(Rome, Paris, 06 septembre 2022). Le défi entre la Grèce et la Turquie semble destiné à ne pas cesser. La tension entre les deux rives opposées de la mer Égée est désormais une constante dans les dernières années des relations entre ces deux pays, également caractérisées par des affrontements de nature diplomatique et des accidents dangereux impliquant des unités de leurs flottes respectives. Et les derniers propos du président turc Recep Tayyip Erdogan lors de l’événement Teknofest, dans la province de Samsun, semblent confirmer le danger que l’hostilité entre Athènes et Ankara puisse revenir agiter la Méditerranée orientale. Erdogan a parlé d’une Grèce qui paiera « un prix élevé » si d’autres avions violent son espace aérien, a prévenu que, pour son gouvernement, le fait que certaines îles appartiennent à Athènes constitue une « occupation » qui « ne lie pas » les Turcs, et, comme rapporté par les médias grecs, il a ajouté que « le moment venu, nous ferons le nécessaire », en intervenant « soudainement, du jour au lendemain ».
Selon le décryptage de Lorenzo Vita dans les colonnes du quotidien italien «Inside Over», les propos d’Erdogan, bien qu’ils ne soient pas éloigné d’une certaine rhétorique déjà utilisée par le dirigeant turc à de nombreuses occasions, ont suscité l’inévitable alarme de la Grèce, inquiète d’un récit qui risque surtout de s’amplifier en raison de la complexité du moment politique en Turquie. En effet, Erdogan se retrouve à gérer une situation intérieure qui n’est pas particulièrement rose, grâce au risque de faillite agité maintes fois par divers observateurs, et à une stabilité fragile qu’il tente de restaurer par des vagues d’arrestations et des formes de répression de la dissidence. Dans tout cela, l’approche des élections de 2023, année de l’éventuelle consécration du « Sultan » à la tête du pays à l’occasion du centenaire de la République, implique la nécessité pour le président turc de considérer comme absolument central la voie vers ce rendez-vous électoral. A tel point qu’il existe un risque qu’Erdogan, ne serait-ce que pour compacter le front intérieur, puisse à nouveau viser la politique étrangère comme stratégie de sortie d’un moment dangereux de crise économique et financière.
Les déclarations turques ont soulevé des critiques non seulement de la part des appareils grecs, mais aussi de l’Union européenne. Peter Stano, porte-parole du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, a parlé de menaces et de rhétorique « inacceptables » qui « doivent cesser », mais a appelé la Turquie à « travailler sérieusement à l’apaisement des tensions » et à le faire « dans l’intérêt de la stabilité régionale en Méditerranée orientale ». Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis, arrivé à Strasbourg, a déclaré que Bruxelles devait « empêcher toute sorte de précédent ». Alors que la République tchèque, qui assure la présidence du Conseil de l’UE, a affirmé que « les menaces inacceptables contre des États membres de l’UE, telles que celles adressées à la Grèce dans le récent discours public du président Erdogan, sont extrêmement inutiles ».
La Grèce recueille des soutiens internationaux, notamment européens. Mais pendant ce temps, Erdogan est en mouvement. Après la confirmation de ses leviers de négociation à l’OTAN avec la menace de veto contre l’adhésion de la Finlande et de la Suède, le président continue de tisser son intrigue en Libye (il y a quelques jours l’arrivée en Turquie de Fathi Bashagha et d’Abdel Hamid Dbeibah) et s’apprête à effectuer une tournée dans les Balkans avec des escales en Bosnie, en Croatie et en Serbie dont l’objectif est de renforcer les liens économiques avec cette région.
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Le rapprochement avec Israël (et celui moins visible avec l’Egypte) sont des facteurs fondamentaux dans l’équilibre au Levant. Et si la guerre en Ukraine a montré le potentiel d’Ankara à arbitrer certaines des crises nées du conflit (à commencer par celle du blé), il semble difficile pour l’Occident de tourner le dos au « Sultan » du moins dans cette délicate phase géopolitique où Erdogan apparaît comme le seul dirigeant encore capable de représenter un canal de dialogue avec Vladimir Poutine.
Mais tout cela sert aussi au président turc à détourner l’attention d’une situation économique stagnante qui risque de conduire le pays au bord du gouffre. L’Institut national des statistiques fait état d’une inflation qui a dépassé 80 % au cours de la dernière année civile, même si la hausse des prix se ralentit par rapport aux mois précédents. Mais l’économie reste ce qui intéresse le plus l’électorat. Un article du journal Hurryet – qui fait état d’un sondage réalisé fin août – affirme assez clairement que « le gouvernement sera en concurrence avec l’économie, et non avec l’opposition, lors des élections de 2023 ». Et c’est aussi la raison pour laquelle Erdogan pourrait tenter de relever la barre dans la confrontation avec la Grèce : détourner, en ce moment, l’attention du véritable problème de son leadership .