Six ans après le Bataclan, Molenbeek reste un repaire de terreur

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(Rome, Paris, 13 novembre 2021). Un 13 novembre comme aujourd’hui, mais en 2015, un commando armé composé de neuf personnes, qui avaient prêté allégeance à l’Etat islamique, s’est infiltré dans les lieux phares de la vie nocturne parisienne pour perpétrer un massacre entré dans les annales du terrorisme.

Ce jour-là, ou plutôt ce soir-là, les soldats de l’État islamique ont perpétré l’attentat terroriste le plus sanglant de l’histoire de France, ainsi que le deuxième jamais commis en Europe (le premier étant celui de Madrid 2004), faisant 130 morts et blessant 368. Sept djihadistes ont péri cette même nuit, portant le bilan final à 137 morts, tandis que deux autres auraient été tués au cours du fameux « raid de Saint-Denis », ayant eu lieu cinq jours plus tard.

Comme le rapporte Pietro Emanueli du quotidien italien «Il Giornale/Inside Over», à la stupéfaction de l’opinion publique, mais pas des enquêteurs, des investigations ultérieures auraient permis de constater que le massacre de Paris du 13 novembre 2015 avait été planifié à Bruxelles, plus précisément parmi les immeubles délabrés de Molenbeek-Saint-Jean, par une cellule dirigée par Abdelhamid Abaaoud et formée par d’autres combattants. Et aujourd’hui, six ans après ces terribles événements, c’est le bon moment pour retourner à Molenbeek et découvrir si quelque chose a changé , et si la terreur continue de rôder ici.

Le spectre de Molenbeek six ans après le 11 septembre parisien

Six ans se sont écoulés depuis le «11 septembre français» et le seul survivant de cette cellule terroriste qui est entrée dans l’histoire pour avoir mis Paris à feu et à sang pendant une soirée est derrière les barreaux, en attente d’une condamnation pour ces actes horribles. Ce «rescapé» répond au nom de Salah Abdeslam et, comme certains de ses compagnons morts dans le sang, il a grandi dans le plus célèbre ghetto de Bruxelles et de toute la Belgique : Molenbeek.

Six ans après cette soirée funèbre, tragique et sanglante, le rideau est tombé sur la question de Molenbeek, ce ghetto oublié de Dieu et de la Belgique. Et il est tombé malgré l’histoire récente qui parle de ce petit quartier de la périphérie bruxelloise. Il s’agit de l’une des plus grandes pépinières du djihadisme de l’époque contemporaine, étant le lieu qui a donné naissance (et/ou élevé) aux assassins d’Ahmed Shah Massoud, à Hassan el- Haski (Madrid 2004), à Mehdi Nemmouche (Bruxelles 2014), à Ayoub El Khazzani (Oignies 2015), à Oussama Zariouch (Bruxelles 2017), qui a fourni les armes à Amedy Coulibaly (Paris 2015) et qui hébergeait il y a seulement quatre ans, 51 associations liées au terrorisme islamiste.

La question est légitime : comment interpréter ce silence de mort, cet oubli auquel Molenbeek est revenu une fois les projecteurs éteints ? S’agit-il d’un silence rassurant, révélateur d’un problème résolu par les autorités, ou est-ce un silence hypocrite, qui sera rompu par la prochaine tempête ? Certains événements semblent suggérer que le Molenbeek de 2021 n’est pas très différent de celui que le monde a connu en 2015.

Pour se souvenir du Molenbeek oublié, à l’occasion du sixième anniversaire des attentats de Paris, le célèbre journal français Le Figaro, s’est rendu sur place pour prendre une photo du lieu et de ses habitants. Cet instantané raconte que quelque chose a changé depuis 2015, comme en témoigne la présence d’un collectif féministe (RWDM Girls), mais il n’est pas exempt de détails troublants, preuves, plutôt qu’indices, étayant l’hypothèse que la paix classique d’avant la tempête, règne ici.

Des témoins, qui se sont adressés aux journalistes du Figaro sous couvert de l’anonymat, ont affirmé qu’entre Belges et Marocains (la première nationalité de Molenbeek) le dialogue est inexistant, a fortiori si le sujet au centre de la discussion concerne le terrorisme. Et le climat n’est pas meilleur dans les milieux fréquentés par les travailleurs sociaux, les élus locaux et les enquêteurs, qui préfèrent ne pas parler ni s’immiscer outre mesure dans les affaires de Molenbeek de peur d’attiser les tensions.

Les chiffres de la peur

Aujourd’hui comme hier, en 2021 comme en 2015, ajoute Pietro Emanueli dans son décryptage, les autorités belges ne mettent pas le pied à Molenbeek, sauf pour procéder à des arrestations et des opérations antiterroristes, ce qui les empêche de créer un lien avec ce territoire et de résoudre ses problèmes. Des problèmes tels que l’exclusion du marché du travail (40 % des résidents sont au chômage ; le taux le plus élevé de Belgique) la ségrégation spatiale et la ghettoïsation qui, jamais résolues par l’État, favorisent et facilitent le travail des prédicateurs de haine et des recruteurs de narco-gangs.

Les chiffres confirment les préoccupations des reporters du quotidien français : sur les 640 affiliés à une organisation terroriste djihadiste résidant sur le territoire belge, 70 ont leur domicile à Molenbeek. Expliqué autrement, ce quartier à la périphérie de la capitale belge, qui est en même temps la capitale informelle de l’Union européenne, abrite 11% de l’ensemble de la population djihadiste du pays (un pourcentage qui ne tient toutefois pas compte des radicalisés et des personnes en voie de radicalisation).

L’image, déjà assez sombre, présente des teintes encore plus sombres lorsqu’elle est analysée dans son intégralité. Parce que la Belgique, en effet, est parsemée de réalités périphériques où prospèrent délinquance et radicalisation religieuse ; des réalités qui entourent Bruxelles (comme Molenbeek et Laeken, Anderlecht et Anvers) cette dernière, qui a été pendant des années la « porte de la cocaïne vers l’Europe », est un carrefour babélique où se rencontrent islamistes et djihadistes du monde entier, même de Tchétchénie.

Moins d’effusion de sang, plus de colonisation culturelle

Bien que le terrorisme belge soit en veille depuis un certain temps (les derniers faits sensationnels remontent à 2016), enquêteurs et politiques vous exhortent à rester vigilants. Car la menace, loin d’avoir disparu, a simplement changé de visage. Aujourd’hui, en effet, les prêcheurs de la haine préfèrent le contrôle territorial et l’influence culturelle au rugissement des armes, conscients que parier sur l’islam politique et le communautarisme exclusif équivaut à obtenir un avantage substantiel à long et très long terme.

Du parlementaire Georges Dallemagne à l’experte en terrorisme Fadila Maaroufi, tout le monde semble s’accorder sur un fait : la paix qui règne sur Bruxelles est chimérique, fictive, car « l’islam politique et le communautarisme continuent de grignoter du terrain, [tandis que] les influences extérieures (Arabie saoudite, Turquie, Qatar, Egypte) pèsent de plus en plus ». Et là encore, dans un cas plus unique que rare, les différents groupes islamistes et djihadistes ont signé une sorte de cessez-le-feu, alternant collaboration et compétition, guidés par l’objectif commun de réussir l’impensable et l’impossible : l’islamisation de la ville symbolique de L’Europe.

Il sera difficile pour l’internationale de l’islam radical, qui en Belgique est dirigée par les Frères musulmans et les salafistes de diverses écoles, de réussir dans sa volonté d’islamiser le cœur battant du libéral-progressisme occidental, mais tôt ou tard, une autre tempête explosera à nouveau. Et l’arrêter, cette fois, pourrait s’avérer plus difficile, car, comme le dénonce Maaroufi, « la vérité est que les Frères musulmans et les salafistes ont infiltré les partis et le tissu associatif » et que la pandémie, du moins pour eux, a été une aubaine du ciel en termes de propagande et de prosélytisme. Car à Molenbeek et dans les autres quartiers oubliés de Belgique, où la crise sanitaire a frappé plus fort qu’ailleurs, ce sont les bénévoles d’associations islamistes qui ont aidé les chômeurs et les malades. Une fois la pandémie passée, ce qui pour les théologiens de l’islam radical consistait en une semence, le temps des moissons viendra.