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L’Occident «doit repenser ses modes d’intervention pour combattre les djihadistes»

(Roma, 07 septembre 2021). La crise afghane des dernières semaines s’ajoute à deux décennies d’échecs occidentaux au Proche-Orient. Pour Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, notre diplomatie doit évoluer vers de nouveaux instruments d’influence comme le numérique ou les sanctions financières.

En deux décennies, l’Occident a échoué par quatre fois à atteindre ses objectifs en terre d’islam. L’Irak et la Libye hier, l’Afghanistan aujourd’hui et demain le Sahel, dont la France a amorcé un retrait sur la pointe des pieds, constituent une série noire pour les grandes puissances du «monde libre». Mais imaginer que celles-ci renonceront désormais à défendre leurs intérêts à l’étranger serait une perception aussi naïve qu’illusoire. Car les doctrines belliqueuses se succèdent en terre d’islam avec leur lot de surenchères, et de nouveaux conflits se profilent à l’horizon. Après Al-Qaïda et ses filiales, la doctrine djihadiste a généré Daech et ses dérivés, avec une métastase peu contrôlée.

Les Occidentaux n’ont pas vraiment compris que la démocratie résultait d’un cumul d’expériences humaines maturées et que les sociétés islamiques ne pouvaient pas être dopées pour y accéder en rattrapage accéléré. Le monde islamique, réfractaire aux recettes importées ou parachutées depuis l’étranger, résiste même aux pressions militaires des armées les plus puissantes et aux sanctions les plus sévères.

Depuis 1979 et l’arrivée de la République islamique en Iran, le millefeuille de sanctions n’a ni renversé le régime messianique, ni ne l’a empêché d’étendre son hégémonie sur la région en réprimant sa propre population et en sacrifiant son bien-être et sa prospérité. Il y va de même pour les talibans renversés en 2001…

                                                       Antoine Basbous

En effet, depuis 1979 et l’arrivée de la République islamique en Iran, le millefeuille de sanctions n’a ni renversé le régime messianique, ni ne l’a empêché d’étendre son hégémonie sur la région en réprimant sa propre population et en sacrifiant son bien-être et sa prospérité. Il y va de même pour les talibans renversés en 2001… puis rétablis avant même la retraite de l’armée américaine. Un scénario similaire se profile dans le Sahel, où les islamistes du Mali par exemple prospèrent grâce à l’absence d’un État structuré.

Que retenir alors des épreuves récentes face à l’islamisme belliqueux ou à des régimes qui répriment violemment leur peuple ? Si un État ou une communauté d’États peuvent légitimement réagir pour défendre leurs intérêts face à une agression caractérisée, les expériences récentes devraient considérer comme infondée toute intervention militaire, même pour renverser un dictateur, fût-il de la trempe de Kadhafi. Par un inavouable réalisme cynique, ne faudrait-il pas préférer, à l’avenir, l’autocratie au chaos ? Et alors laisser les pays suivre leur trajectoire propre, en misant sur leurs sociétés pour s’émanciper à travers des révolutions populaires ou sombrer ?

Les récentes expériences nous enseignent que le recours à la force s’avère le plus souvent contreproductif, et qu’il ne faut jamais courir le risque d’enlisement en poursuivant l’objectif irréalisable de redresser le pays visé et d’imposer à sa société le modèle occidental. Le manque de souffle et les coûts humains et financiers générés par les conflits engagés ont débouché sur une mortelle lassitude chez les Occidentaux, aggravée par l’absence de toute perspective de construire une société alignée sur leurs valeurs, perçues comme un colonialisme d’un genre nouveau. Le traumatisme engendré par les attentats du 11-Septembre a en outre été balayé par l’usure et la fatigue. Or, à l’inverse des autocraties interventionnistes que sont la Russie, l’Iran et la Turquie, les Occidentaux ne peuvent engager durablement leurs forces sans assumer leurs opérations au grand jour et rendre des comptes à leur opinion publique. Cela devrait les conduire à privilégier à l’avenir les opérations «coup de poing», de très courte durée.

En plus de ces interventions ponctuelles punitives que pourraient induire des situations conflictuelles, les Occidentaux disposent de plusieurs autres instruments de dissuasion, financiers tout d’abord. L’arme des sanctions – bien qu’elle ne soit pas décisive – est l’option la plus évidente. Les aides bilatérales en sont une autre, dont l’impact peut être décuplé par le concours du FMI et de la Banque mondiale.

Les modes d’intervention futurs contre les djihadistes belliqueux en terre d’islam méritent d’être médités à la lumière des échecs enregistrés.
 Antoine Basbous   

Les alliances régionales sont également précieuses pour faire reculer les djihadistes. L’exemple le plus probant est celui de l’Arabie, berceau de l’islamisme belliqueux, qui a fini par devenir son premier fossoyeur. Ébranlée par le triple attentat d’Al-Qaïda dans sa capitale le 12 mai 2003, la monarchie des Saoud s’est «convertie» à la lutte contre les visées politiques de l’islam. Depuis 2015 et l’avènement du Roi Salman et, surtout de son tout-puissant fils Mohammed ben Salman, le régime réprime sans pitié ses ex-associés au pouvoir et les empêche d’exporter et de financer la doctrine wahhabite qui a inspiré Ben Laden et Daech. Quant aux Émirats arabes unis, ils mènent depuis longtemps une lutte sans merci contre «l’islam politique» et ne tolèrent qu’un islam domestiqué et dépolitisé aux ordres du pouvoir en place.

Au-delà des mesures hybrides qui doivent conjuguer force, récompense et ruse, il y a aussi les instruments du numérique que procure la modernité à travers les armes du renseignement et du cyber pour anticiper les attaques et les déjouer.

Enfin, il convient d’observer de près l’interaction entre le monde islamique et la Chine, puissance qui fait une entrée progressive dans la géopolitique du grand Moyen-Orient. Cette percée ne provoque ni ne heurte les islamistes. Pourtant, Pékin est accusé par tant d’ONG d’exercer une répression sans faille contre les Ouïgours, dont bon nombre sont placés dans ce qui ressemble à des camps de concentration. Ce traitement n’empêche cependant pas la République islamique d’Iran de prendre Pékin pour son plus proche protecteur, ni les talibans de le considérer comme son nouvel ami, tout comme la Turquie d’Erdoğan qui collabore à la traque des Ouïgours !

Les modes d’intervention futurs contre les djihadistes belliqueux en terre d’islam méritent d’être médités à la lumière des échecs enregistrés, en anticipant les crises qui ne manqueront pas de surgir. Mais surtout, il convient de se préparer à l’intensification des actions djihadistes, au cœur même des pays occidentaux, où les réseaux sociaux contribuent largement à l’enracinement et à la diffusion de ce phénomène.
Par Antoine Basbous.
(Le Figaro)

(Photo-Le Figaro: « Un soldat taliban marche sur les débris d’une ancienne base CIA. AAMIR QURESHI/AFP »)

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