agenda qui exécute ce que dictent les Pasdaran, surtout quand cela coïncide avec ses propres intérêts, et c’est souvent le cas.

Le Hezbollah contrôle (directement) la partie sud du Liban, présent dans le tissu social territorial à tel point qu’il est quasiment impossible qu’il ne soit pas mis d’accord avec le Hamas pour lui fournir des positions d’attaque (et probablement davantage, en termes logistiques et opérationnels). L’attaque israélienne suit donc un schéma bien connue : des représailles immédiates contre les groupes armés palestiniens, ainsi qu’une tentative de bloquer tout point d’attaque logistique à l’extérieur du pays, comme c’est le cas, par exemple, en Syrie et en Irak. Mais l’attaque a une particularité d’avoir eu lieu au Liban, où elle touche des sensibilités d’une autre mesure, selon l’analyse du quotidien «Formiche», à travers la plume d’Emanuele Rossi.

Des récits et des intérêts

Le Hezbollah fait partie intégrante du monde politique et social libanais, il fait l’objet d’un consensus (imposé) et manœuvre au sein de l’appareil institutionnel. Pour cette raison, le gouvernement israélien a déjà clairement indiqué par le passé que toute attaque de l’organisation serait considérée comme une déclaration de guerre par l’état libanais. Cependant, derrière cette position se cachent des mécanismes de garde-fous, comme le fait de limiter les attaques d’hier aux « positions du Hamas », autrement dit, éviter de mentionner l’éventuelle implication du Hezbollah dans l’affaire afin d’éviter d’aboutir à des situations bien plus graves.

Dans le même temps, cependant, comme l’ont expliqué des sources de sécurité iraniennes dans divers briefings, les Israéliens sont parfaitement convaincus qu’à ce stade, l’État hébreu fait l’objet d’un encerclement coordonné, essentiellement mené par l’Iran, notamment par les Pasdaran. Le corps militaire théocratique de Téhéran est en quelque sorte un ciment qui rassemble le Hezbollah et des groupes armés palestiniens tels que le Hamas ou le Djihad islamique palestinien (JIP) ainsi que des formations plus modestes mais tout aussi opérationnelles. L’Iran, officiellement, nie ce genre de contexte, même si le simple fait de le rendre imaginable fait partie du récit que la République islamique cible l’État hébreu.

Une provocation iranienne ?

« L’escalade des tensions entre Israël et le Hamas pendant la fête de Pâques, entraînant des tirs de roquettes depuis le Liban et Gaza et des représailles, semble être comme une énième cycle de conflit découlant des menaces de l’Iran contre Israël », explique Seth Frantzman, chroniqueur au « Jerusalem Post » , qui se souvient d’un élément identique survenu en avril 2021 (lorsqu’une série similaire d’affrontements avait éclaté, comprenant également une guerre de 10 jours à Gaza et des attaques à la roquette depuis le Liban).

Ceux qui suivent l’évolution des tensions ont déjà souligné que certaines étapes récentes avaient anticipé les faits, ajoute le quotidien italien. Par exemple, le kamikaze qui, à la mi-mars, a placé les explosifs à l’intersection de Megiddo, juste au nord de la Cisjordanie, était entré en Israël depuis le Liban. Ou encore, ces derniers jours, le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, s’était rendu à Beyrouth pour rencontrer le guide spirituel du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et des membres du Djihad islamique palestinien. Il s’est également fait photographier avec des miliciens de la Brigade Al-Qassam au Sud-Liban : les membres de ce qui est considéré comme une force spéciale du Hamas étaient probablement dans le pays pour des activités logistiques ou d’entraînement avec le Hezbollah, étant donné que l’organisation palestinienne envisage d’augmenter les capacités d’attaque de ces unités depuis le front nord.

Le contexte régional

Simultanément, plusieurs affrontements ont eu lieu en Syrie, des milices chiites frappant une base américaine et les israéliens bombardant les environs d’Alep et de Homs. Il ne s’agit pas d’opérations uniques en leur genre, mais néanmoins particulières en termes de calendrier et d’intensité. Il est évident qu’au cours de ces dernières semaines, l’Iran et l’Arabie saoudite faisaient étalage de l’accord de Pékin pour la normalisation des relations diplomatiques, mais il est aussi évident qu’une partie de l’élite de la République islamique préfère toujours une confrontation de faible intensité avec Israël et les États-Unis, et que leurs milices sont les vecteurs de ces tensions.

« Il n’est pas certain qu’Israël soit tombé dans le ‘piège’ tendu par l’Iran », explique Frantzman. « Cependant, il est clair que les tensions de 2021 et 2023 sont similaires et que l’Iran cherche à en tirer parti. Les médias iraniens, par exemple, se vantent de la  »résistance » contre Israël ». En outre, le fait que des groupes soutenus par l’Iran tels que le Hamas et le Djihad se disent ouvertement prêts à affronter Israël, fait partie de la rhétorique amplifiée par les médias iraniens. L’implication du Hezbollah est tout aussi claire parce que le chef du Hamas a été accueilli au Liban, alors que les roquettes étaient préparées pour être tirées sur Israël et, de plus, les roquettes ont été tirées depuis une zone contrôlée par le Hezbollah.

Les intérêts italiens

Tout cela suscite une alerte régionale sur la Méditerranée élargie, de sorte que le dossier devient également un sujet d’intérêt pour l’Italie. Le Liban (officiel, Ndlr) et Israël « ne veulent pas de guerre », a assuré la Finul dans un communiqué à l’issue des contacts menés entre les deux parties. Les Casques bleus ont appelé « toutes les parties à cesser toute action » de part et d’autre de la frontière. « Le Liban est un carrefour fondamental pour la stabilité régionale et pour l’ensemble de la Méditerranée. En ces heures difficiles, un engagement encore plus fort est nécessaire pour la paix et la sécurité régionale afin que la situation ne dégénère pas », a déclaré le ministre italien de la Défense, Guido Crosetto, qui se trouve dans le pays des Cèdres pour passer le Vendredi-Saint avec l’important contingent italien engagé au sein de la Mission militaire bilatérale italienne au Liban (Mibil).

Le Liban se trouve dans une situation économique désastreuse sinon désespérée, ce qui menace également la stabilité des appareils militaires et de sécurité, car le personnel de sécurité en service voit la valeur de ses salaires chuter. « Les salaires dans le secteur public, y compris ceux des forces armées, diminuent de jour en jour », a déclaré Sami Nader, directeur de l’Institut des affaires stratégiques, s’adressant à Axios ces derniers jours. Les militaires réguliers commencent à occuper des emplois secondaires, désertant les rangs. Or l’armée agit comme une force stabilisatrice pour contrôler les querelles sectaires du pays et est depuis longtemps un partenaire clé pour les pays occidentaux, car elle est capable d’agir comme un contrepoids au Hezbollah. Sans cet équilibre, les activités de cette organisation et les intérêts connexes se déchaînent.

Le Fonds monétaire international (FMI) a proposé au Liban un plan de sauvetage de 3 milliards de dollars, sous réserve d’une série de réformes structurelles et financières. Le problème est que le pays connaît un vide institutionnel, sans président ni cabinet exécutif (aujourd’hui aux pouvoirs limités). Cela a abouti à une impasse sur les réformes qui ont été réclamées pendant des années pour aider à relancer l’économie qui se détériore, en partie en raison de la corruption massive (l’un des moyens de subsistance du Hezbollah). En l’absence de solution politique à l’horizon, la livre devrait continuer de perdre encore de sa valeur et avec elle les salaires du personnel de sécurité et des travailleurs du secteur public. La situation pourrait donc encore se détériorer.