Dans la nuit de dimanche lundi, la grimpeuse iranienne Elnaz Rekabi a concouru sans voile lors du championnat d’Asie d’escalade, à Séoul. Dans un message publié sur les réseaux sociaux, la grimpeuse a assuré, mardi, que son geste était «non intentionnel», alors que depuis un mois son pays est secoué par une révolte contre le hijab. Mais ces confessions ont-elles été forcées ?
L’Iranienne Elnaz Rekabi, 33 ans, fait la une des médias internationaux. Dans la nuit du 16 au 17 octobre à Séoul, la grimpeuse iranienne a terminé quatrième du championnat d’Asie d’escalade. Au-delà de la performance sportive, c’est le fait qu’elle soit apparue avec un simple foulard noué autour de la tête, et non le traditionnel hijab, qui a fait le tour de la planète.
Une infraction claire aux règles vestimentaires de la République islamique d’Iran qui imposent le port du hijab à toutes les athlètes féminines, même à l’étranger.
« S’il est volontaire, c’est un geste très fort. [Elnaz Rekabi] montre sa solidarité avec les Iraniennes qui rejettent le voile. C’est aussi un geste héroïque car elle risque l’expulsion de l’équipe d’Iran », note la sociologue Azadeh Kian, chercheuse à l’université Paris Cité.
Ce geste intervient alors que l’Iran est secoué depuis un mois par des manifestations. Consécutives à la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police de Téhéran pour ne pas avoir porté son voile correctement, ces manifestations se sont transformées en un mouvement contre le hijab obligatoire et la République islamique elle-même. Selon l’ONG Iran Human Rights, 122 personnes ont été tuées dans la répression de cette contestation.
Les partisans du mouvement n’ont pas hésité à dépeindre Rekabi sur les réseaux sociaux comme une « héroïne », publiant des images d’elle grimpant sur les lettres du slogan de la manifestation « Femme. Vie. Liberté ».
Inquiétudes grandissantes
Mais où est-elle passée depuis son geste ? Selon l’ambassade d’Iran en Corée du Sud, Elnaz Rekabi aurait quitté Séoul mardi matin. Le service persan de la BBC a cité une « source informée » mais anonyme affirmant que les autorités iraniennes auraient saisi le téléphone portable et le passeport de l’athlète. Le média britannique affirme également qu’elle n’aurait dû quitter la péninsule coréenne que le mercredi, mais que son retour avait été avancé de manière inexpliquée.
Le site IranWire, créé par le journaliste canadien d’origine iranienne Maziar Bahari, a affirmé pour sa part qu’Elnaz Rekabi avait été transférée à la prison d’Evin, à Téhéran, dès son arrivée dans le pays.
« L’hypothèse d’un transfert en prison dès son arrivée est crédible. Elle pourrait y avoir été conduite au moins pour être interrogée », juge Azadeh Kian. « En général, les autorités confisquent les passeports au retour des célébrités, les arrêtent puis les emmènent pour un interrogatoire. À l’issue de ça, soit on les garde en prison, soit on les libère ».
La sociologue rappelle que c’est exactement ce qui était arrivé au chanteur Homayoun Shajarian et à sa femme, l’actrice Sahar Dolatshahi, à leur retour d’un concert en Australie.
Dans un tweet, l’ambassade d’Iran à Séoul a démenti « toutes les fausses nouvelles et la désinformation » concernant le départ de Rekabi mardi. Mais au lieu de publier une photo d’elle lors de la compétition de Séoul, elle a publié une image d’elle portant un foulard lors d’une précédente compétition à Moscou, où elle avait remporté une médaille de bronze.
Hasard ou répression ?
Dans son premier message depuis qu’elle est apparue sans hijab, Elnaz Rekab s’est excusée pour les « préoccupations » causées et a insisté sur le fait que son apparition tête nue n’était « pas intentionnelle ».
« Je suis membre de la Fédération iranienne d’escalade depuis vingt ans. Je m’excuse pour l’inquiétude que j’ai causée par rapport à la situation (en Iran). Durant la finale du championnat asiatique, il y a eu une erreur de programmation : ils m’ont appelée au dernier moment pour escalader le mur. Il y avait une erreur dans ma façon de m’habiller. Je rentre en Iran comme prévu », explique-t-elle dans une story postée sur son compte Instagram non certifié.
Toutefois, étant donné la nature du message, il est difficile d’établir si l’athlète l’a écrit de manière libre ou même si c’est bien elle qui l’a posté.
« Je pense qu’il faut se méfier de ce message », avertit Azadeh Kian. « Les confessions forcées sont monnaie courante en Iran. On l’a encore vu récemment avec les aveux de deux Français ».
« Ce type de méthode existe depuis des années. Les personnes arrêtées sont torturées physiquement et mentalement. On les empêche de dormir pendant plusieurs jours, on les place en isolement complet sans lumière. On leur fait comprendre que personne ne pense à elles. Le tout accompagné de menaces envers leur famille. Puis, on leur dicte ce qu’elles doivent dire pour que tout s’arrête », raconte Azadeh Kian. « C’est tellement courant qu’en Iran, plus personne ne croit à ces confessions, qui sont en réalité davantage destinées à leur base de soutien qu’au reste de la population ».
C’est également l’hypothèse défendue par l’activiste Masih Alinejad. En exil depuis 2009, elle dénonce le port forcé du hijab en Iran depuis des années. Sur Twitter, elle parle « d’un acte d’intimidation, d’une confession forcée ». La Fédération internationale d’escalade a émis un communiqué pour souligner qu’elle suivait avec attention la situation : « D’après ce que nous avons compris, elle est retournée en Iran, et nous continuerons à suivre l’évolution de la situation à son arrivée. Il est important de souligner que la sécurité des athlètes est primordiale pour nous et nous soutenons tous les efforts visant à garder un membre précieux de notre communauté en sécurité dans cette situation ».
Le fait qu’Iran Wire ait publié, mardi après-midi, un post annonçant que Davood Rekabi, le frère d’Elnaz, a également été arrêté tend à démontrer cette thèse de la contrition forcée.
La fédération a affirmé être en contact avec Rekabi et les responsables iraniens, mais a refusé de s’étendre sur le sujet lorsqu’elle a été jointe par l’Associated Press. La fédération a également refusé de discuter de la publication Instagram attribuée à Rekabi et des affirmations qu’elle contient.
Elnaz Rekabi n’est pas la première sportive iranienne à avoir osé concourir sans hijab. La boxeuse Sadaf Khadem était apparue tête nue lors d’un combat en France en 2019. Après cet événement, elle n’est jamais rentrée en Iran et vit désormais en exil dans l’Hexagone.