(Rome, 01 août 2022). L’impasse politique en Irak a des raisons liées à l’influence iranienne dans le pays. Le risque est que les manifestations à Bagdad ouvrent des scénarios ayant des répercussions régionales
Il y a ceux qui mangent sur les bancs, ceux qui se couchent par terre prenant un selfie, ceux qui ont emmené une vache brouter dans les jardins de l’édifice parlementaire : l’assaut contre l’Assemblée irakien mené par des manifestants sadristes ces jours-ci renvoie les images d’un film surréaliste. Mais il y a 125 blessés et un sit-in permanent encerclé par les forces spéciales, ainsi qu’un risque que la déstabilisation de Bagdad ait des conséquences ayant un impact régional, observe dans son analyse Emanuele Rossi du quotidien italien «Formiche».
Dans la capitale irakienne, pour la deuxième fois en une semaine, une manifestation organisée par Moqata Al Sadr a eu lieu. Le chef religieux chiite d’un mouvement populiste a remporté les dernières élections en obtenant 73 sièges et une majorité relative. Pourtant, en 10 mois, il n’a pas été en mesure de construire une coalition qui pourrait soutenir un gouvernement.
Résultat : en signe de protestation, il a demandé à ses législateurs de démissionner et a déclenché des manifestations. La démission des sadristes a laissé place au soi-disant Cadre de coordination, un groupement politique regroupant toutes les composantes chiites et pro-iraniennes (très influentes, et appuyées par des composantes militaires, des milices intégrées aux forces de défense et de sécurité).
En occupant le parlement, Al Sadr veut éviter, par une obstruction physique, que l’assemblée vote pour un Premier ministre choisi par l’opposition : Mohamed Al Soudani. Ce dernier, ancien ministre, est une figure très proche de Nouri Al Maliki, également ancien Premier ministre, dont le gouvernement est plombé par des accusations de sectarisme chiite. La semaine dernière, Al Maliki s’est fait photographier dans la rue, armé d’un fusil d’assaut pendant que les sadristes manifestaient. Un message clair qui indique le niveau atteint par la confrontation.
Depuis le début de son expérience démocratique après la chute du régime de Saddam Hussein, l’Irak est en proie à des divisions politiques et à un État faible et fragmenté. Le système politique a été conçu sur la base d’un partage sectaire du pouvoir, mais conduit à des échanges constants entre les factions qui se disputent les postes de commandement au sein du gouvernement et les sources de clientélisme. La discorde entre Al Sadr et ses rivaux met en évidence les dissensions croissantes au sein des groupes.
La crise politique se manifeste par des pressions sociales croissantes. L’Irak accueille chaque année des centaines de milliers de diplômés universitaires, qui dépendent des emplois de l’État, le plus grand employeur, de plus en plus incapable de satisfaire la demande. Les prix élevés du pétrole ont fourni un certain soulagement à l’État, qui, il y a deux ans, avait du mal à payer les salaires du secteur public. Mais les pessimistes sont nombreux quant aux perspectives à long terme du pays.
Tout cela pourrait même gagner le soutien du mouvement Tishreen – ces milliers de manifestants d’horizons différents qui se sont rassemblés en octobre 2019 pour exiger que le gouvernement s’attaque au chômage, mette fin à la corruption, fournisse de l’électricité et mette fin au pouvoir débridé des groupes armés liés à l’Iran.
L’instabilité irakienne est en fait le résultat d’un certain cheminement extérieur. Depuis des années, le pays est devenu de plus en plus soumis à l’influence de partis/milices liés à l’Iran – notamment le monde des Pasdaran. L’Irak a souvent servi d’exutoire aux tensions entre la République islamique et l’ensemble des nations que Téhéran considère comme hostiles (et qui, inversement, considèrent Téhéran comme hostile), à savoir les royaumes sunnites du Golfe, Israël et les États-Unis.
Actuellement, ces deux fronts sont à couteaux tirés en raison de l’échec de la recomposition de l’accord JCPOA, qui a gelé le programme nucléaire iranien en échange de la levée des sanctions. L’accord, signé en 2015, a été mis à mal par le retrait de l’administration Trump en 2018, mais l’administration Biden a également choisi de conserver le paquet de sanctions, même si elle a engagé des négociations (jusqu’ici inefficaces).
L’une des raisons de la méfiance envers l’Iran, motivée avant tout par les acteurs régionaux, réside dans l’influence que la composante théocratique de Téhéran (en particulier la composante militaire) exerce au Moyen-Orient précisément à travers ces milices – liées pour des raisons idéologiques, mais aussi financés dans le but de créer des canaux d’interférence dans d’autres pays. Le Liban, la Syrie ou même l’Irak en sont des exemples.
Al Sadr, un chiite qui avait également des liens avec Téhéran, soutient que cette présence iranienne en Irak a dépouillé le pays de sa souveraineté et a fondé sa plate-forme politique sur cette demande d’indépendance. D’égal à égal, il appelle les États-Unis (autrement dit l’armée américaine) à quitter les bases irakiennes. Il s’agit d’un sentiment populaire, celui de la recherche de liberté et d’indépendance, qui est largement partagé et qui par le passé a déjà créé des manifestations.
C’est l’imbrication des enjeux internationaux (le rôle des satellites iraniens est considéré comme l’un des éléments centraux de la déstabilisation sécuritaire du Moyen-Orient) et des sentiments et dynamiques nationaux irakiens. L’impasse qui a été créée est également très compliquée pour ce chevauchement. La crise en Irak pourrait ouvrir des scénarios avec des répercussions régionales.
Il convient de rappeler que le gouvernement actuel, dirigé par Mostapha al Kadhimi et soutenu par al Sadr, a été très actif pour se construire comme un pont de dialogue entre les deux pôles géopolitiques islamiques, l’Iran et l’Arabie saoudite. Des responsables de Téhéran et de Riyad ont tenu des pourparlers à Bagdad, brisant le schéma d’inimitié existentielle qui dure depuis des décennies. Le fait est que – comme dans le cas de la recomposition du JCPOA – il y a des composantes au sein de l’Iran qui préfèrent le déséquilibre constant à l’instabilité, en tant que retour d’intérêt.