(Rome, Paris, 17 novembre 2021). Quatre ans après l’initiative de Paolo Gentiloni et avec les hauts et les bas entre l’Italie et la France, Emmanuel Macron se rendra à Rome la semaine prochaine pour signer l’accord. Voici les (quelques) détails et les prochaines étapes.
De Bloomberg à Reuters, même les principaux médias internationaux ont lu le très attendu traité du Quirinal qui sera signé la semaine prochaine, à l’occasion de la visite à Rome du président français Emmanuel Macron, comme une démarche de l’Italie et de la France pour éviter d’être pris au dépourvu au début de l’ère européenne post-Angela Merkel, qui devrait, début décembre, passer le relais après 16 ans à la tête de l’Allemagne, à Olaf Scholz.
Comme le rapporte l’analyse de Gabriele Carrer dans le quotidien italien «Formiche», il s’appelle le traité du Quirinal probablement pour répliquer le traité de l’Elysée, signé par la France et l’Allemagne en 1963 et renouvelé en 2019 à Aix-la-Chapelle par Macron et Merkel. A la Farnesina (Ministère italien des AE, ndlr) certains soulignent la poussée du président de la République Sergio Mattarella. En tout état de cause, le Quirinale n’a pas mis la main sur les textes, dont la rédaction, y compris les secteurs concernés, relève des gouvernements et de la diplomatie.
Ainsi, le traité a suivi les hauts et les bas des relations bilatérales. La dynamique 2017-2018 du Premier ministre de l’époque Paolo Gentiloni a été contrebalancée par quelques ralentissements, à l’image de la rupture diplomatique qui a suivi les apparitions en 2019 avec les Gilets jaunes de certains représentants du Mouvement 5 étoiles, dont Luigi Di Maio, alors vice-président du gouvernement jaune-vert de Giuseppe Conte. Le point le plus bas dans les relations entre les deux pays a été atteint, avec le retrait de l’ambassadeur de France à Rome, Christian Masset, en partie en raison des attaques du ministre de l’Intérieur de l’époque, Matteo Salvini, contre le contrôle de l’immigration. C’est ensuite Di Maio lui-même, en tant que ministre des Affaires étrangères du deuxième gouvernement Conte, celui de jaune-vert, qui a relancé le traité du Quirinal en juin 2020, à l’occasion de la visite à Rome de son homologue français Jean-Yves Le Drian.
Dans les premières semaines du gouvernement dirigé par Mario Draghi, Vincenzo Amendola et Clément Beaune, respectivement sous-secrétaire d’État italien aux Affaires européennes et secrétaire d’État français chargé des Affaires européennes, avaient rédigé une intervention conjointe dans le quotidien La Stampa. « La coopération franco-italienne a souvent fait progresser l’Europe. Nous continuons à la maintenir en vie », ont-ils fait valoir. Que faire pour relancer l’axe Rome-Paris, un objectif qui figure parmi les priorités de l’agenda Draghi annoncé quelques jours plus tôt à la Chambre ? « En travaillant ensemble sur des projets concrets, nous serons en mesure de multiplier l’efficacité et la portée de notre relance », ont-ils déclaré. « Avec cet objectif en tête, nous travaillons conjointement sur un traité italo-français qui nous permettra de structurer le dialogue et la coopération nécessaires pour relever ensemble les défis communs », ont-ils ajouté en référence au traité du Quirinal.
Avec M. Draghi, constate Jean-Pierre Darnis, professeur à l’Université Côte d’Azur et conseiller scientifique de l’Institut des affaires internationales, « une nouvelle opportunité s’est ouverte au niveau bilatéral italo-français, qui ne pourrait pourtant être que l’un des fruits du leadership italien renouvelé en Europe ». Dans ce contexte, a-t-il poursuivi, le traité du Quirinal pourrait « représenter une opportunité d’institutionnaliser davantage les relations entre Paris et Rome, ce qui est juste et nécessaire pour surmonter les problèmes personnels et affirmer le dialogue bilatéral comme un ancrage supplémentaire de l’Union européenne ».
Ces dernières semaines, Sandro Gozi, ancien sous-secrétaire aux Affaires étrangères des gouvernements Renzi et Gentiloni, désormais eurodéputé, avait assuré au quotidien « La Repubblica » que « le Traité garantira en tout cas une base solide et structurée pour nouer les relations entre L’Italie et la France, en créant une série de groupes de travail conjoints et des échanges plus fluides ». Aujourd’hui, le soutien de la dirigeante souveraine Marine Le Pen est également arrivé. La présidente du Rassemblement national, interrogée par le quotidien « Corriere della Sera », a défini l’accord comme « un signe supplémentaire du grand retour des relations bilatérales entre pays souverains ». « A Bruxelles », a-t-elle ajouté, « il n’y a pas de mur qui puisse tomber aussi brutalement que le mur de Berlin. Cela prendra du temps, mais les nations retrouveront leur espace ».
Après le G20 et les fréquentes rencontres entre Macron et Draghi (la toute récente, la semaine dernière à Paris, à l’occasion de la conférence sur la Libye que les deux dirigeants ont coprésidée), la signature est attendue entre jeudi 25 et vendredi 26 novembre, lorsque le président français aura une réunion au Quirinale (la résidence officielle du Président de la République italienne, ndlr) et une autre au Palazzo Chigi (le siège de la présidence du Conseil des ministres, ndlr). Deux textes doivent être signés dans la plus grande confidentialité : l’un est celui du Traité, tandis que l’autre est un programme de travail qui n’est pas sans rappeler les conclusions opérationnelles utilisées lors des sommets bilatéraux. En ces heures-là, les derniers détails sont en train d’être réglés, ajoute Gabriele Carrer dans son décryptage. Comme le souligne le quotidien « Il Sole 24 Ore », « il n’existe pas de véritable focalisation du traité par rapport aux autres thèmes ». Cela va de la défense à la sécurité (au vu du drone européen et de la boussole stratégique qui devra être approuvée début 2022 sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne) aux affaires étrangères (y compris les domaines dans lesquels les deux pays ont souvent eu des positions opposées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord), de l’immigration à la justice, de l’énergie (y compris le nucléaire) à la gouvernance du cyberespace.
« MF Milano Finanza » rappelle que « ces dernières années, les relations économiques sont devenues de plus en plus intenses ». Il suffit de penser à la fusion entre Fiat et Psa avec la naissance du groupe Stellantis, l’entrée de Cassa Depositi e Prestiti dans Euronext ou la collaboration dans le secteur spatial. Des revers ont également été enregistrés, comme l’impasse de l’accord Fincantieri-Stx, le groupe de Trieste n’ayant pas pu finaliser l’acquisition des Chantiers de l’Atlantique. Le rédacteur en chef du même journal, Roberto Sommella, signe un éditorial qui sonne comme un signal d’alarme : « l’accord doit être assorti de certaines conditions ». Tout d’abord, soutient-il, « il ne doit pas se transformer à un pâle accord et subordonné à celui d’Aix-la-Chapelle entre Paris et Berlin, dans lequel les deux États, qui ont toujours été la tête et le moteur de l’Union européenne, ont émis l’hypothèse d’une structure bipolaire pour l’Europe du futur en matière économique, sociale et de défense, qui a, en fait, explosé avec Covid ».
Sommella demande le « respect » des « cousins-concurrents » et souligne la « tradition française » de Stellantis, l’accent « trop nord-européen » de la nouvelle Bourse sous l’égide d’Euronext et les mouvements italiens de Vivendi («Tim et Mediaset en savent quelque chose») qui « ne fait certainement pas du bien à la structure financière italienne, comme l’antitrust français n’a pas fait dans l’affaire Fincantieri-Stx ». Pour cette raison, si le traité « grâce au travail de Draghi et des diplomates du ministère des Affaires étrangères, sert à établir un sain principe de réciprocité dans les rapports de force, il sera le bienvenu ». Sinon, il risque de se transformer à terme, en un traité de l’Elysée », conclut-il.
Comme mentionné, les sujets de l’accord sont conservés dans la plus grande confidentialité. A tel point que même le Parlement l’ignore. Même Copasir, la commission parlementaire pour la sécurité de la République qui, comme le rappelle MF, a fait la lumière l’an dernier sur d’éventuelles visées françaises envers les banques italiennes. En tout état de cause, l’adoption parlementaire du traité semble inévitable. En effet, explique une source diplomatique, il s’agit d’un véritable traité international à caractère politique, donc la ratification, au regard de l’article 80 de la Constitution, requiert un acte du Président de la République qui doit être autorisé avec une loi du Parlement et contresignée par le gouvernement.