Liban: l’enquête sur l’explosion de Beyrouth suspendue

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(Rome, 28 septembre 2021). L’enquête sur la violente explosion qui a dévasté le port et la capitale libanaise, Beyrouth, le 4 août 2020, a de nouveau été suspendue après que le juge chargé de l’enquête, Tarek Bitar, ait fait l’objet d’une récusation.

La nouvelle a été rendue publique le 27 septembre, explique Piera Laurenza, analyste de recherche à l’Observatoire de la sécurité internationale «Sicurezza Internazionale», à la suite d’une requête présentée par un ministre de l’ancien gouvernement libanais, qui a conduit le juge d’instruction de la Cour de justice, Tarek Bitar, à annuler l’interrogatoire d’un ancien général des services de renseignement militaire, prévu pour lundi, et de suspendre les opérations liées à cette enquête. Selon des sources libanaises, l’objection a été présentée par les avocats de l’ancien ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, sur le fondement d’une prétendue partialité dans le travail de Bitar, après que le juge ait lui-même convoqué l’ancien ministre pour un interrogatoire, le 1er octobre. Une telle démarche, pour Machnouk, contredit la Constitution et les procédures judiciaires applicables aux présidents et aux ministres.

L’enquête sur l’explosion d’août 2020 avait déjà été suspendue en décembre 2020, lorsque le juge Fadi Sawan, alors en charge de l’enquête, avait été démis de ses fonctions, toujours à la suite de pressions de hauts responsables libanais, accusés par Sawan de négligence. Désormais, il appartient à la Cour d’appel de Beyrouth d’approuver ou de rejeter la demande de récusation. La destitution de Bitar, si elle est acceptée, risque de mettre un terme définitif à l’enquête sur l’explosion de Beyrouth, car il est peu probable qu’un troisième juge décide de prendre le poste. Tout cela alimente la colère des familles des victimes, qui, avec 145 organisations libanaises et internationales de défense des droits humains, ont appelé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU à mettre en place une mission d’enquête internationale indépendante et impartiale, (comme le réclame avec insistance le chef du parti des Forces libanaises Samir Geagea, ndlr), compte tenu de l’incapacité dont font preuve les autorités locales.

Le nouveau défi est intervenu en conjonction avec une campagne croissante contre Bitar menée par des politiciens libanais, en réponse aux propres démarches du juge lui-même. A cet égard, un mandat d’arrêt par contumace contre un ancien ministre des Transports et des Travaux publics, Youssef Fenianos, a été émis le 16 septembre, qui, accusé de « prétendue faute intentionnelle, de négligence et de mauvaise conduite » en rapport avec l’explosion, il a refusé d’être interrogé. L’interrogatoire était initialement prévu pour le 6 septembre, mais a ensuite été reporté au 16 septembre, sur la base de deux recours déposés par l’avocat de l’ancien ministre, liés à des vices de forme présumés dans la demande d’interrogatoire. Après que Fenianos ne se soit même pas présenté pour un interrogatoire de jeudi, Bitar a émis le mandat d’arrêt.

Comme le précisent des sources libanaises, la demande soumise par les avocats de Machnouk vise à faire gagner du temps aux anciens ministres en vue de la réunion du Parlement prévue le 19 octobre. A partir de cette date, les suspects seront à nouveau protégés par l’immunité institutionnelle qui leur fait actuellement défaut, en raison de la transition entre le gouvernement sortant et le nouveau. Jusqu’à présent, 25 personnes ont été arrêtées dans le cadre de l’explosion du 4 août 2020, pour la plupart des ouvriers et des fonctionnaires portuaires de niveau inférieur et intermédiaire, ainsi que des représentants des institutions et de la sécurité libanaises. Treize d’entre eux ont été libérés, tandis que le directeur de la Douane Badri Daher et le chef de l’autorité portuaire de Beyrouth, Hassan Kraytem, ​​sont toujours détenus. Dans ce contexte, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmy, n’a pas accordé l’autorisation de poursuivre le chef de l’Agence de sécurité générale, le général de division Abbas Ibrahim, comme l’avait demandé le juge Bitar.

Le 2 juillet, ajoute Piera Laurenza, le juge Bitar a également demandé la levée de l’immunité de l’ancien ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, l’ancien ministre des Travaux publics, Ghazi Zéaïter, et l’ancien ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk. Ceux-ci, selon Bitar, pourraient être accusés de négligence et éventuellement de tentative de meurtre. Cependant, le 8 juillet, certains députés libanais ont exigé davantage de preuves avant de lever leur immunité et d’autoriser l’interrogatoire de représentants du gouvernement et, à ce jour, ils n’ont pas encore été interrogés.

Un an après l’explosion qui a dévasté le port de Beyrouth le 4 août 2020, Human Rights Watch, une organisation internationale non gouvernementale qui s’occupe de la défense des droits de l’homme, a publié un rapport, dans lequel elle pointe du doigt de hauts responsables politiques et sécuritaires libanais. Le rapport de 127 pages était intitulé : « Ils nous ont tués de l’intérieur », faisant référence aux autorités libanaises, soupçonnées d’être responsables de la présence de près de 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de la capitale, dont l’explosion a fait 218 morts, plus de 7.000 blessés et environ 300.000 déplacés.

Dans le collimateur de HRW se trouvent des fonctionnaires du ministère des Travaux publics et des Transports, qui ont été avertis du danger, mais n’ont pas réussi à le communiquer correctement à la justice ou à enquêter de manière adéquate sur le caractère potentiellement explosif de la cargaison du navire amarré en 2013. Ils ont ensuite sciemment stocké le nitrate d’ammonium, ainsi que d’autres matières inflammables ou explosives, pendant plus de six ans, dans un hangar mal protégé et mal ventilé situé dans une zone commerciale et résidentielle densément peuplée, en violation des directives internationales relatives au stockage et à la manipulation du nitrate d’ammonium. En outre, les responsables susmentionnés n’auraient pas supervisé de manière adéquate les travaux de réparation entrepris dans le hangar no 12, ce qui pourrait avoir déclenché l’explosion du 4 août 2020.