(Paris, 28 avril 2022). Lors d’un discours prononcé à Saint-Pétersbourg le 27 avril, le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a déclaré, évoquant le cours actuel du conflit en Ukraine, que « si quelqu’un intervient de l’extérieur, cela créera des menaces stratégiques inacceptables pour nous » et que quiconque le ferait, devrait savoir que « notre réponse aux contre-attaques sera immédiate et rapide ». Nous avons des outils dont personne d’autre ne peut se vanter de disposer. Mais nous ne nous contenterons pas de nous en vanter », laissant entendre qu’il pourrait utiliser de nouveaux concepts d’armes présents dans les arsenaux russes.
La déclaration est couplée avec celle que le ministre des Affaires étrangères Sergej Lavrov a prononcée deux jours plus tôt, rapporte Paolo Mauri, dans son décryptage sur les colonnes du quotidien italien «Inside Over». Le lundi 25, le chef de la diplomatie du Kremlin a averti l’Occident de ne pas sous-estimer le risque d’un conflit nucléaire, considéré comme élevé, pour l’Ukraine, notamment parce que Moscou considère que l’OTAN est « essentiellement » impliquée dans une guerre par procuration en raison des fournitures d’armes qui soutiennent l’effort de guerre de Kiev.
Les deux déclarations, complémentaires, interviennent dans le cadre du contexte actuel du conflit où Moscou, malgré le changement de tactique, et l’arrivée d’un nouveau commandant des opérations de guerre (Alexander Dvornikov), continue de lutter pour atteindre son deuxième objectif stratégique : la prise de l’ensemble de la région du Donbass.
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En effet, Moscou n’a pas encore percé les lignes ukrainiennes pour atteindre ce qui pourrait être la troisième : la prise d’Odessa et de la bande côtière de la Crimée à la Roumanie pour relier la Transnistrie à la Fédération de Russie. Ce dernier objectif, faut-il le préciser, est plutôt ambitieux et difficile à atteindre compte tenu de la situation de guerre actuelle, les conditions des forces russes et de la faible présence militaire de Moscou dans la région séparatiste de Moldavie.
En revenant aux déclarations de Poutine et de Lavrov, et en particulier à celle du président russe, nous pouvons affirmer avec une bonne marge de certitude qu’il s’agit du phénomène qui prend le nom du «risque calculé», combiné à une pression psychologique pratiquée, ayant pour but final un résultat avantageux, en poussant des situations dangereuses au bord du précipice d’un conflit actif ou plus large. La même indication de vouloir conquérir toute la bande côtière ukrainienne sur la mer Noire, pourrait être lue dans ce sens et pourrait signifier la tentative de Moscou de parvenir à une trêve à partir de positions de force. Toutefois, les deux déclarations révèlent également sur le plan diplomatique, des difficultés de la Russie dans le conflit : l’ours russe peine à avancer en raison du soutien occidental à Kiev, et la crainte d’un conflit nucléaire, ou l’utilisation d’armes « jamais vues auparavant » pour arrêter l’approvisionnement de l’Ukraine, est certainement un excellent moyen de faire pression sur l’opinion publique occidentale, que Moscou considère – à juste titre – comme influente dans la prise de décision du gouvernement.
Les outils de Moscou « dont personne d’autre ne peut se vanter de disposer » sont pourtant, de ce point de vue, un « bluff » pour toute une série de raisons que nous allons analyser, poursuit Paolo Mauri dans son analyse.
Tout d’abord, ces nouvelles armes sont pour la plupart dans une phase expérimentale, souvent pas trop avancée. Si l’on se souvient de la vidéo diffusée par le ministère russe de la Défense en juillet 2018 dans laquelle les nouveaux systèmes d’armes futuristes étaient montrés pour la première fois, on peut dire aujourd’hui que la plupart d’entre elles sont encore loin d’être opérationnelles.
A cette occasion, outre le nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) RS-28 « Sarmat », les ogives hypersoniques (Hgv – Hypersonic Glide Vehicle), le missile hypersonique Kh-47M2 « Kinzhal » et un laser à haute puissance monté sur un camion, le « megasiluro » à propulsion nucléaire « Status-6 » (ou Poséidon) ainsi que les missiles de croisière à propulsion nucléaire « Burevestnik », ont été présentés pour la première fois.
Quant au nouvel ICBM, lourd et probablement capable de frapper le territoire américain avec une trajectoire « sud » en raison de sa très grande portée (mais avec une charge de guerre réduite), nous avons déjà eu l’occasion d’affirmer que la Russie prévoit de commencer à le mettre en service plus tard cette année avec « un régiment du système Sarmat dans la région d’Uzhur » comme l’a déclaré en décembre 2021 le général Sergei Karakaev, commandant des forces de missiles stratégiques. Le Sarmat n’est donc pas encore en service et aurait déjà dû l’être, car dans les plans originaux de Moscou, il était prévu de le déployer à partir de 2018 après la première commande de 50 unités.
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Un destin différent, en revanche, a frappé le HGV (Hypersonic Glide Vehicle) « Avangard ». La nouvelle ogive hypersonique a déjà été déployée, mais en utilisant l’ancien porte-missiles UR-100N UTTKh (ou SS-19 « Stiletto » en code OTAN). Quant à ce système, s’il est confirmé qu’il peut transporter une charge de guerre conventionnelle, en plus de la charge nucléaire, il serait l’arme parfaite pour les attaques chirurgicales préventives contre les installations C4-I (Command, Control, Communication, Computer and Intelligence), et il serait, peut-être, le seul « outil » que la Russie pourrait réellement utiliser en ce moment.
Le missile balistique hypersonique « Kinzhal » est en fait une réalité déjà vue (et utilisée) lors de ce conflit, tandis que le porte-croiseur à propulsion nucléaire 9M730 « Burevestnik » (SSC-X-9 « Skyfall » en code OTAN) en est encore aux premières phases d’expérimentation, qui ont certainement subi des retards après l’accident survenu en août 2019.
Concernant la torpille stratégique « Status-6 », il ne semble pas qu’elle ait été réellement testée, bien que sa plate-forme de lancement, le sous-marin K-329 Belgorod (projet 09852) fasse partie de la 29ème Brigade autonome de la Flotte du Nord (mais à toutes fins utiles, dépendant du service de renseignement militaire russe), tous deux en phase d’essais en mer, donc pas en service. La torpille à propulsion nucléaire est une arme stratégique de représailles, et sa charge atomique de grande puissance (2 mégatonnes) est suffisante pour dévaster une vaste zone, surtout grâce au concept de « bombe sale », (avec la possibilité d’être équipée d’une coquille de cobalt-60), un isotope artificiel particulièrement radioactif (sa demi-vie est de 5,7 ans) qui tuerait toute forme de vie, contaminant l’environnement avec des niveaux élevés de radiation pendant environ 10/20 ans. Dissipons un mythe sur Poséidon / Status-6 : les informations initiales évaluaient la puissance de l’ogive nucléaire autour de 100 mégatonnes, assez pour générer un petit tsunami, mais nous savons maintenant qu’elles ne sont qu’au nombre de deux, donc non suffisantes pour dévaster les côtes avec les raz de marée. Ce système, outre qu’il n’est pas encore être entré en service, il ne pourrait même pas être utilisé dans le conflit en Ukraine : le passage du détroit du Bosphore étant interdit à tous les navires militaires sauf à ceux dirigés vers les ports d’attache (en l’occurrence le cas de Sébastopol), et le Belgorod, seule unité capable d’emporter des torpilles nucléaires, est stationné dans la Flotte du Nord.
D’autres lanceurs de croisière hypersoniques russes, à savoir les missiles anti-navires et d’attaque terrestre 3M22 Zircon, n’ont pas encore été déployés : la Russie a effectué plusieurs essais l’année dernière, mais le Zircon n’est pas encore disponible au sein de la flotte. Les déclarations du président Poutine apparaissent donc davantage comme un « bluff » pour tenter à la fois d’impressionner l’opinion publique occidentale et de mettre en œuvre la politique du «risque calculé, combiné à une pression psychologique».