Déception du RN, déroute de LREM, victoire des forces « traditionnelles »… Ces élections régionales sont riches en enseignements nationaux. Et de nombreux regards sont déjà tournés vers la présidentielle, dont le premier tour se joue dans 10 mois. Décryptage avec les experts d’Europe 1.
« Emmanuel Macron avait dit : « On ne tire pas de leçons nationales de ce qu’il se passe localement ». Bien évidemment, il y aura des leçons nationales qui vont être tirées », résume Michaël Darmon, éditorialiste politique d’Europe 1, à l’issue du second tour des élections régionales. En effet, ce dernier est à peine terminé que tous les regards se tournent déjà vers les 10 prochains mois. Avec en ligne de mire l’élection présidentielle.
Quels sont les grands enseignements nationaux de ces élections régionales ? La réélection de tous les sortants en France métropolitaine, dont cinq de gauche et sept de droite (ou de centre-droit), qui laisse apparaître une victoire des forces politiques dites « traditionnelles ». La défaite du Rassemblement national de Marine Le Pen, qui n’emporte aucune région. Et la débâcle de LREM, qui non seulement ne remporte aucune région mais dépasse tout juste les 7% au niveau national. Mais peut-on déjà vraiment se projeter vers 2022 ?
L’abstention, le grand inconnu de 2022
Ces régionales débouchent sur une carte « bleue et rose, mais c’est un bleu et rose très pastel », nuance d’abord Edouard Lecerf, directeur général adjoint de l’Institut de sondages BVA, au micro d’Europe 1. « Il ne faut pas oublier que ce bleu et ce rose se fabriquent sur la base d’une participation très faible. Imaginez qu’entre la participation qu’il y a eu à ce second tour et une participation habituelle à une élection présidentielle, il y a un réservoir de plusieurs dizaines de millions de voix. Ça peut être 10, 20 millions de plus », analyse-t-il. Autrement dit, les rapports de force peuvent ne plus être les mêmes dans dix mois.
« 2022 sera une énorme surprise. Ce ne sera pas certainement le match Macron-Le Pen, mais honnêtement, personne ne peut dire aujourd’hui ce que sera 2022 avec ce niveau d’abstention. Donc, soit on se réveille tous, soit les politiques se réveillent et ils arrêtent de parler aux Français comme il y a 25 ans », enchaîne la journaliste politique Laetitia Krupa.
Le duel Macron – Le Pen « n’est plus aussi évident »
Pour l’éditorialiste Michaël Darmon, certains enseignements peuvent toutefois déjà clairement être tirés. « La politique, c’est de la dynamique. Et si on a perdu les élections municipales, si on a perdu les élections régionales, ça paraît difficile d’aborder l’élection présidentielle avec un moral de vainqueur. Ce dimanche soir, le jeu est ouvert à nouveau pour cette dernière et le match Le Pen-Macron n’est plus aussi évident qu’il ne l’a été », analyse-t-il. Cette élection prouve, selon lui, qu’Emmanuel Macron et sa majorité n’apparaissent plus comme les « seuls remparts » face à Marine Le Pen. « L’idée du duel Macron-Le Pen en 2022 est perturbée », abonde Edouard Lecerf.
La victoire de Renaud Muselier en Paca l’illustre peut-être plus que toutes les autres. « Le mécanisme du front républicain y a fonctionné. Sa victoire périmètre la dynamique de ce qui peut se passer l’an prochain à l’élection présidentielle. Car toutes les tensions que l’on a constatées dans le sud peuvent être répercutées dans les enjeux de la présidentielle », décrypte Michaël Darmon.
Trois potentiels candidats à droite
Ces régionales vont-elles donner de l’élan à certains ? À droite, trois potentiels candidats se sont imposés dimanche soir : Valérie Pécresse (Île-de-France), Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Laurent Wauquiez (Auvergne-Rhône-Alpes). « Ce soir, une équipe de France de la droite et du centre a émergé dans les régions. J’y prendrai toute ma part », a déclaré la première. Xavier Bertrand s’est dit de son côté prêt à aller à « la rencontre de tous les Français ». « La victoire de ce soir c’est la victoire d’un cap clair. Celui du respect de la parole donnée », a pour sa part estimé Laurent Wauquiez dans une brève allocution, évoquant « l’espérance » provoquée par cette élection.
« Les tonalités sont différentes », remarque toutefois Michaël Darmon. « Valérie Pécresse dit : « Je continuerai à exercer la présidence de la région ». Du côté de chez Wauquiez, on a entendu la « nouvelle espérance ». Xavier Bertrand, quant à lui, a passé le cap supplémentaire. Donc cela préfigure les discussions à venir et très certainement les tensions auxquelles il faut s’attendre », analyse l’éditorialiste.
Carole Delga, la révélation à gauche ?
Avec un score de près de 58%, elle est la mieux élue de ce second tour. La présidente sortante de l’Occitanie Carole Delga est arrivée dimanche largement en tête devant le candidat RN Jean-Paul Garraud et la tête de liste LR Aurélien Pradié. Et selon Bruno Jeudy, éditorialiste d’Europe 1 et rédacteur en chef à Paris Match, elle est « la seule personnalité de gauche » à émerger réellement de cette soirée électorale. « Elle réalise un score incroyable, que personne ne pouvait imaginer. C’est une personne qui va sans doute compter. C’est un score à faire pâlir les sortants de droite », constate Bruno Jeudy.
Avant de poursuivre : « Et elle a choisi une stratégie intéressante, inverse de celle réalisée en Île-de-France, qui est de ne pas s’allier avec les écologistes ou La France insoumise. On voit bien qu’un choix clair présenté aux électeurs, ça fonctionne ».
Prime au sortant… prime à Macron ?
On l’a vu, ces élections régionales ont récompensé les présidents sortants. La logique vaudra-t-elle pour Emmanuel Macron en 2022 ? « Peut-être que c’est une option. C’est-à-dire que pour chaque élection, chaque candidat, les Français regardent et font le bilan », observe Michaël Darmon. Et d’enchaîner : « Certains diront qu’il a sauvé l’économie, qu’il s’est démené pour nous. […] À côté de cela, pour contredire aussi ce propos, il y a la dynamique politique. Il y a un quinquennat traversé par les crises, les gilets jaunes, les retraites, la pandémie… Les Français sont peut-être fatigués et peut-être voudront-ils, au fond, appliquer ce principe des crises qui préparent l’alternance. Les énigmes sont ouvertes ».
Et elles le sont d’autant plus que les dix prochains mois seront longs. « La prochaine étape, c’est les vacances. On sort d’un an et demi de crise sanitaire, on ne sait même pas comment va se passer la rentrée avec cette menace du variant Delta », rappelle la journaliste Laetitia Krupa. « Est-ce que on va à nouveau tout fermer comme en Israël ? On regarde ce qui se passe autour de nous et tout le monde n’a que ça en tête. Comment va se passer l’été ? Va-t-on pouvoir partir en vacances, comment va être la rentrée ? Est-ce qu’à nouveau on va, peut-être pas complètement reconfiné, mais avoir des mesures barrières très restrictives ? Comment vont être nos libertés ? », interroge-t-elle. Et de conclure : « La vie a tellement été bousculée que c’est à ces questions qu’il faut répondre ». (Europe1)