(Rome, 04 décembre 2022). La nouvelle de la mort d’Abou al Hassan al Hashimi al Qurashi a été diffusée mercredi soir sur les réseaux sociaux du califat. Selon les islamistes eux-mêmes, c’était leur chef. Il avait remplacé Abou al Hussein al Hussayni al Qurashi, tué lors d’un raid des forces américaines dans le nord de la Syrie en février. Une histoire controversée celle d’Abou al Hassan. Son identité est remise en question, son ascension au sein de l’EI est mystérieuse, nous explique Mauro Indelicato dans les colonnes du média «Inside Over».
Mais sa mort a également été un mystère. En mai, le chef présumé de l’État islamique aurait été arrêté par les forces turques à Istanbul. Cependant, il n’y a pas eu de confirmation. Puis, immédiatement après que la nouvelle de son assassinat se soit annoncée, des détails visiblement contradictoires ont émergé : en effet, depuis Washington, des sources du renseignement américain ont déclaré qu’Abou al Hassan était considéré comme mort, tué par les forces rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) dans le sud de la Syrie. Un territoire, cependant, n’est pas contrôlé par l’acronyme en question. Alors, comment les choses se sont-elles réellement passées ?
Le raid d’Octobre
Autre détail important précisé par les services de renseignement américains : le chef de l’Etat islamique n’est pas mort le jour de l’annonce de son assassinat. Au contraire, Abou al Hassan n’aurait pas été éliminé en novembre, lors d’une opération éclair qui a eu lieu dans la province méridionale de Deraa, en Syrie. La date la plus plausible se situe peut-être entre le 10 et le 20 octobre. Le chef présumé de l’Etat islamique aurait connu le même sort que ses plus illustres prédécesseurs : tout comme Abou Bakr Al Baghdadi en octobre 2020 et Al Qurayshi en février dernier, Abou al Hassan se serait fait exploser dès qu’il aurait été convaincu d’être traqué par des forces adverses.
Mais par qui, précisément ? C’est ici, comme mentionné, que la reconstruction américaine risque la contradiction. Les États-Unis ont précisé que le raid avait été mené par les forces de l’ASL. Ces derniers auraient donc identifié sa cachette dans la campagne autour de la ville de Jassem, non loin de Daraa et de la frontière avec la Jordanie. En revanche, l’acronyme ASL n’est plus présent dans la région depuis longtemps. Au début de la guerre en Syrie, cet acronyme désignait les groupes rebelles anti-Assad. Des groupes ont ensuite été « avalés » par les forces les plus extrémistes et ont disparu sous les coups du Front Al Nosra, la branche locale d’Al-Qaïda, et de Daech. Les seuls territoires considérés comme étant aux mains des milices liées à l’ASL sont ceux du nord de la Syrie, contrôlés par des groupes pro-turcs entraînés par Ankara dans une fonction anti-kurde. Il s’agit donc d’autres factions, différentes de celles qui sont entrées en scène au début du conflit.
La situation dans la zone du raid
La province de Daraa a été l’une des premières à être impliquée dans la guerre civile. C’est ici que les premières protestations contre le gouvernement Assad ont éclaté en mars 2011, qui ont ensuite débouché sur le conflit toujours en cours. Pendant plusieurs années, la ville de Daraa a été divisée en deux : d’un côté les quartiers contrôlés par le gouvernement, de l’autre ceux aux mains de l’ASL. Une impasse qui a duré longtemps. Même dans le reste de la province, pendant longtemps, la division entre le gouvernement et l’anti-gouvernement était clairement évidente. La situation est ensuite revenue au calme avec la médiation des Russes.
Les forces de Moscou, directement engagées dans le soutien à Assad depuis 2015, ont mené une série de négociations pour la réintégration des anciens groupes de l’ASL dans les rangs du gouvernement. Des négociations difficiles, mais largement couronnées de succès. A partir de 2019, Daraa est considérée comme entièrement entre les mains de Damas. Cependant, une fois les accords signés, les affrontements internes entre anciens rivaux n’ont pas manqué. En tout cas, la ville de Jassem est entièrement sous le contrôle du gouvernement central. Il est donc impossible, comme le soulignent des sources américaines également rapportées par les médias panarabes, que le blitz contre le chef de l’Etat islamique ait pu être mené par les rebelles syriens.
Il est fort probable que les services de renseignement américains voulaient faire référence à des groupes actifs dans la région qui étaient autrefois antigouvernementaux, mais qui sont aujourd’hui de nouveau intégrés dans les rangs des forces de Damas. On peut donc penser qu’en réalité le blitz, qui s’est avéré fatal pour Abou al Hassan, a été mené par l’armée syrienne assistée des forces de Moscou. Pour preuve, cependant, de nombreux témoignages émergent sur les réseaux sociaux, font état d’importantes opérations menées dans la région de Deraa entre septembre et octobre, par des Russes et des Syriens contre des personnalités liées à l’Etat islamique. C’est précisément dans l’une de ces opérations que le troisième dirigeant de l’État islamique tué en trois ans, a été identifié.
Que signifie l’opération menée dans le sud de la Syrie ?
Comme Al Baghdadi et Al Qurayshi, Abou al Hassan a également été traqué et retrouvé en Syrie. Un signe de la façon dont le pays reste à ce jour un refuge idéal pour les djihadistes. Cette fois, cependant, le numéro un de l’EI ne se trouvait pas dans le nord de la Syrie mais dans le sud. Et ce n’est pas un détail anodin. Il semblerait que les Américains et les Russes se soient partagés le nombre de raids contre les dirigeants islamistes. Deux opérations ont été menées dans une zone non occupée par le gouvernement, où les forces de Washington ont donc pu opérer « toutes seules » pour capturer Al Baghdadi et Al Qurayshi, tandis qu’une opération a été menée dans le sud de la Syrie, dans une région sous contrôle syrien (sous influence russe).
Tout comme les États-Unis ont certainement mis en garde les Russes en 2020 et 2022 pour « leurs » opérations, étant donné que Moscou contrôle totalement l’espace aérien de la région occidentale de la Syrie, il est possible de penser qu’un appel téléphonique du Kremlin à Washington a prévenu le raid contre Abou al Hassan. Cela expliquerait pourquoi les États-Unis étaient au courant de la mort du « nouveau calife », même s’ils ont fourni des informations erronées sur les auteurs du blitz. Ce ne serait pas la première fois qu’un « téléphone rouge » soit activé entre Moscou et Washington en Syrie. Au nom de la lutte commune contre le terrorisme, on peut également s’attendre à des échanges d’informations similaires à l’avenir.