(Rome, 25 mai 2021). L’histoire du village syrien de Latamné n’a rien de différent de celle de nombreuses villes et villages de Syrie : l’armée de l’air syrienne, en 2017, l’a attaqué avec des agents chimiques.
Trois attaques ont été lancées à Latamné, des faits qui ne diffèrent en rien des autres attaques. À Alep, par exemple, de nombreuses attaques avec des produits chimiques toxiques et des brûlures à base de chlore ont été signalées cinq ans après le début de la guerre, en décembre 2016 que, notamment dans les jours du siège. Au total, les épisodes d’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien depuis 2011 s’élèvent à 336 selon «Global Public Policy Institute», mais une cinquantaine d’autres attaques aux armes prohibées sont répertoriées – comme l’affirme depuis 2018 le Département d’État américain – tandis que les preuves de la culpabilité du régime n’avaient pas été établies.
Un régime contre le peuple
C’est ce qui rend le cas de Latamné différent, différent de celui d’Alep et de bien d’autres villes, c’est précisément à Latamné que les inspecteurs de l’ONU ont pu retrouver des éléments qui accablent le régime syrien. A la suite de quoi, depuis le 21 avril de cette année, pour la première fois en 24 ans d’histoire de l’OIAC (l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques), un pays membre, à savoir la Syrie, a perdu le droit de vote au sein de l’Organisation.
La décision a été adoptée, sur proposition de la France, à la majorité nécessaire des deux tiers des Etats membres, malgré l’opposition de la Russie, de la Chine et de l’Iran.
Latamné a sans doute ouvert une brèche dans l’histoire du conflit syrien. En effet, le 7 mai, un rapport a été soumis au Conseil de sécurité des Nations Unies par Niruzi Nagamitsu, Haute Représentante des Nations Unies pour les affaires de désarmement. Ce rapport fait état de preuves d’une attaque chimique qui a eu lieu dans la localité de Saraqib et dénonce l’existence de grandes quantités de gaz mortels trouvées à l’usine de Barzah. En l’absence de clarification satisfaisante de la part des autorités de Damas, Mme Niruzi Nagamitsu a qualifié la situation d’intolérable.
Notons qu’après une violation des accords sur l’utilisation des armes chimiques qui ont eu lieu en 2013 (après le massacre d’Al Ghouta) la Syrie s’était engagée à désactiver et détruire son arsenal toxiques [NDLR: depuis, bien qu’il soit accusé d’avoir utilisé les armes chimiques à plusieurs reprises, le régime avait eu recours massivement aux barils explosifs, bourrés de nitrate d’ammonium dont il se fournissait par des sociétés écrans via le port de Beyrouth, avec la complicité du Hezbollah, comme en attestent les investigations autour de l’explosion du port de Beyrouth du 4 aout dernier].
Mme Niruzi Nagamitsu a également déclaré que l’agent chimique trouvé à Barzah ne faisait pas partie des agents dont le régime avait reconnu la possession en 2013. Il pourrait donc s’agir d’un nouvel agent spécifiquement produit ne figurant pas dans l’inventaire (stock) et non déclaré.
En ce qui concerne la situation de la production d’armes interdites à l’usine de Barzah, un rapport est toujours attendu dans les prochains jours, qui permettrait à l’ONU de prendre les mesures appropriées, au moment où l’administration Biden a prolongé le 7 mai, pour une année supplémentaire, les sanctions contre les personnalités et institutions syriennes déjà visées par l’administration Trump: un acte qui confirme, de manière très significative, la convergence des appréciations sur le régime de Bachar Al-Assad.
La communauté internationale
Outre les États-Unis, quatre ONG suédoises ont déposé une demande d’inculpation du régime syrien, accusant les autorités de Damas (dont Bashar al-Assad) d’avoir utilisé des armes chimiques dans la province d’Idlib, à Khan Sheikoun en 2017. Il s’agit d’ONG telles que « le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression », « Civil Rights Defenders, Syrian Archive » et « Open Society Justice Initiative » : leurs demandes sont basées sur des plaintes de parents de victimes d’attaques chimiques et s’appuient sur la législation suédoise qui permet le jugement de crimes indépendamment du lieu où ils ont été commis. Des enquêtes sont en cours, cependant, il est d’ores et déjà clair que les développements à l’ONU renforcent la position des quatre ONG.
Par conséquent, une image d’une gravité sans précédent se dessine avec une précision toujours plus grande, notamment à la lumière de ce qui est apparu à Coblence, en Allemagne, où une première condamnation de membres du régime pour crimes contre l’humanité a déjà été prononcée. Une initiative judiciaire similaire a été entreprise en France, toujours à l’initiative de proches de victimes syriennes.
Les actions dans les différents états sont-elles suffisantes ? Pour orienter la discussion sur l’avenir, il faut remonter à août 2013, au massacre chimique d’Al-Ghouta, dans lequel la quasi-totalité des acteurs indépendants reconnaissent la responsabilité du régime syrien. Ce massacre avait coûté la vie à 1.429 civils, dont 426 enfants.
Après cet événement tragique, le président américain de l’époque, Barack Obama, qui avait « fixé des lignes rouges », avait proposé une action militaire contre le régime qui avait franchi l’irréparable. Le Premier ministre britannique David Cameron l’avait rejoint, mais le 28 août, le Parlement britannique a rejeté la proposition (285 voix contre et 272 avec). Barack Obama, en vertu de la loi américaine, n’avait pas besoin de l’autorisation de son Congrès pour agir. Cependant [NDLR: en négociant secrètement avec l’Iran, Obama avait trouvé une porte de sortie pour se dérober en demandant le consentement du Congrès].
Lors de l’Angélus du 1er septembre 2013, le Pape François avait déclaré: «Je lance un appel fort pour la paix, un appel qui vient de moi-même ! Combien de souffrances, combien de dévastations, combien de douleurs l’usage des armes a apporté et apporte encore dans ce pays tourmenté (la Syrie), en particulier parmi la population civile et sans défense ! Réfléchissons : combien d’enfants ne pourront pas voir la lumière de l’avenir ! Avec une fermeté particulière, je condamne l’utilisation des armes chimiques ! (…) ».
Le 5 septembre suivant, le Pape François avait également écrit au président russe Poutine en sa qualité de président en exercice du G8 réuni ces jours-là, dans le but d’éviter les interventions militaires et mettre fin aux massacres.
Nombreux ont noté qu’à cette époque, l’Etat Islamique (EI, ou Daech) était encore une organisation embryonnaire, pas encore établie en Syrie. Il est important de rappeler qu’à la fin de 2011, précisément le 9 octobre, lorsque l’idée d’actions militaires pour créer des zones d’exclusion aérienne dans le nord et le sud de la Syrie était à l’étude, le Grand Mufti syrien, Ahmad Hassoun (très proche du président Assad) avait mis en garde les Européens et les Américains en disant : « nos kamikazes déjà installés chez vous passeront à l’action dès la première bombe qui s’abattrait sur le territoire syrien… ». Les menaces à peine voilées du Mufti se sont effacées devant la propagande du régime qui se présentait comme le défenseur des minorités «faisant face» au terrorisme [NDLR: plusieurs religieux proches du régime à l’instar de sœur Agnès-Mariam de la Croix ainsi que des ONG comme SOS-Chrétiens d’Orient avaient activement relayé cette propagande, en Europe en général, et en France en particulier].
Pourtant, en Occident, de nombreux médias avaient dénoncé la militarisation et l’islamisation de la révolte du peuple par un régime aux abois pour se présenter comme le dernier recours contre le terrorisme. Dès la fin de l’année 2011, Assad avait fait libérer de nombreux extrémistes islamistes, dont le plus célèbre Moustapha Setmariam Nassar, l’un des plus grands théologiens d’Al-Qaïda, arrêté en Espagne et extradé vers la Syrie. Il a été libéré en décembre 2011. En œuvrant à la radicalisation et à l’islamisation de la révolte à travers le Front Al-Nosra, Daech et Jaïch al-Islam, tous dirigés par d’anciens prisonniers «embrigadés avant leur libération», le régime s’est justifié l’usage de tous types d’armements pour briser la véritable révolte démocratique et pacifique.
Maintenant, place aux interrogations : les paroles vite oubliées du mufti Hassoun n’étaient-elles que des menaces creuses ou peut-être ne confirment-elles pas le soupçon que ceux qui ont facilité l’émergence du démon EI comptaient effectivement sur ses actions violentes pour légitimer le régime syrien et son terrorisme d’Etat aux yeux du monde comme le «moindre mal» ? [NDLR: Beaucoup d’observateurs n’excluent pas que les attaques commises en France, revendiquées par Daech, aient été commanditées par le régime pour faire plier Paris]. Comment se fait-il que dans toute l’histoire de la pénétration de l’Etat islamique en Syrie, il n’y a pas eu un seul échange de tirs entre l’armée de Bachar al Assad et les miliciens d’al-Baghdadi ?
Les élections
La relecture de cette histoire récente est d’une importance fondamentale pour interpréter l’actualité présente. Malgré les preuves irréfutables, le régime syrien continue de mentir sur le désarmement chimique et sur l’utilisation d’armes prohibées, et les Russes, les Chinois et les Iraniens proposent à l’Occident et aux pays arabes de rétablir leurs relations diplomatiques avec Bahar al-Assad pour le réhabiliter et crédibiliser sa réélection acquise le 26 mai pour un 4ème septennat à la tête du peuple qu’il a torturé.
Ceci au moment où d’autres hommes d’État – à commencer par les 18 ministres européens qui ont signé une lettre parue dans «Avvenire» le 31 mars dernier – proposent que la Cour pénale internationale soit autorisée à poursuivre les crimes contre l’humanité perpétrés en Syrie. Dans un tel éventuel processus, qui pourrait conduire à la condamnation de Bachar al-Assad, le travail des inspecteurs internationaux pèserait lourd. Mais avec l’appui de Moscou, de Pékin et de Téhéran, Damas conteste leur travail et pourrait leur interdire l’accès à ses sites sensibles.
(Synthèse MenaNews)
(L’article en version originale – Riccardo Cristiano – Settimana News)