Que se cache-t-il derrière la gifle diplomatique des Emirats contre l’Italie ?

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(Rome, 08 juin 2021). Un «non» catégorique, celui des autorités émiraties, au passage dans son espace aérien d’un C130 de l’armée de l’air italienne qui, avec à son bord 42 journalistes italiens et de nombreux militaires, se dirigeait vers Herat, en Afghanistan, pour la cérémonie de descente du drapeau tricolore dans la base du Camp Arena.

Le refus a contraint le C130 à se poser à l’aéroport saoudien de Dammam pour une longue escale alors que la négociation entre le commandant de l’avion italien, le major Valentina Papa, et les autorités émiraties se poursuivait. Le vol a décollé à minuit de (la base) Pratica di Mare et devait initialement arriver à Herat à 9h30 heure locale (7h00 heure italienne). Les autorités locales ont été inflexibles, se réservant le droit jusqu’au dernier moment de donner le feu vert, ce qu’elles n’ont de toute façon pas accordé. A bord, en contact avec les autorités de défense italiennes concernées, l’hypothèse de faire un demi-tour a été envisagée, annulant la présence de la presse à la cérémonie à Herat, entre-temps reportée de quelques heures. Par la suite, la décision de poursuivre le vol a été prise, avec une nouvelle route vers l’Afghanistan, forcément plus longue, pour contourner le territoire des Émirats, en suivant un chemin qui n’incluait pas le survol de bases militaires.

Une grave insulte diplomatique qui laisse la Farnesina (le Ministère Italien des AE, ndlr) stupéfaite. Sur instruction du ministre Luigi Di Maio, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, l’ambassadeur Ettore Sequi, a convoqué l’ambassadeur des Émirats arabes unis Omar Al Shamsi. A propos de l’affaire, le ministre de la Défense Lorenzo Guerini a déclaré : « La question ne dépendait pas de nous, des initiatives de natures diplomatiques ont été prises, l’ambassadeur émirati a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour lui demander des explications et exprimer toute la déception et la stupéfaction d’avoir refusé le survol par rapport à des décisions déjà communiquées, prises et garanties ».

Le plus surprenant, c’est que, comme il est usage dans ce genre de cas, le plan de vol avait été préalablement approuvé, mais ce n’est qu’à la dernière minute qu’Abou Dhabi n’a pas donné le feu vert au survole de son espace aérien, obligeant le commandant de bord à trouver un autre aéroport pour se poser, se ravitailler et modifier son plan de vol en conséquence. Au-delà d’un malentendu ou de problèmes techniques, qui feront la lumière dans les prochaines heures, la réflexion porte sur une évaluation globale des relations bilatérales entre notre pays et les Emirats : les relations sont compliquées mais non suspendues, bien que l’arrêt des fournitures militaires soit décidé par l’Italie pourrait jouer un certain rôle dans l’impolitesse diplomatique d’aujourd’hui. Ces derniers mois, une décision avait été formalisée par un acte de l’Unité d’autorisation du matériel d’armement qui fait partie de la Farnesina. Les armes exportées par l’Italie ont été principalement utilisées dans le conflit au Yémen, pays où l’Arabie saoudite et les Émirats sont militairement impliqués dans le cadre de la coalition arabe qui soutient le gouvernement Hadi, reconnu par la communauté internationale, et combat les rebelles houthis. La mesure concerne au moins six autorisations différentes déjà suspendues en juillet 2019, dont la licence Mae 45.560 portant sur près de 20 mille bombes aériennes de la série Mk. Une sorte d’embargo lié au fait que les cibles civiles n’étaient pas distinguées au Yémen de celles des rebelles houthis.

L’occasion d’un test des relations avec Abou Dahabi s’est présentée il y a un mois, lorsqu’une délégation du ministère de la Défense s’y est rendue. Lors des réunions avec les homologues locaux, il a été décidé de lancer de nouvelles activités de coopération par la signature d’un protocole. Un signe de refroidissement est apparu dans les relations bilatérales, qui risquait d’avoir un impact négatif sur les échanges économiques et commerciaux avec le risque d’annuler de nombreuses commandes (Eni, Leonardo, les grandes entreprises italiennes impliquées dans des projets d’infrastructures émiraties). Un geste qui reste, s’il en était, une riposte différée, si l’on considère que les Emirats sont le seul pays du Golfe à accueillir un contingent de soldats italiens et que la première église catholique du pays est en construction, un précédent innovant pour l’ensemble du monde islamique.

L’hypothèse, redoutée dans les premières heures après l’incident, d’un refus pour des raisons de genre est moins probable : le fait que l’avion ait été piloté par une femme ne semble pas, pour le moment, être la cause directe ou indirecte de l’incident.

Francesca Salvatore. (Inside Over)