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TRIBUNE. La guerre secrète entre l’Iran et Israël peut déboucher sur un conflit ouvert

(Rome, 14 juillet 2022). D’un côté l’axe chiite, représenté par l’Iran et ses soutiens dans différents pays, de l’autre, l’alliance issue des accords entre Israël et quatre Etats arabes. A tout moment, la poudrière moyen-orientale pourrait s’embraser, alerte, dans une tribune au quotidien français «Le Monde», Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes.

Abonné aux crises qui dégénèrent parfois en guerre, le Moyen-Orient vit un nouvel épisode de grande tension. Deux blocs s’affrontent par divers biais. Le premier est mené par l’Iran messianique, qui a réussi à embrigader plusieurs pays, au travers des milices qu’il a armées dans une zone que le roi de Jordanie avait appelée, en 2004, le « croissant chiite ». Ainsi, Téhéran exploite l’archipel des communautés chiites en détricotant les institutions des Etats. Trois thèmes sont déployés pour mobiliser ses partisans : la lutte contre l’impérialisme américain, l’antisionisme et le soutien à la cause palestinienne. L’Iran tient ses « colonies » d’une main de fer et ne tolère aucune contestation. Et quand les urnes désavouent les groupes qu’il contrôle, la riposte passe par le blocage des institutions et l’omnipotence des milices. L’Irak en fait actuellement les frais, tout comme le Liban l’avait expérimenté bien avant lui. La résistance à Israël a bon dos : elle masque une politique hégémonique décomplexée.

Face à l’alliance des milices menée par Téhéran, un autre axe s’est formé entre Etats. A la « paix froide » et timide, lancée par les accords israélo-égyptiens de Camp David (1978), ont succédé, avec une grande vigueur, les accords d’Abraham, signés en 2020 entre Israël et deux Etats arabes : les Emirats arabes unis et le Bahreïn, rejoints par le Soudan et le Maroc. Toutes ces percées ont été parrainées par Washington. Hétérogène en apparence, ce deuxième axe semble pourtant solide.

Le conflit de mai 2021 entre Israël et le Hamas à Gaza a prouvé que les partenaires de l’alliance n’ont pas fléchi. De plus, cet axe se structure militairement : sur son flanc est, il déploie des radars israéliens dans le Golfe pour intercepter d’éventuels projectiles iraniens. Du gagnant-gagnant pour tous les pays menacés par l’Iran. A Washington, le Congrès plaide pour l’intégration régionale des systèmes de défense antimissiles. Subsiste toutefois une fragilité originelle : des régimes arabes sont susceptibles de subir des contestations amalgamant crises socioéconomiques et relations avec l’Etat hébreu.

Le nouvel axe a pour locomotive les Emirats arabes unis qui l’assument au grand jour et recrutent de nouveaux entrants, tel que le Soudan qui a peu d’intérêts directs avec Israël. Le volontarisme émirati ne doit pas cacher le fait qu’Israël se distingue comme le « senior partner » de l’alliance, car ce dernier domine les trois causes qui la structurent : s’entraider à Washington pour plaider la cause de chacun – sans conteste, Israël y est le plus influent ; lutter contre l’expansionnisme iranien – là aussi, Israël a fait ses preuves ; enfin, coopérer sur le plan technologique – là encore, l’Etat hébreu est un acteur majeur.

Cet axe ne fait pas mystère de sa lassitude face à la cause palestinienne. L’Egypte et la Jordanie ont déjà beaucoup «donné», en vain ; tandis que le Maroc et les Emirats trouvent leur intérêt dans l’alliance avec un Etat d’Israël qui les aide à contenir leurs adversaires – respectivement le Front Polisario, l’Algérie et l’Iran – au moment où les Américains se sont montrés pressés de se désengager du Moyen-Orient.

L’onde de choc suscitée par l’invasion de l’Ukraine a incité les Etats-Unis à réviser leur position et à redécouvrir l’importance vitale des hydrocarbures du Golfe, au point que le président Joe Biden se rend en Arabie Saoudite le 15 juillet, acceptant de traiter avec le prince héritier Mohammed Ben Salman, jadis qualifié de «paria» après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Cette alliance est désormais appelée à s’agrandir en intégrant un poids lourd régional, l’Arabie Saoudite, patrie des villes saintes de la Mecque et de Médine. Cela représenterait un vrai tournant qui donnerait à cet axe une dimension plus imposante. Mais cela ne se pas du vivant du roi Salman (86 ans), qui ne peut renier son long soutien à l’Organisation de libération de la Palestine.

Attaquer «la tête de la pieuvre»

Les deux axes se côtoient sur divers théâtres : du Levant au Golfe, en passant par les détroits et les hautes mers. Leur confrontation se déroule aussi sur la scène diplomatique. La guerre secrète à laquelle se livrent l’Iran et Israël est multiforme : assassinats ciblés, sabotages d’infrastructures sensibles, notamment nucléaires. Désormais, Israël a changé sa doctrine et ses règles d’engagement : après avoir longtemps harcelé les groupes pro-iraniens, mais évitant soigneusement de s’en prendre au Hezbollah [parti et mouvement armé chiite soutenu par l’Iran] dans son sanctuaire libanais, Tel-Aviv affiche désormais sa volonté d’attaquer la «tête de la pieuvre» et pas seulement ses tentacules. C’est l’escalade assurée alors que, jusque-là, les frictions sévères n’ont pas dérapé en conflit ouvert. Téhéran en quête de riposte après les multiples humiliations subies : le chef des renseignements des pasdarans [le corps des gardiens de la révolution islamique] a été révoqué, et l’un de ses généraux arrêté pour trahison. A la lumière de la progression du programme nucléaire iranien et de l’enlisement des négociations, la guerre secrète peut déboucher sur un conflit ouvert entre l’Iran et Israël, entrainant leurs blocs respectifs. Le théâtre libanais pourrait en être le premier test, puisque le Hezbollah cherche à empêcher Israël d’exploiter en mer un gisement gazier qui, selon l’Etat hébreu, fait partie de sa zone économique exclusive, ce que le Liban conteste. Le Hezbollah y a dépêché trois drones, abattus le 2 juillet. En réalité, Israël ne pourra jamais engager un conflit direct avec l’Iran sans avoir, au préalable, neutralisé la menace balistique du Hezbollah, qui détient la capacité de frapper tout Israël, y compris les infrastructures stratégiques et les centres urbains. A tout moment, la poudrière moyen-orientale pourrait s’embraser.
(Le Monde)

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