La poussée diplomatique de Ben Salman arrive en Turquie

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(Rome, Paris, 22 juin 2022). Coopération et leadership. Ben Salman, dans sa tournée, et notamment avec l’étape turque, veut souligner que Riyad est le leader du monde musulman, un rôle que le Saoudien veut revendiquer auprès de Washington

« Les instruments économiques, la coopération dans le domaine de la sécurité et surtout la diplomatie pourraient être des facteurs clés dans la consolidation des relations saoudo-turques, et j’espère que les accords envisagés ouvriront la voie à une relation institutionnelle à long terme », commente Simen Cengiz, de l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara, au lendemain de la halte en Turquie, après la Jordanie et l’Égypte, de l’héritier du trône saoudien.

Selon le décryptage d’Emanuele Rossi dans le quotidien italien «Formiche», M. Cengiz explique que les Turcs et les Saoudiens sont confrontés à des crises régionales majeures, en plus de problèmes internes dus à la fois à la situation post-Covid et à la guerre russo-ukrainienne. « Les crises tridimensionnelles, ajoute-t-il, ont rendu insignifiants les autres questions problématiques entre les deux pays. Nous sommes dans une période où les considérations intérieures ont plus de poids que celles de la politique étrangère ».

Recep Tayyp Erdogan a le problème du maintien de son pouvoir de vingt ans alors que la Turquie affronte une saison délicate, où la crise économique pèse sur la situation sociale. Et l’année prochaine, des élections auront lieu. Mohammed ben Salmane, quant à lui, est toujours le prince héritier, mais il joue un rôle d’intendant dans le royaume : nombre des grands programmes qui vont conduire le développement de l’Arabie saoudite sont issus de sa pensée. Et il a besoin d’un consensus interne, notamment au sein de l’establishment.

Il est normal que les destins se croisent : Riyad et Ankara sont deux puissances qui cherchent depuis longtemps à dominer le monde musulman. La stabilité interrégionale est l’un des facteurs qui, en ce moment, face à des défis multidimensionnels tels que l’alimentation et le climat, ou à des défis sécuritaires également liée à l’Iran, pourrait accroître la confiance dans le leadership au sein des différents pays.

« Il ne sera peut-être pas facile pour la Turquie et l’Arabie saoudite d’ouvrir un nouveau chapitre de sitôt », ajoute M. Cengiz, « mais je pense qu’Ankara et Riyad se concentreront sur le maintien des intérêts mutuels et ne créeront pas de terrain controversé, du moins si la crise énergétique, alimentaire et régionale persistera. Les deux pays ont deux économies complémentaires, l’une étant spécialisée dans le secteur de l’énergie et l’autre dans l’industrie de la défense et la production alimentaire. Dès lors, le rapprochement est désormais politiquement et économiquement logique ».

Pour ben Salman, cet engagement régional sert à relancer son rôle sur la scène internationale. Le prince héritier veut enterrer les affaires les plus délicates dans lesquelles il est impliqué (de la guerre au Yémen au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, à propos duquel il y avait eu de fortes tensions avec la Turquie, résolues à la veille du voyage d’Erdogan en Arabie saoudite fin avril). Et il veut tenter de redevenir un interlocuteur central dans la région. Cet objectif concerne non seulement un leadership local, mais aussi la reconnaissance de celui-ci par les États-Unis, par le biais d’un activisme positif renouvelé – comme celui d’apporter une aide à l’Égypte aux prises avec la crise économique (et alimentaire).

Comme l’explique James Dorsey de l’Institut du Moyen-Orient de l’Université de Singapour, « il ne s’agit pas d’une question d’énergie ou d’accords commerciaux, qui pourraient ou non résulter de la visite en Turquie », mais Mohammed ben Salmane pourrait vouloir « renforcer sa position auprès de Biden ». En d’autres termes, ajoute-t-il, « il veut démontrer qu’il est non seulement capable de prévenir, mais aussi de reconstruire. Il veut montrer que l’Arabie saoudite est le leader du monde musulman et que Biden devrait prendre ce pays au sérieux, qu’il aime ou non son dirigeant ».

En même temps, ce genre d’action sert aussi au côté saoudien à apaiser l’opposition interne, comme ce fut le cas de la réconciliation d’al Ula. Un succès international aurait des répercussions internes. L’entrée au cœur du pouvoir de ben Salmane ne s’est pas faite sans heurts : le prince a forcé les engrenages pour se faire nommer héritier, il a adopté des initiatives clivantes et agressives contre ceux qui s’opposaient à lui. En même temps, cependant, il fait partie de la classe démographique plus jeune, qui est la force motrice du pays (et de la région), et propose un nouveau pacte social au royaume. Des initiatives appréciées par les citoyens.