Liban: Najib Mikati, un homme du système désigné Premier ministre

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(Rome, 26 juillet 2021). Najib Mikati a été désigné ce lundi par 72 députés libanais pour former le prochain gouvernement. L’homme d’affaires s’est engagé à mener des réformes exigées par la communauté internationale pour aider le Liban à sortir de sa crise.

Premier ministre pour la troisième fois, Najib Mikati, 65 ans, est considéré comme l’une des personnalités politiques sunnites les plus en vue et l’un des plus illustres représentants de la classe politique traditionnelle, décriée par le mouvement de contestation qui a éclaté au Liban en octobre 2019. Cet homme d’affaires, à la tête d’une des plus grosses fortunes du pays avec 2,7 milliards de dollars selon le magazine Forbes, est député de Tripoli, une ville qui compte le plus grand nombre de milliardaires tout en étant la plus pauvre du Liban.

Najib Mikati a fait fortune dans les télécommunications en créant en 1982 avec son frère le groupe Investcom qui s’imposera sur le marché grâce à un réseau de relations tissées avec les responsables syriens, à l’époque où Damas jouait un rôle de premier plan dans la politique interne libanaise. Dans les années 90, il deviendra d’ailleurs un proche de Bachar al-Assad, qui succèdera à son père en juin 2000.

Cette sponsorisation par la puissance de tutelle l’aidera à gravir les échelons au Liban, où il est nommé ministre des Travaux publics en 1998. Après ce baptême, il se lance résolument dans la politique en laissant à son frère Taha le soin d’agrandir l’empire financier familial, qui diversifie ses investissements au Bénin, à Chypre, au Ghana, en Guinée-Bissau, au Liberia, en Syrie et au Yémen. Au Liban, son groupe prend des parts dans la plus grande banque du pays, Audi, et devient, entre autres, propriétaire de la poste après sa privatisation.

Premier ministre à des moments charnières

Homme de compromis, habile pour arrondir les angles, Najib Mikati réussira à faire oublier son amitié avec Bachar el-Assad pour devenir une personnalité incontournable sur l’échiquier politique libanais.

Il occupe le poste de Premier ministre à des moments charnières de l’histoire du Liban. Une première fois, en 2005, il succède au pro-syrien Omar Karamé, contraint de démissionner après l’assassinat, en février, de Rafiq Hariri. Il dirigera un gouvernement dont la mission sera d’organiser des élections législatives qui porteront au pouvoir la coalition anti-syrienne du 14-Mars. Lui-même et tous les membres de son cabinet s’étaient engagés à ne pas être candidats.

Après ce scrutin, le Liban entre dans une période d’instabilité, marquée par une série d’assassinats politiques jamais revendiqués, mais attribués à la Syrie ou à son allié libanais, le Hezbollah.

Après l’offensive israélienne de juillet-août 2006, qui fera (plus de) 1.000 morts civils côté libanais et 150 morts, en majorité des militaires, dans les rangs israéliens, les divisions inter-libanaises se creuseront davantage.

Cette époque d’instabilité atteindra un pic avec le coup de force du Hezbollah, qui écrase militairement ses adversaires en quelques heures après une décision du gouvernement de Fouad Siniora, en mai 2008, de démanteler son réseau de télécommunication, une mesure considérée par le parti pro-iranien comme un casus belli. Cet épisode impose un nouveau rapport de force au Liban, plus favorable au Hezbollah et à ses alliés.

Najib Mikati est de nouveau sollicité pour occuper le poste de Premier ministre après la chute du gouvernement de Saad Hariri, en janvier 2011, sur fond de divergences autour de la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargé de juger les assassins de Rafiq Hariri, membres présumés du Hezbollah.

Le Premier ministre démissionnera deux ans plus tard, laissant un Liban encore plus divisé autour de la guerre en Syrie. Ses détracteurs l’accuseront d’avoir transformé le Liban en base-arrière pour les rebelles syriens, y compris leurs composantes islamiques les plus radicales, et d’avoir encouragé l’entrée de centaines de milliers de réfugiés syriens, qui ont représenté, à une époque, le quart des habitants du pays.

Des atouts et des points faibles

Aujourd’hui, Najib Mikati revient au pouvoir alors que le Liban est frappé par l’une des plus graves crises au monde depuis 1850. Le Premier ministre désigné dispose de plusieurs atouts. Il a ainsi révélé, dans une déclaration après sa nomination, qu’il n’aurait pas accepté sa « mission difficile » s’il n’avait pas reçu des garanties internationales.

Autre point fort, Najib Mikati a bénéficié du soutien des principaux blocs parlementaires musulmans sunnites et chiites, y compris le Hezbollah, qui s’était abstenu d’appuyer la candidature de son prédécesseur, Saad Hariri. « Nous voulons donner un élan supplémentaire pour faciliter la formation d’un gouvernement », a expliqué le chef du groupe du parti pro-iranien à la Chambre, Mohammad Raad.

Najib Mikati est cependant handicapé par des points faibles, D’abord, la couverture politique chrétienne lui fait défaut. Les deux principales forces de cette communauté, le Courant patriotique libre (CPL, fondé par le président Michel Aoun) et les Forces libanaises de Samir Geagea, ne l’ont pas désigné. Ensuite, son nom est cité dans plusieurs affaires douteuses concernant des malversations et des abus de pouvoir.

C’est dans ce contexte que Najib Mikati essaiera de former un gouvernement, là où Saad Hariri a échoué pendant près de dix mois. Il aura comme principal interlocuteur Michel Aoun, intraitable dans le choix des ministres chrétiens et dans l’affaire de l’audit juri-comptable de la Banque du Liban. La mission s’annonce périlleuse.

(Radio France Internationale)