Pourquoi les Emirats rouvrent-ils l’ambassade en Iran

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(Rome, Paris, 23 août 2022). La réouverture de l’ambassade des Emirats en Iran est une solution qui suscite l’intérêt face à la dynamique de la force majeure. Pour Abou Dhabi, la stabilité et la détente constituent en ce moment une valeur

 Les Émirats arabes unis ont déclaré dimanche 21 août que leur ambassadeur en Iran, Saif Mohammed Al Zaabi, sera de retour à Téhéran « dans les prochains jours », plus de six ans après que le pays arabe du Golfe eut relâché ses liens avec la République islamique. Au début du mois, c’est le Koweït qui a officiellement rouvert les ponts diplomatiques avec Téhéran, comme rapporté par Emanuele Rossi dans le quotidien «Formiche».

Il s’agit d’une décision significative, bien que tout à fait conforme aux activités émiraties, qui visent depuis longtemps à rétablir les relations avec Téhéran (il y a neuf mois, dans l’une des étapes les plus importantes de cette voie, le conseiller émirati à la sécurité nationale, Tahnoun bin Zayed al -Nahayan, s’est rendu dans la capitale iranienne). L’objectif général est « de réaliser les intérêts communs des deux pays et de la région en général », a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué sur la réouverture de l’ambassade.

Le tout s’inscrit parfaitement dans un climat de détente qui caractérise la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord depuis des mois et des mois ; un climat qui subit des formes spécifiques d’altération, parfois suscitées par les activités malveillantes des Pasdaran et des groupes apparentés, qui, pour des intérêts idéologiques et économiques, s’opposent à cette détente.

Les Émirats arabes unis avaient réduit leurs liens avec l’Iran à la suite de la rupture par Téhéran ses relations avec l’Arabie saoudite en janvier 2016. Cette décision était liée à l’assaut contre l’ambassade saoudienne à Téhéran par des manifestants iraniens après que Riyad eut exécuté un important religieux chiite, Nimr Baqer al-Nimr.

A l’époque, les dirigeants émiratis et saoudiens, Mohammed bin Zayed et Mohammed bin Salman (pas encore souverains mais capables d’influencer la politique de leurs royaumes), cherchaient une confrontation rugueuse avec Téhéran. Des années plus tard, la politique agressive et belliqueuse (par procuration) n’a pas trop bien fonctionné, et tandis qu’Abou Dhabi rétablit officiellement les relations, Riyad s’engage lui aussi sur une voie compliquée du dialogue – médiatisé par l’Irak – avec Téhéran.

Après des années de rancœur sur les différents fronts de rivalité géopolitique, les EAU ont commencé à renouer avec Téhéran en 2019, au moment où la sortie de Washington du pacte nucléaire avec l’Iran, le JCPOA, avait entraîné plusieurs tensions dans la région. Et les Pasdaran en avaient profité pour mener à bien leur programme de déstabilisation, notamment en menant des attaques dans les eaux du Golfe, les sites énergétiques saoudiens se retrouvant sous les missiles que les Iraniens fournissent aux rebelles yéménites Houthis, qui ont plus tard frappé les Emirats.

En ce moment, pour ben Zayed, ce climat chaotique, précaire et instable modifie profondément les intérêts stratégiques qu’il planifie. Les Emirats visent à consolider leur position de hub financier mondial, à pousser les activités économiques dans le monde du transport international et de la logistique, et à devenir un centre touristique mondial. Trois objectifs stratégiques qui garantissent une différenciation future du monde pétrolier et gazier, mais qui sont inconciliables avec un cadre déstabilisé, et l’implication d’Abou Dhabi dans cette déstabilisation. En outre, l’émirat de Dubaï – le centre du projet mondial de divertissement de l’émirat – a longtemps été l’un des principaux liens de l’Iran avec le monde extérieur.

Dans le cadre de cette détente pragmatique, les Emirats ont renoué un dialogue tactique avec la Turquie et le Qatar, rivaux internes au sein du monde sunnite. L’année dernière, l’Arabie saoudite, puissance musulmane sunnite (portée par des intérêts similaires et en partie contrainte par le choix des Emirats, principal partenaire régional de Riyad) a entamé le processus d’une amélioration des liens avec l’Iran. Il y a eu jusqu’à présent cinq séries de pourparlers directs, tous à Bagdad. Cette dynamique est plus complexe que celle avec les Emirats pour ce que représentent les deux pays, pôles du sunnisme et du chiisme.

Tout cela se passe alors que les pays du Golfe observent les efforts de l’Union européenne (et des États-Unis, de la Russie et de la Chine) pour relancer le JCPOA, qu’ils jugent défectueux pour ne pas avoir abordé le programme de missiles iraniens et les activités d’influence régionale par le biais de partis/milices sans scrupules, dirigées par les Pasdaran. Face à un nouvel accord, le «Nuke Deal» (l’accord nucléaire), le choix de la voie du dialogue est considéré comme une voie à suivre face à la dynamique de force majeure.