(Rome, Paris, 20 janvier 2022). Depuis Berlin, invité du «German Marshall Fund», le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken lance un appel à l’Europe : Poutine va envahir l’Ukraine, le sort de l’Occident libre se joue à Kiev. Pendant ce temps, les services secrets américains se préparent au pire scénario
La guerre qui se profile en Ukraine concerne tout le monde. Il ne s’agit pas d’une crise régionale, mais du défi de Vladimir Poutine à l’Occident. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken clarifie les enjeux depuis Berlin. Là où John Kennedy a lancé l’anathème contre l’oppression soviétique, là où Ronald Reagan a demandé à Gorbatchev d’abattre le mur, aujourd’hui le chef de la diplomatie de Joe Biden renouvelle son appel, lit-on dans l’analyse de Francesco Bechis du quotidien italien «Formiche».
« Cette crise ne concerne pas seulement les armes ou la souveraineté ukrainienne. Il s’agit du rejet par la Russie de l’ordre post-guerre froide en Europe. C’est un affrontement qui dépasse les frontières des deux pays, il est mondial et requiert de l’attention et de l’action ». Invité du « German Marshall Fund » aux côtés de la sous-secrétaire et ancienne présidente du groupe de réflexion Karen Donfried, Blinken fait appel aux alliés européens.
Il le fait alors qu’un fossé se creuse au sein de l’alliance transatlantique. La faiblesse de l’administration Biden, qui atteint difficilement son anniversaire, et la tentation de l’actuel président du Conseil de l’UE Emmanuel Macron de faire cavalier seul sur le dossier russe, risquent de mettre à mal l’unité du front occidental face au spectre d’une guerre sur le sol européen. « Une guerre inutile qui aura des coûts difficiles à évaluer », tonne le secrétaire d’Etat. « Nous parlons depuis un certain temps des véritables intentions de Poutine, mais il n’y a pas lieu à s’interroger, nous a-t-il dit. Il prépare le terrain pour une invasion ».
À Washington DC, ajoute Francesco Bechis dans son décryptage, les services de renseignement et le Pentagone sont en alerte pour ce qui n’est plus considéré comme une hypothèse depuis des mois. Au cours des dernières heures, les 100.000 soldats déployés à l’est de la frontière ukrainienne ont été rejoints par des mouvements de troupes russes à travers la frontière biélorusse, avec la complaisance tacite du dictateur Alexandre Loukachenko.
Parmi les prévisions les plus optimistes, il y a ceux qui envisagent un délai de trois semaines avant que Poutine ne passe à l’action. Il ne manque qu’une seule étincelle, les 007 américains l’appellent « l’opération sous faux drapeau ». « La Russie tentera de provoquer un accident – prévient Blinken – elle espère que nous nous en rendrons compte quand il sera trop tard. Elle ne reconnaît pas le droit à la souveraineté de l’Ukraine ».
Le discours de Blinken est imprégné de références historiques. À la guerre froide, aux accords de non-ingérence en Ukraine signés par la Russie et les alliés européens dans les années 90. A l’invasion de la Géorgie en 2008, de la Crimée en 2014, en huit ans « la guerre du Donbass a tué 14.000 Ukrainiens, détruit des villes, contraint 1,5 million de personnes à quitter leurs maisons ». Il s’agit d’une réponse au révisionnisme qui a inspiré pendant des années le récit du Kremlin pour justifier une intervention des troupes moscovites en défense des Slaves russophones d’Ukraine, afin de mettre fin au prétendu « génocide » dont Kiev est accusé.
« La Russie a deux voies devant elle : la voie diplomatique et celle de l’agression. Nous agirons en conséquence, les Etats-Unis continueront à défendre l’Ukraine », assure-t-il. Une précision qui balaie les ambiguïtés apparues lors de la conférence de presse de Biden mercredi soir, alors qu’il semblait faire la distinction entre les incursions russes « majeures » et « mineures » en Ukraine. Blinken revient d’une visite à Kiev, où le directeur de la CIA, William Burns, l’a précédé il y a une semaine. Après l’Allemagne, ce sera au tour de la Suisse ce vendredi. A Genève, neutre, il retrouvera son homologue russe Sergueï Lavrov.
« Je vais avertir la Russie et lui dire de respecter les pactes, je vais dire clairement qu’une agression russe aura le résultat qu’elle espère éviter : un renforcement de l’alliance de défense de l’OTAN ». Les aiguilles tournent, la fenêtre pour une solution diplomatique commence à se refermer. L’appel est lancé : l’Europe a été avertie, il faut maintenant qu’elle agisse. Avant qu’il ne soit trop tard.