Poutine nous mènera-t-il à la guerre nucléaire ?

0
920

(Rome, Paris, 08 mars 2022). Le président russe menace l’Ukraine et l’Occident. Mais la guerre froide, la théorie des jeux et celle du leader fou, semblent rassurer. Un indice : il ne l’a pas joué comme une carte de désespoir ou de dernière minute

Que fait Vladimir Poutine ? Qui rencontre-t-il ? Qui écoute ? Mais surtout, comment va-t-il ? Autant de questions auxquelles les renseignements occidentaux tentent également de répondre à la lumière de la menace nucléaire lancée par le président russe et de la chute de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporizhzhia, la plus grande d’Europe, aux mains des troupes moscovites après des heures de combats, s’interroge Gabriele Carrer, dans son décryptage sur les colonnes du quotidien italien «Formiche».

A la mi-février, soit une semaine avant l’invasion, l’hebdomadaire américain «Time» soulignait que l’hyper-communication des services secrets anglo-saxons sur la guerre en Ukraine avait peut-être alimenté les soupçons de Poutine d’avoir une taupe dans son palais, « rendant paranoïaque un héritier du KGB déjà isolé ».

Plus récemment, James Clapper, ancien directeur du «US National Intelligence», a qualifié l’appel de 1.000 mercenaires supplémentaires de « signe du désespoir de Poutine » face à une offensive qui ne se déroule pas comme espéré. « Il pensait qu’il pouvait entrer en Ukraine et que les Ukrainiens se rendraient », a-t-il déclaré à CNN. Mais cela ne s’est pas produit.

Le New York Times a rapporté que l’administration Biden étudie une stratégie visant à traiter avec la Russie, mais qu’un examen par les services de renseignement de l’état mental du président Poutine est « urgent ». Parmi les facteurs à évaluer figurent les deux années d’isolement liées à la pandémie (vivre dans une bulle, avec des tunnels désinfectants que tous les invités doivent traverser avant de la rencontrer et une quarantaine obligatoire jusqu’à deux semaines pour certains visiteurs), et la volonté de reconstruire la sphère d’influence de la Russie et renforcer son héritage politique. La tendance de Poutine, lorsqu’il se sent piégé par sa propre exagération, est de se relancer, ont expliqué des responsables du renseignement américain à la Maison Blanche et au Congrès. Cela a été indiqué par une série de réactions possibles : bombardements aveugles de villes ukrainiennes pour compenser les premières erreurs commises lors de l’invasion, cyberattaques visant le système financier américain, menaces nucléaires et tentatives de porter la guerre au-delà des frontières de l’Ukraine.

Les Etats-Unis ne semblent pas être le seul pays à évaluer l’état de santé du président russe âgé de 69 ans. Le Premier ministre britannique Boris Johnson a noté que Poutine n’agissait peut-être pas de manière rationnelle. Que le président français Emmanuel Macron, l’un des dirigeants qui a récemment rencontré davantage son homologue russe, a été frappé par ce changement de comportement.

Certains analystes soutiennent que M. Poutine veut être perçu comme un fou car cela l’aidera à atteindre ses objectifs. La « théorie du fou » a également été appliquée par le président américain Richard Nixon, persuadé que le fait de se faire passer pour un anticommuniste incontrôlable avec une main sur le « bouton nucléaire », il convaincrait les Nord-Vietnamiens de se rendre.

Mais il y a une différence entre réputation (et forcément, celle du président russe qui s’effondre) et état mental, note Roseanne McManus, professeur à la «Pennsylvania State University», dans le Washington Post. « Un comportement étrange ne suffit pas toujours à convaincre les gens qu’un dirigeant se comportera de manière insensée lorsqu’il s’agira d’utiliser la force militaire », écrit l’expert en commentant un épisode tel que la réunion entre Poutine et le sommet du gouvernement et des renseignements de Russie, diffusée en direct à la télévision. « Par exemple, la réputation de folie du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev s’est estompée avec le temps lorsqu’il n’a pas donné suite à ses tirades d’actions de force.

Mais des études et des recherches ont conduit le professeur à conclure que « la plupart des types de folie perçue n’augmentent pas réellement la probabilité que les adversaires d’un leader reculent ». Il existe plusieurs raisons à cela, dont l’imprévisibilité du comportement des fous quelle que soit la façon dont ils sont perçus, ainsi que leur incapacité à prendre des engagements crédibles.

Faisant remonter la théorie du fou à celle des jeux, le professeur Xavier Vives de «l’Iese Business School», et le chercheur Kamil Galeev, du «Wilson Center», dans un long fil de discussion sur Twitter, n’ont pas abouti à des conclusions différentes : pour que la folie soit crédible, Poutine doit constamment dissimuler ; s’il cède, il révèle à l’Occident qu’il poursuit une stratégie calculée depuis le début et qu’il perd un avantage stratégique essentiel.

Mais Galeev a décliné le raisonnement sur la dissuasion nucléaire en retraçant certains épisodes de la guerre froide et en soulignant à quel point le facteur humain était déterminant tant pour l’agresseur présumé que pour le défenseur présumé : « Le facteur humain entrave l’utilisation réelle de l’arme nucléaire en tant qu’arme non seulement offensive, mais aussi défensive. Si je considère que ce qui reste de mon adversaire après mon attaque, peut ne pas contre-attaquer (il préfère négocier), alors l’ensemble du mécanisme de dissuasion nucléaire ne fonctionne pas ». Il existe des situations où l’individu (le facteur humain, en fait) a joué un rôle fondamental dans la prévention d’une escalade nucléaire.

Et Gabriele Carrer de conclure que, ce qui est lu aujourd’hui, semble une raison de plus pour dévaloriser la menace nucléaire de Poutine, d’autant que le président russe l’évoque depuis les premiers jours du conflit.