Le retrait «précipité» de l’Occident d’Afghanistan inquiète la Russie

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(Rome, 31 juillet 2021). « Aujourd’hui, il est urgent de travailler conjointement pour neutraliser les menaces émanant du territoire de l’Afghanistan voisin. Le retrait précipité des troupes étrangères de la région a entrainé une détérioration rapide de la situation, une augmentation et une recrudescence des activités terroristes. Cette situation exige l’adoption de mesures appropriées, selon l’analyse de Paulo Mauri dans «Inside Over». Ce travail est déjà en cours ». Le ministre de la Défense de la Fédération de Russie, Sergueï Choïgou, a dit mercredi dans une déclaration à TASS, annonçant une série d’exercices militaires futurs avec le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

« En général, si nous parlons de notre coopération, elle se développe avec succès. Nous menons un large complexe de manœuvres avec le Tadjikistan, lié aux menaces qui se présentent. Plus tard nous prévoyons des exercices avec nos collègues ouzbeks, donc triples – Russie, Ouzbékistan, Tadjikistan. Nous espérons que nous les tiendrons dans les délais et avec l’effet escompté », a ajouté Choïgou.

Shoigu, ajoute Paulo Mauri, a noté que « de nombreux types de risques et de menaces pour la sécurité se présentent » mais « néanmoins, nous devons, tant au sein de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective, ndlr) que de l’Organisation de coopération de Shanghai, non seulement discuter des problèmes, mais aussi prendre les décisions appropriées et des mesures pour assurer la sécurité des frontières et des territoires des pays du Traité », a déclaré le ministre, notant que des mesures sont en cours d’évaluation pour assurer la sécurité de la frontière tadjiko-afghane.

Choïgou a également souligné que la rencontre avec le ministre de la Défense du Tadjikistan offre une opportunité de discuter des questions de sécurité dans la région d’Asie centrale. «C’est quelque chose qui ne nous inquiète aujourd’hui et qui concerne non seulement nos relations bilatérales, mais aussi les relations de tous les États frontaliers. Nous avons quelque chose à discuter en termes de coopération militaro-technique», a conclu le ministre.

Pour tenter de prévenir d’éventuelles menaces terroristes futures – que le Kremlin considère comme acquises – découlant du retrait des États-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan, le Kremlin renforce ses liens avec les pays «voisins». Non seulement des exercices militaires conjoints qui, comme indiqué, se dérouleront au Tadjikistan, mais aussi une coopération militaire renforcée : de nouvelles livraisons gratuites d’armes et d’équipements russes ont été organisées pour équiper l’armée tadjike, tandis que Moscou poursuit son activité de formation pour lui permettre de mener des activités de lutte contre le terrorisme. Le ministre Choïgou a en effet précisé que les opérateurs tadjiks sont formés à la fois dans les universités militaires et à la 201e base militaire russe au Tadjikistan afin d’établir des plans visant à rejeter conjointement une éventuelle pénétration de militants appartenant au fondamentalisme islamique.

Concernant les exercices conjoints, Choïgou a déclaré lors d’une réunion ministérielle tenue à Douchanbé que les armées de la Russie, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, lors des exercices qui se tiendront en Asie centrale la semaine prochaine, élaboreront des plans pour détruire des formations de bandits, effectuer des reconnaissances aériennes et protéger les sites sensibles.

Toujours dans cette optique, un commandement militaire conjoint de lutte contre le terrorisme devrait être mis en place en septembre au camp d’entraînement de Donguzsky dans la région d’Orenbourg.

Des exercices similaires, mais avec la participation de soldats des pays de l’OTSC, auront lieu à l’automne au Kirghizistan et au Tadjikistan, tandis qu’à l’avenir, afin de répondre conjointement à d’éventuelles menaces terroristes, la Russie entend impliquer des contingents militaires des forces collectives de réaction rapide de l’Organisation du Traité de sécurité collective avec des unités d’autres pays amis.

Plus tôt, le service de presse du district militaire central avait indiqué que plus de 1.500 soldats de Russie, du Tadjikistan et d’Ouzbékistan participeraient à des exercices au camp d’entraînement de Harb-Maidon, à 20 kilomètres de l’Afghanistan, qui se dérouleront du 5 au 10 août.

Le Kremlin craint donc que la vague des talibans qui submerge inexorablement les Forces nationales de sécurité afghanes, ne menace gravement la stabilité de sa sphère d’influence, ce « voisin étranger » représenté par ces pays autrefois sous domination soviétique qui ont toujours joué un rôle crucial dans la sécurité intérieure de la Russie. Dans ce cas, l’attention est donc tournée vers les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, à la fois pour des raisons géographiques de proximité avec l’Afghanistan, et parce que l’on craint que l’extrémisme islamique ne s’enracine dans «l’humus» culturel local.

Après tout, l’expérience en Tchétchénie est encore très présente dans l’esprit des Russes, et cette fois le Kremlin ne veut pas être pris au dépourvu et devoir mener une guerre sanglante et longue comme celle de la Tchétchénie.

L’OTSC et l’Organisation de coopération de Shanghai sont des instruments juridiques qui permettent à Moscou d’avoir une certaine forme de contrôle de son voisinage, même s’il ne s’agit pas d’alliances très contraignantes et « à toute épreuve » comme l’était le Pacte de Varsovie ou le Comecon (Council for Mutual Economic Assistance/ Conseil d’assistance économique mutuelle, ndlr): il s’agit essentiellement d’organisations de coopération dans le domaine de la sécurité (principalement pour la lutte contre le séparatisme) visant à assurer le bien-être économique et la stabilité des États qui en font partie.

Et Paulo Mauri d’ajouter qu’un retour de l’Afghanistan sous le talon des Talibans pourrait remettre en cause cette stabilité en ouvrant un nouveau front, au-delà de l’européen pour la Russie, la poussant davantage dans les bras de la Chine : le 28 juillet, le conseiller d’Etat chinois et ministre de la Défense Wei Fenghe s’est entretenu avec Choïgou à Douchanbé, où, entre autres, ont été discutées les conditions de la poursuite du renforcement de la coopération stratégique globale dans les relations sino-russes. Wei a souligné que face à l’évolution de la situation en Afghanistan et en Asie centrale, et dans le cadre de la lutte conjointe contre le terrorisme, les deux parties devraient parvenir à une direction commune, renforcer la coopération et coordonner les actions, tout en préservant les intérêts fondamentaux de la Chine et de la Russie.