Voici pourquoi les États-Unis tentent de combler le fossé avec la France post-Aukus

0
1408

(Rome, 03 novembre 2021). Lors du récent sommet du G20 qui s’est tenu à Rome, le président des États-Unis, Joe Biden, a rencontré son homologue français Emmanuel Macron pour la première fois depuis la « crise des sous-marins ». Lors de l’entretien qui s’est déroulé à la Villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France près le Saint-Siège, le président américain a en quelque sorte «réparé» ce qui s’était passé lorsqu’il a déclaré que les Etats-Unis étaient « maladroits » n’utilisant pas « beaucoup d’élégance ». Un aveu public inhabituel de culpabilité, auquel le numéro un de l’Elysée a répondu, affirmant qu’«il faut regarder vers l’avenir», comme l’explique Paolo Mauri dans le quotidien «Il Giornale/Inside Over».

Biden a ajouté que la France est un « partenaire précieux, extrêmement précieux » jetant de l’eau sur le feu après le paroxysme de la crise diplomatique résultant de la signature de l’accord Aukus entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui a conduit à l’abandon par Canberra du programme franco-australien de construction de 12 nouveaux sous-marins Shortfin Barracuda, version AIP (Air Independent Propulsion) des sous-marins d’attaque français à propulsion nucléaire.

Macron a souligné la nécessité d’une « coopération renforcée » entre les deux pays, ajoutant également la volonté de renforcer « le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN ». C’est justement la clé pour interpréter ce qui s’est passé à Rome entre les deux dirigeants : Washington considère Paris comme un allié incontournable afin d’avoir un poids politique dans la définition, et dans la gestion de la future défense européenne.

Ce n’est un secret pour personne que certains milieux politiques voient désormais d’un bon œil l’émergence au sein de l’UE d’une politique de Défense communautaire. Alors que les États-Unis auparavant opposés à cette possibilité, aujourd’hui, alors que la principale ligne de front s’est déplacée de l’Europe vers l’Extrême-Orient (et de la Russie vers la Chine), une défense à l’image de l’UE est considérée (par Washington) comme une possibilité de disposer d’un allié fort pour faire face aux excès de Moscou de manière déconnectée des mécanismes de l’OTAN, et à être utilisé au besoin sur le front asiatique, compte tenu des demandes accrues de soutien européen émanant de l’allié des États-Unis, le Japon. Ce dernier, avec la Corée du Sud, est géographiquement le plus proche de la nouvelle menace chinoise.

Les États-Unis pourraient donc désormais soutenir la cause de la défense européenne, dirigée par la France. Ce n’est un secret pour personne que le diagnostic de la « mort cérébrale » de l’OTAN, élaboré par le président Macron il y a deux ans, implique la volonté de l’Elysée d’être le chef de fil de la politique étrangère et de défense de l’UE, aussi et surtout grâce à la sortie de Londres de l’Union. Tant qu’elle était « en Europe », la Grande-Bretagne a toujours été contre cette possibilité, s’opposant même à certains programmes de nouveaux systèmes d’armes, préférant éviter de s’appuyer sur des mécanismes européens multilatéraux.

Aujourd’hui, c’est la France, précisément grâce à ces programmes, qui tente d’imposer sa propre vision. Cette stratégie est aussi le fruit des accords signés avec l’Allemagne : après le traité d’Aix-la-Chapelle (2019), les deux pays ont essentiellement réparti leurs compétences mutuelles au sein de l’UE pour construire un espace franco-allemand et être « le moteur de l’intégration européenne ».

Une coopération entre la France et l’Allemagne qui prend aussi des allures militaires : Paris et Berlin se garantissent et s’assurent mutuellement « toute aide et soutien possibles », également par le biais d’«instruments militaires». Un soutien qui cependant ne se traduit pas par une coopération efficace dans le domaine des acquisitions militaires : le récent naufrage du programme de développement d’un nouveau patrouilleur maritime, le Maws, et la très probable sortie de l’Allemagne du Tigre d’Eurocopter (après celui de l’Australie), constituent l’épreuve d’un profond problème d’incompatibilité de ce point de vue.

Pourtant, l’axe Berlin-Paris résiste, et, pour en venir à des questions plus endogènes, l’Italie devrait profiter de ces divergences dans le domaine des programmes d’armement pour entrer et tenter de détacher l’Allemagne de la France et de transformer l’axe en triangle, ajoute Paolo Mauri dans son analyse.

Pendant ce temps, la question d’Aukus ne semble pas avoir pris fin : l’ambassadeur de France à Canberra, Jean-Pierre Thébault, a déclaré mercredi 3 novembre au National Press Club, à son retour en Australie après son bref rappel à Paris « pour consultations » en septembre, que la signature d’Aukus était un prémédité coup de poignard dans le dos. M. Thebault a déclaré que le gouvernement australien avait « délibérément » tenu la France dans l’ignorance de son intention de suspendre le programme de plusieurs milliards de dollars pour de nouveaux sous-marins, une accusation que le Premier ministre australien Scott Morrison a rejetée avec véhémence.

Pour être juste, Paris aurait dû «flairer» depuis longtemps la décision de Canberra. Les Australiens ont exprimé à plusieurs reprises des inquiétudes concernant le programme « Shortfin Barracuda » en raison du retard dans le calendrier et de l’augmentation des coûts qui en résulte. Au cours des dernières années, plusieurs voix autorisées ont émis des critiques à l’égard des sous-marins, également considérés comme inadaptés aux besoins de la Royal Australian Navy : un pays comme l’Australie, qui est fondamentalement un continent bordé par deux océans, a besoin d’unités à propulsion nucléaire afin de pouvoir effectuer efficacement des missions de patrouille en haute mer. Les « Shortfin Barracudas » à propulsion « conventionnelle », bien qu’ils aient la capacité de rester en mer pendant 90 jours, étaient néanmoins considérés comme inférieurs aux unités de propulsion atomiques. L’affaire Aukus semble alors loin d’être close, Paris se contentant de modifier la cible de ses invectives, a plutôt éliminé les Etats-Unis de la liste des « méchants ».