(Rome, 19 juin 2022). « La défaite du parti présidentiel » en France a été « totale » : ce sont les mots de Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la coalition de gauche Nupes, qui a commenté le résultat obtenu au second tour des élections législatives françaises. « Aucune majorité ne se dégage. La France s’est exprimée et il faut le dire, le niveau d’abstention est encore bien trop élevé, ce qui fait qu’une grande partie de la France ne sait pas vers qui se tourner, tant et si bien que les trois blocs sont à des niveaux similaires ». En attendant les chiffres et les virgules, un résultat paraît certain : le macronisme et sa prétendue supériorité morale ont échoué. Pendant ce temps, Mélenchon et Le Pen galvanisent leurs acolytes, comme décrypté par Francesca Salvatore du quotidien «Inside Over».
Un vote sanction
Un vote sanction, du jamais vu pour un président de la République fraîchement réélu. Avec 224 députés (245 selon les résultats du ministère de l’Intérieur), les macronistes sont bien en dessous de la barre fatidique des 289 élus nécessaires pour obtenir la majorité absolue. Et on ne sait pas encore quelles forces (politiques) lui permettraient d’y parvenir. La confirmation de la division tripartite de la scène politique française entre macronistes, mélanconistes et lépénistes, mais aussi que le scrutin majoritaire, qui prévoit 50 % des voix au second tour, ne représente plus une barrière infranchissable pour le parti d’extrême droite. Tout comme elle ne protège plus les forces centrales comme jadis. Ce résultat de désordre chronique s’explique non seulement par le taux d’abstention élevé, mais aussi par une sorte de revanchisme envers l’arrogance macronienne : selon les sondages, 70% des citoyens ne voulaient pas donner les pleins pouvoirs au président sortant et assister à une réplique du premier mandat : c’est pourquoi les électeurs militants ont décidé de défier la chambre basse du macronisme, le sanctuaire du pouvoir législatif.
Les «talonneurs» Mélenchon et Le Pen
Marine Le Pen, qui, sans faire campagne, a décuplé le nombre de députés à l’Assemblée nationale. Les ministres du gouvernement tout juste nommés par Macron se sont effondrés les uns après les autres, à commencer par la cheffe de la santé, Brigitte Bourguignon. Deux hommes très proches du président depuis le début de son aventure politique ont été emportés : le président du Parlement, Richard Ferrand, et le chef de file des députés d’En marche !, Christophe Castaner. Les scènes de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen font beaucoup de bruit. Tout comme leurs supporters. Macron aura du mal à parler de réformes avec des opposants aussi déterminés. Tous deux – Mélenchon et Le Pen – ont fait ces dernières années de l’anti-macronisme leur principale caractéristique. « Nous avons atteint notre objectif » a proclamé Mélenchon, sans surprise, faire tomber l’homme de l’arrogance. L’effondrement de cet homme, qui a fait la morale à tout le monde, est devant tout le monde, il est sans appel ». Les analystes s’accordent à dire que Macron ne peut s’adresser qu’à la droite traditionnelle, les anciens néo-gaullistes qui, jusqu’à il y a 10 ans, étaient toujours l’un des deux pôles alternant au pouvoir et sont désormais réduits à la quatrième force au parlement (60-75 sièges, 61 selon le dernier résultat), pour la première fois derrière l’extrême droite. Mais seuls quelques chefs du parti, comme Jean-François Copé, ont évoqué ce soir un « pacte de gouvernement » avec les macronistes en panne. Le virage à droite de Macron, qui structure actuellement son nouveau parti sous le nom de « Renaissance » est non seulement un canard boiteux, mais il est talonné par des ennemis jurés : la gauche radicale et l’ultra-droite.
La proposition de Le Maire et le rôle de Jacob
Bruno Le Maire tente de se mettre à l’abri en appelant à un « compromis » autour du camp présidentiel : le ministre de l’Economie constate un « choc démocratique qui montre les profondes inquiétudes des Françaises et des Français », commentant les premiers résultats du second tour. Le ministre de l’Economie évoque une « situation inédite », notant qu’il existe « un groupe majoritaire autour du président de la République » et insistant sur le fait que le thème du « travail et de la juste rémunération du travail », « la sécurité et la lutte contre la délinquance » ainsi que le problème de la lutte contre le réchauffement climatique sont des priorités politiques. Le Maire appelle à un « compromis » des députés autour de la coalition macronienne, dans un appel à peine tacite à son ancien parti, Les Républicains (LR), qui devrait former un groupe de près de 80 députés dans la prochaine législature. Il appelle à « l’écoute, au dialogue » au sein de la nouvelle Assemblée nationale et souhaite une « nouvelle culture de gouvernance » dans cette optique.
Christian Jacob, en revanche, le président du parti Les Républicains (LR) profite dans ce second tour des législatives d’un véritable rebondissement. LR, dans ce drôle d’élection, pourrait devenir un pivot dans le fonctionnement du futur Parlement. Selon l’estimation d’Ipsos Sopra-Steria pour France Télévisions, Radio France, France 24/RFI/MCD et LCP, la formation de droite et ses alliés récolteraient 76 sièges. Ce n’est certes pas la centaine de députés que LR a réussi à envoyer à l’Assemblée nationale en 2017, mais compte tenu du contexte, la situation est bien meilleure que prévu. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron avait des chiffres qui lui permettaient d’ignorer les souhaits des groupes d’opposition.
La Première ministre française, Elisabeth Borne, qui s’exprimait ce soir, a déclaré que la situation « sans précédent » créée par le vote « représente un risque pour notre pays compte tenu des défis auxquels nous sommes confrontés, tant au niveau national qu’international ». Le vote, « nous devrons le respecter et en tirer les conséquences », a ajouté Madame Borne, appelant les forces politiques « de bonne volonté » à « s’unir » et à œuvrer pour « construire une majorité d’action » pour le pays, en construisant des « compromis ».
L’agenda national menacé
Un agenda interne dense, celui de Macron, qui exige des actions urgentes et délicates concernant les urgences nationales. La première est le coût de la vie, car l’inflation galopante érode les salaires. Macron a promis de nouvelles augmentations de retraite et des allégements fiscaux, qu’il doit maintenant présenter au Parlement. Les pensions augmenteront de 4 % en juillet et une remise sur le prix du carburant de 18 centime par litre sera prolongée jusqu’en août. Mais ces mesures ne sont pas susceptibles de durer indéfiniment. Vient ensuite la crise hospitalière : des dizaines de services d’urgence doivent fermer ou restreindre partiellement leurs horaires en raison d’une grave pénurie de personnel médical et de moyens. Des grèves dans les hôpitaux, des protestations du personnel médical, des pétitions et des piquets de grève ont eu lieu ces dernières semaines alors que les médecins avertissaient que la situation était dangereuse pour la santé publique.
Le gouvernement a également promis une loi environnementale urgente visant à développer les énergies renouvelables, puis à nouveau le plan de relèvement de l’âge de la retraite (peut-être reporté à l’automne). Il s’agit de mesures très délicates sur lesquelles la gauche a un impact décisif. Lorsque Macron a été élu président pour la première fois en 2017, le parti d’extrême gauche la France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon ne comptait que 17 députés. Mais le petit groupe a eu une présence très incisive, déposant des amendements et dominant la couverture médiatique avec des gestes tels que l’apport des paquets de pâtes, de sauce tomate et de pain à l’Assemblée nationale pour illustrer l’impact des coupes gouvernementales.