(Rome, Paris, 17 janvier 2022). Alors que les miliciens pro-iraniens ont fui hier des hauteurs au sud de la ville yéménite pour l’arrivée des Brigades de Géants soutenues par les Emirats, l’attaque qui a frappé Abou Dhabi aujourd’hui était prévue à Sanaa et Téhéran
Trois camions-citernes ont explosé et un incendie s’est déclaré lundi près de l’aéroport d’Abou Dhabi dans ce que le groupe Houthi aligné sur l’Iran du Yémen a qualifié d’attaque contre les Émirats arabes unis. Le bilan officiel est de 3 morts et 6 blessés. En effet, deux travailleurs indiens et un Pakistanais ont perdu la vie. Le mouvement yéménite pro-iranien combat une coalition dirigée par Riyad qui inclut désormais Abou Dhabi dans une mesure plus nuancée, et a déjà lancé des attaques transfrontalières de missiles et des frappes de drones contre les Saoudiens, mais a revendiqué peu d’attaques similaires contre les Émiratis, comme l’expliquent les deux journalistes Massimiliano Boccolini et Emanuele Rossi du quotidien italien «Formiche».
La police d’Abou Dhabi a déclaré aujourd’hui que trois camions-citernes avaient explosé dans la zone industrielle de Moussaffah, près des installations de stockage de la compagnie pétrolière Adnoc (l’entreprise spécialisée dans l’énergie de l’émirat d’Abou Dabi et la principale compagnie pétrolière nationale des Émirats arabes unis, dotée des quatrièmes réserves pétrolières mondiales, ndlr), et qu’un incendie s’était déclaré sur un chantier de construction à l’aéroport international de la capitale. « Les premières enquêtes ont trouvé des parties d’un petit avion qui pourraient être un drone sur les deux sites », a déclaré la police dans un communiqué à l’agence de presse d’Etat WAM : des drones pourraient être à l’origine des explosions. Il n’y a pas eu de « dommages significatifs » à la suite des incidents et une enquête approfondie a été ouverte, ont expliqué les autorités.
Le porte-parole militaire des Houthis, qui a évoqué une opération militaire « en profondeur » aux Émirats arabes unis, a annoncé que davantage de détails seraient fournis dans les prochaines heures. Les rebelles yéménites, qui ont conquis la moitié du pays et renversé le gouvernement depuis 2015, utilisent des armes qui leur sont envoyées par les Pasdaran : majoritairement des composants, puis assemblés au Yémen. Les drones ont été utilisés à plusieurs reprises pour des attaques ciblées et se sont avérés assez efficaces lors de ces attaques contre des infrastructures aéroportuaires, théoriquement parmi les mieux protégées du pays.
La nouvelle des dernières semaines est que la Brigade des « géants » – une force yéménite dirigée par un neveu du défunt président Ali Abdallah Saleh, tué par les rebelles pro-iraniens et stationnée le long de la côte ouest – a envoyé ses troupes sur le front de Ma’rib modifiant l’équilibre sur le terrain. Cette force est en effet soutenue par les Emirats et a été décisive au moins pour la défaite subie par les rebelles sur le front sud de Ma’rib et pour la perte de toute la province de Shabwa la semaine dernière.
Pas plus tard qu’hier soir, comme le note le site « Expartibus », le directeur du Département des opérations militaires du ministère de la Défense du gouvernement yéménite légitime, Ali Mohsen Al-Houda, a annoncé dans une vidéo qu’il avait remporté une victoire historique contre les Houthis dans les combats sur le front sud de Marib. Quelques heures plus tard, une autre vidéo a été diffusée, montrant en effet la fuite de miliciens pro-iraniens depuis leurs positions dans cette région.
Selon l’analyste politique Arhab al-Sarhi « les attaques de ce type sont la conséquence directe de ce qui se passe à Shabwa et Marib où des changements importants ont eu lieu ces dernières semaines en raison de l’intervention de la Brigade des Géants soutenue par les Emirats. Il n’y avait pas eu d’attaques contre le territoire émirati depuis des années, même s’il faut comprendre d’où peuvent provenir ces drones ». Al-Sarhi a expliqué qu’«il est difficile en fait de percer la défense aérienne saoudienne et d’aller à Abou Dhabi depuis le Yémen. Il est plus probable qu’ils aient été lancés depuis des navires ou depuis l’Iran irrité aussi par l’impasse enregistrée par les pourparlers nucléaires ».
A défaut, le directeur du site yéménite Mereb Press, Mohammed Al-Salihi, a expliqué que « ce qui s’est passé aujourd’hui et revendiqué par les Houthis démontre à quel point leur arsenal est encore très puissant et le danger que ce groupe représente pour toute la région. La présence de cette formation, financée par l’Iran, dans la péninsule arabique représente un danger pour nous et pour le transit maritime en mer Rouge ». Même le journaliste yéménite estime qu’il est peu probable que l’attaque provienne du territoire yéménite. Au contraire, explique-t-il, « cela serait parti du territoire omanais ou iranien ».
Même le journaliste yéménite Ahmed Yahya Aiyed estime que « les Houthis visent Abou Dhabi et révèlent l’ampleur des dégâts subis ces dernières semaines, après avoir perdu sur le front de Shabwa, sans oublier le retour de l’armée de l’air des EAU sur le théâtre des opérations militaires » au Yémen, avec force. L’attaque des Houthi est une tentative d’arrêter le rôle d’Abou Dhabi dans la prochaine opération militaire, que la Coalition a lancée avec l’opération « Libération du Yémen Félix ».
Les Émirats arabes unis avaient réduit leur présence militaire au Yémen en 2019 dans un contexte d’une impasse militaire et de tensions régionales croissantes avec l’Iran, mais ils continuent de garder un pied dans le pays grâce aux forces yéménites qui se sont armées et se sont également entraînées comme une opération d’influence visant à contrôler la région sud, notent les journalistes Massimiliano Boccolini et Emanuele Rossi. Les forces de la coalition pro-émiratie ont récemment rejoint les combats contre les Houthis, notamment dans la région de Shabwa et Marib, liée à la chaîne de valeur énergétique méridionale.
Les Houthis ont déjà menacé que la croissance des capacités militaires du groupe leur permettrait de cibler les Émirats arabes unis. En juillet 2018, les Émirats arabes unis ont démenti les informations selon lesquelles les Houthis auraient attaqué avec un drone l’aéroport d’Abou Dhabi. Un mois plus tard, la même chose s’est produite à Dubaï. En décembre 2017, les Houthis ont déclaré avoir tiré un missile de croisière sur une centrale nucléaire à Abou Dhabi, également démenti par les autorités émiraties.
Il ne s’agit pas de la première frappe au drone des Houthis contre les Émirats, ce qui ne justifie pas en soi une raison pour des évolutions plus larges, notamment parce qu’il y a une grande différence entre frapper des camions à la périphérie d’Abou Dhabi et détruire avec succès des infrastructures pétrolières (comme cela s’est déjà produit avec l’Arabie saoudite) ou frapper le centre-ville de Dubaï. En outre, tout semble davantage lié aux développements internes du conflit yéménite qu’à des questions régionales plus larges (tels que les pourparlers de Vienne sur le nucléaire iranien).