La leçon de l’affaire Rushdie

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(Rome, Paris, 16 août 2022). Rushdie et non seulement. Il existe une question évidente et non résolue dans l’Islam, celle de la tolérance, qui ne concerne pas seulement les régimes fanatiques comme celui de Téhéran, mais implique également une partie importante de la communauté musulmane mondiale

« J’informe tous les braves musulmans du monde que l’auteur des Versets sataniques, un livre écrit, édité et publié contre l’Islam, contre le prophète de l’Islam et le Coran, ainsi que tous les rédacteurs et éditeurs conscients de son contenu, ils sont condamnés à mort. J’exhorte tous les musulmans courageux où qu’ils soient dans le monde à les tuer sans délai, afin que plus personne n’ose insulter les croyances sacrées des musulmans. Et celui qui sera tué pour cette cause sera un martyre. En attendant, si quelqu’un a accès à l’auteur du livre, mais n’est pas en mesure d’exécuter lui-même la sentence, qu’il en informe le peuple afin qu’il soit tué pour ses actes ».

C’était le 14 février 1989 lorsqu’un ayatollah Khomeiny mourant prononça cette fatwa contre Salman Rushdie et tous ceux qui collaboreraient à la diffusion d’un livre jugé «blasphématoire», sur les ondes de la radio d’État iranienne. La fatwa n’a jamais été retirée par le régime, mais au contraire, a été récemment confirmée par l’actuel «guide» Ali Khamenei, alors que des fonctionnaires zélés ont mis à prix la tête de Rushdie, reconstituant la prime, portée à plus de 3 millions de dollars, comme rapporté par Marco Orioles dans le quotidien «Start Magazine».

Cette condamnation à mort retentissante aurait été appliquée, on le sait, il y a quelques jours, bien qu’imparfaitement, par un musulman américain d’origine libanaise, qui a attaqué l’écrivain avec une lame lors d’une conférence littéraire.

Il existe un problème colossal dans le décret du fondateur de la république islamique : il a prononcé une condamnation à mort extraterritoriale contre un homme de lettres, étranger et laïc. La prétention d’appliquer les interdits islamiques absurdes contre quelqu’un qui n’est pas musulman, et qui ne vit pas dans les terres où le Coran est observé, délimite clairement le périmètre de l’intolérance de certains segments de l’islam contre la liberté d’expression, un thème familier aux Européens non seulement parce que Rushdie a trouvé refuge en Grande-Bretagne, mais aussi à cause des célèbres caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo, elles aussi jugées blasphématoires.

Les caricaturistes de Charlie Hebdo n’étaient pas non plus musulmans et ne vivaient ni à Téhéran ni à La Mecque. Néanmoins, Al-Qaïda a prononcé une condamnation à mort à l’encontre du rédacteur en chef Stephan Charbonnier en l’encadrant dans une affiche intitulée «Wanted» publiée dans «Inspire», (magazine en ligne en anglais publié par l’organisation terroriste Al-Qaïda dans la péninsule arabique, AQPA), alors dirigée par Ayman al-Zawahiri. Cette sentence a été inexorablement appliquée à Paris le 7 janvier 2015, lorsque deux djihadistes de deuxième génération, les frères Kouachi, armés de kalachnikovs, ont fait irruption dans le siège du célèbre hebdomadaire satirique et ont massacré la moitié de la rédaction, dont le rédacteur en chef.

Une vidéo qui montre les deux terroristes, à la sortie de la rédaction, après le blitz, exultant en criant « nous avons vengé le prophète Mahomet, nous avons tué Charlie Hebdo ».

Ce détail nous ramène à la fatwa de Khomeiny qui, tout comme le manifeste d’Al-Qaïda, représentait une formidable incitation à la violence religieusement justifiée.

Comme Oriana Fallaci (une essayiste et journaliste italienne née le 29 juin 1929 à Florence et morte le 15 septembre 2006 dans la même ville. Elle a été maquisarde dans la Résistance italienne contre Benito Mussolini pendant la Seconde Guerre mondiale, ndlr), n’a cessé de le souligner jusqu’à son dernier souffle, il existe dans l’Islam une question criante et non résolue, celle de la tolérance, un problème qui concerne non seulement des régimes fanatiques comme celui de Téhéran, mais implique également une partie importante de la communauté musulmane mondiale. Celle qui, par exemple, dans la patrie de la démocratie, la Grande-Bretagne, a brûlé des copies des Versets sataniques ou qui, dans le lointain Pakistan, a assiégé le Centre américain d’information au cri de « Rushdie tu es un homme mort ».

Ou celui qui, alors que le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo venait d’avoir lieu, a vu de nombreux Français musulmans se précipiter sur les réseaux sociaux pour inverser le sens du hashtag qui atteignait en ces heures-ci des sommets de popularité, « Je suis Charlie » transformé en « Je ne suis pas Charlie ».

Et Marco Orioles d’observer qu’à l’ère de la mondialisation et du dialogue incessant entre les civilisations et les cultures, il n’est pas possible d’admettre que certains groupes s’arrogent le droit de bâillonner des écrivains ou des dessinateurs ou caricaturistes non musulmans, exigeant leur adhésion aveugle à des tabous qui ne leur conviennent pas.

De ce point de vue, il n’est pas surprenant que la fatwa de Khomeiny ait été appliquée plus de 33 ans plus tard. C’est la conséquence logique d’un problème non résolu qui continue de donner raison à ceux qui prônent l’existence d’un irrémédiable choc des civilisations entre l’Islam et l’Occident.

C’est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre.