(Rome, 19 juillet 2021). Les organisations appartenant à l’internationale terroriste islamiste recrutent non seulement en ligne et dans des espaces semi-ouverts comme les mosquées, les centres culturels et les écoles coraniques, mais aussi dans des théâtres fermés comme les prisons. Les catéchistes du djihadisme peuvent être des agents insoupçonnés, comme les aumôniers enturbannés en service régulier à l’établissement pénitentiaire, mais, bien plus souvent, ce sont des détenus pour terrorisme qui usent de leur charisme pour manipuler les plus psychologiquement instables et les convertir à l’islam radical.
Comme l’analyse Emmanuel Pietrobon dans «Inside Over», la question de la radicalisation religieuse dans les prisons est un phénomène quasi universel. Bien que perçu davantage en Europe occidentale, notamment en Belgique et en France, le problème touche tous les continents de la même manière, des Amériques – en particulier les États-Unis – à l’Océanie. Et l’Italie, bien qu’étant la grande mouche blanche du monde avancé en matière de terrorisme djihadiste, n’échappe pas à la propagation pernicieuse de l’islam radical au sein du système carcéral.
Les chiffres du phénomène
L’Italie n’a pas de problème d’intégration comparable à celui des autres acteurs multiculturels du Vieux Continent, mais les chiffres en provenance des prisons indiquent un phénomène qu’il ne faut pas sous-estimer : la tendance à la surreprésentation statistique des musulmans. Bien qu’ils ne représentent que 5 % de la population totale du Beau pays, ceux qui ont récité la Chahada (en arabe : ٱلشَّهَادَة), constitueraient 20 % de la communauté carcérale. Car l’islam, selon les conclusions de l’ISPI (l’Institut d’études politiques internationales, fondé à Milan en 1934 dans le but de promouvoir l’étude des problèmes internationaux en Italie, Ndlr), est la foi pratiquée par « plus d’un détenu sur cinq ».
Une tendance inquiétante est celle de la radicalisation religieuse embryonnaire dans les prisons italiennes, car elle a montré ces dernières années qu’elle pouvait fabriquer des terroristes. On sait par exemple qu’Anis Amri, l’assaillant berlinois en 2016 (12 morts et 56 blessés), a été initié à l’islam radical lors d’un séjour dans les prisons siciliennes. Dans leurs rapports annuels, les services secrets, qui depuis des années surveillent le paysage pénitentiaire de manière préventive, confirment que les prisons italiennes sont désormais considérées, à toutes fins utiles, comme des lieux de radicalisation.
Une situation, ajoute Emmanuel Pietrobon, celle de nos prisons, qui ne peut être pleinement comprise qu’en regardant les chiffres :
* Les détenus pour terrorisme islamiste représentent un tiers de tous les détenus pour des crimes liés au terrorisme (religieux et politique, national et international), soit 66 sur 94 (données 2018).
* Il y a 478 détenus surveillés soupçonnés de radicalisation religieuse, dont 233 appartiennent à la fourchette de risque la plus élevée, 103 à la fourchette moyenne et 142 à la fourchette basse (données 2018).
* Un peu plus de la moitié des 478 mentionnés ci-dessus sont originaires de Tunisie et du Maroc, qui ensemble représentent le foyer de 53,77 % de tous les radicalisés.
* 79 détenus étrangers qui, jugés préjudiciables à la sécurité nationale en raison de leur radicalisation, ont été expulsés pour peine purgée au cours de l’année 2018.
Les chiffres se réfèrent à l’année 2018, précise Emmanuel Pietrobon, mais la récente chronique regorge de cas utiles pour reconstituer le panorama de la radicalisation religieuse dans les prisons italiennes. Cette année, par exemple, les opérations qui ont conduit à l’interruption des activités de prosélytisme d’un détenu de la prison de Cosenza et d’un imam en service à la prison de San Michele à Alexandrie se distinguent par leur importance.
Comment agissent les autorités ?
Notre stratégie repose sur la combinaison d’une prévention douce et d’une action dure, ou plutôt entre le recours aux imams mis à disposition par l’Union des communautés islamiques d’Italie (basé sur un accord datant de 2015) et les expulsions de prisonniers condamnés pour terrorisme islamiste et/ou coupable de radicalisation religieuse. Avoir une tradition de lutte (efficace) contre le terrorisme, que la direction a su adapter aux changements, et l’existence d’accords entre pouvoirs publics et religieux, représentent en somme, les principaux ingrédients de la recette qui, depuis des années, défend la sécurité nationale de l’Italie.
Cependant, les problèmes ne manquent pas : le nombre d’imams en service est chroniquement insuffisant – seulement 13 autorisés, pour un total de 231 établissements pénitentiaires -, les plans de réinsertion sociale se font rares (considérant que sept détenus sur dix retournent à la délinquance à leur libération, les autorités doivent se demander ce qu’il advient des radicalisés et des terroristes qui ne sont ni expulsés ni réhabilités) et, comme dans le cas des autres nations examinées au cours de la chronique, il ne faut pas commettre l’erreur de focaliser l’attention sur les prisons négligeant les autres lieux de radicalisation, en premier lieu les banlieues.
Parce que les prisons ne sont pas le problème : elles font partie du problème. Et le problème, en Italie comme en France, ce sont les limites inéluctables de la capacité d’accueil des systèmes d’intégration, l’erreur généralisée de transformer des quartiers multiculturels en ghettos mono-ethniques et le mauvais traitement des minorités à des fins électorales. La véritable prévention, plutôt que derrière les barreaux, doit-être et sera expérimentée là : dans toutes ces réalités territoriales qui, pour des raisons ethno-démographiques, risquent de devenir une banlieue à la sauce italienne.