Antony Blinken réprimande Luigi Di Maio

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(Rome, 29 juin 2021). Le secrétaire d’État américain Antony Blinken est arrivé en Italie pour une visite officielle et a rencontré dimanche le ministre des Affaires étrangères Luigi di Maio.

Les trois jours de Blinken en Italie sont préparatoires au prochain G20 ministériel à Matera, dont l’un des principaux thèmes sera la lutte contre le terrorisme islamique et la lutte contre l’État islamique. Le secrétaire d’État, a en fait déclaré dans un tweet qu’il était « heureux d’être en Italie pour souligner l’importance de l’unité transatlantique et de la forte relation américano-italienne. J’ai hâte de rencontrer mes homologues, de coprésider la réunion ministérielle de la coalition pour vaincre l’EI et de participer à la réunion ministérielle du G20 à Matera ». Au-delà des tons diplomatiques cordiaux, il semble toutefois que Blinken ait lancé une « oreille attentive » à son homologue italien, et la raison concerne précisément la façon de contraster entre djihadisme et alliés, et en l’occurrence la relation entre l’Italie et les Émirats arabes unis.

Abou Dhabi est en effet un allié important des Etats-Unis et de l’Occident dans la région : Washington dispose de bases militaires dans le petit émirat servant à frapper des cibles au Moyen-Orient et à évacuer les forces d’Afghanistan. L’Italie dispose également d’un avant-poste à al-Minhad représenté par un centre logistique fondamental pour notre pays afin de soutenir les opérations dans la région.

Les Émirats arabes unis ont cependant lancé un ultimatum à l’Italie : nos soldats doivent quitter la base avant le 2 juillet. Pourquoi ? Rome paie le prix de la décision, prise en janvier dernier sous le gouvernement Conte, de bloquer la vente d’armes promise à l’émirat. Pour satisfaire l’aile gauche et pacifiste du parti M5S, le ministre Di Maio avait décidé de révoquer les autorisations d’exportation d’une vingtaine de milliers de missiles et bombes (portées) fabriqués en Italie vers les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite alors que les deux Etats étaient actifs dans le conflit yéménite, et le gouvernement ne voulait pas que nos armes y soient utilisées.

La décision a pourtant été prise alors que Riyad et Abou Dhabi avaient déjà cessé de se battre au Yémen (les Emirats Arabes Unis, notamment, depuis près de deux ans), et avait donc pour seul effet de saper la lutte contre le terrorisme menée par des meilleurs alliés des États-Unis dans le golfe Persique et de générer le mécontentement dans les plus hautes sphères du petit émirat arabe.

Un mécontentement qui a manifesté par l’ordre d’expulsion de nos troupes d’une base cruciale pour nos opérations en Irak et au Koweït. C’est le prince Mohammed Bin Zayed qui était en colère contre le gouvernement italien, s’étant personnellement senti offensé par la démarche italienne.

Aujourd’hui, à Rome, des mesures sont prises pour tenter d’apaiser les tensions. Il semble que depuis plusieurs jours le ministre de la Défense Lorenzo Guerini explique à son collègue Di Maio, et récemment aussi au Premier ministre Mario Draghi, que les relations avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ne peuvent être compromise car il ne s’agit non seulement des fournitures militaires qui sont en jeu, mais aussi de la collaboration politique dans tout le Moyen-Orient avec des partenaires essentiels pour l’Italie. Il semble qu’au cours des dernières heures le dossier brûlant ait été repris directement par le Palazzo Chigi (le siège du Gouvernement) à la demande du Palazzo Baracchini (le siège du Ministère de la Défense) qui évalue également les conseils des plus hauts chefs militaires italiens mobilisés par le chef d’état-major de la Défense, le général Enzo Vecciarelli.

La diplomatie au sens classique du terme pourrait toutefois ne pas suffire, puisque, précisément, le prince Bin Zayed se sent personnellement offensé, c’est lui qui doit être convaincu par une relation directe, de face à face, dans laquelle nos hauts responsables politiques devront faire preuve de volonté italienne de réparer une relation brusquement déchirée. Cependant, le temps presse et le 2 juillet approche à grands pas.

Une gestion extrêmement myope de notre politique étrangère. Comme le rapporte « Libero », citant une source diplomatique proche du dossier, Luigi de Di Maio s’est prêté à un jeu «avec une légèreté d’amateur». L’histoire a fait tant de bruit que non seulement le ministère de la Défense a dû prendre des mesures, outrepassant ainsi ses prérogatives, mais a déclenché la réaction du département d’État américain, comme on l’a vu, qui à travers Blinken, a exprimé ce qui était à toutes fins utiles, une sévère réprimande.

Dès lors, le ministre Guerini a bien fait de se saisir de la question et de rappeler au Premier ministre nos intérêts stratégiques et nos besoins dictés par les contingences, et même si nous n’applaudissons pas la réprimande de Blinken, qui a rappelé à notre pays sa dépendance vis-à-vis des décisions de Washington, nous pensons qu’elle est le bienvenu et qu’elle représente une saine douche de realpolitik.

Le pacifisme biaisé, exprimé par une décision tardive et insensée (celle de bloquer la vente d’armes) est un malheur comme le belliciste aveugle : les relations avec certains pays ne peuvent s’établir sur une base purement idéologique. L’Italie ne peut pas se permettre, si elle veut avoir un poids politique sur la scène internationale, de prendre certaines positions qui ouvrent littéralement des autoroutes à nos concurrents, aussi et surtout européens, et à nos adversaires géopolitiques.

Notre pays, en ce moment historique, a besoin de plus de « soft power » pour pouvoir jouer un rôle de premier plan dans la Méditerranée élargie (et en perspective même au-delà), et cette capacité s’obtient certainement avec la diffusion de sa propre culture à travers le travail des légations et consulats (aspect hélas un peu oublié), avec des collaborations industrielles, des partenariats commerciaux, mais aussi avec la vente d’armements, qui, qu’on le veuille ou non, représentent une de nos excellences.

Paolo Mauri. (Inside Over)