Ceuta et Melilla: les enclaves qui inquiètent Madrid et l’Europe

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People walk past barbed wire in a forest in the Moroccan northern town of Fnideq on their way to the area at the border of Morocco and Spain, at the Spanish enclave of Ceuta, Tuesday, May 18, 2021. Ceuta, a Spanish city of 85,000 in Northern Africa, faces a humanitarian crisis after thousands of Moroccans took advantage of relaxed border control in their country to swim or paddle in inflatable boats into European soil. By Tuesday afternoon, nearly 8,000 people had crossed the border into the city since early Monday, the Spanish government said, including some 2,000 thought to be teenagers. (AP Photo/Mosa'ab Elshamy) People walk past barbed wire in a forest in the Moroccan northern town of Fnideq on their way to the area at the border of Morocco and Spain, at the Spanish enclave of Ceuta, on Tuesday, May 18, 2021. Ceuta, a Spanish city of 85,000 in Northern Africa, faces a humanitarian crisis after thousands of Moroccans took advantage of relaxed border control in their country to swim or paddle in inflatable boats into European soil. Around 6,000 people had crossed by Tuesday morning since the first arrivals began in the early hours of Monday, including 1,500 who are presumed to be teenagers. (AP Photo/Mosa'ab Elshamy)

(Rome, 24 mai 2021). La situation est maintenant décrite comme calme. Depuis des jours, très peu de migrants ont tenté de franchir les barrières, dans la ville il n’y a pas de moments de tension particulière. Ceuta est donc revenue à la normale. Mais ce qui s’est passé la semaine dernière a de nouveau mis en lumière cette tranche d’Afrique appartenant politiquement à l’Espagne et à l’Europe. L’enclave, avec sa «jumelle» Melilla, est depuis longtemps une épine dans le pied de Madrid et du Vieux Continent. Ici, les frontières entre deux mondes, pas toujours en symbiose entre eux, sont terrestres, donc constituées de clôtures et de points de contrôle. Ce sont des signes tangibles d’une confrontation rapprochée non dénuée de tension.

La valeur de Ceuta et Melilla

Les caméras sont braquées sur Ceuta pendant au moins 48 heures. Bien que située au-delà du détroit de Gibraltar et en plein territoire marocain, la ville fait partie intégrante du Royaume d’Espagne depuis 1668. Entre dimanche et mardi dernier, plus de huit mille migrants ont réussi à franchir les barrières et à accéder à l’intérieur de la ville. D’où une tension qui a tenu en haleine le pays tout entier, à tel point qu’elle a attiré l’attention du Premier ministre Pedro Sanchez lui-même, qui a envoyé l’armée le long des frontières. L’autre enclave est située un peu plus à l’est. C’est Melilla. En commun avec sa «sœur» tombée sous les projecteurs, elle a deux points communs : être territoire espagnol (et donc européen) en terre marocaine et surplombant la mer d’Alboran, là où les eaux de la Méditerranée convergent vers le détroit de Gibraltar et commençant à se confondre avec l’océan. Une zone stratégique, donc, capable d’intéresser toutes les parties concernées.

D’un côté, il y a Madrid qui n’entend pas considérer Ceuta et Melilla comme des territoires secondaires ou en tout cas de souveraineté espagnole limitée : « C’est l’Espagne à tous égards », a déclaré le Premier ministre Sanchez lui-même pendant les heures les plus turbulentes de la crise. De l’autre, il y a Rabat, qui n’a jamais renoncé à s’approprier ces villes. Déjà dans les années 80, les premières tentatives diplomatiques d’ouvrir une table avec l’Espagne ont eu lieu, main en vain. Madrid a approuvé en 1995 une réforme qui attribue à Ceuta et Melilla le rang de «villes autonomes», des autorités locales dont les pouvoirs sont à mi-chemin entre ceux d’une municipalité normale et d’une communauté autonome. Le Maroc a ensuite gardé un profil bas au cours des années suivantes, mais ce pays africain n’a jamais abandonné l’idée d’annexer les deux enclaves.

Il ne s’agit pas d’une question de fierté, comme cela pourrait sembler à première vue, étant donné que pour les Espagnols les villes constituent le dernier bastion de l’empire et pour les Marocains le dernier acte de l’ère coloniale. Les intérêts en jeu sont nombreux, à commencer par les intérêts commerciaux. Les deux ports d’escales de Ceuta et Melilla sont des ports francs, à partir desquels il est possible de rejoindre l’Andalousie et l’Europe continentale en quelques heures de navigation. Une aubaine pour ceux qui les contrôlent, tant sur le plan économique que politique. Il y a aussi un intérêt stratégique : pour le Maroc et l’Espagne, il est très important d’avoir le contrôle sur ces zones de la Méditerranée. La question de la migration n’est donc que la partie émergée d’un iceberg de problèmes qui n’ont jamais été résolus.

Le problème de l’immigration dans les deux enclaves espagnoles

Sans aucun doute, c’est précisément l’afflux constant de migrants qui inquiète le plus Madrid. Tout a commencé au début des années 90, lorsque les premiers groupes d’immigrants ont réussi à pénétrer sur le territoire espagnol de manière plus ou moins tranquille. Ensuite, l’histoire est devenue beaucoup plus complexe, principalement en termes de chiffres. De plus en plus de franchissements irréguliers ont été recensés chaque année. D’où les premières barrières et les premiers barbelés. Quelle que soit la couleur du gouvernement au pouvoir, l’Espagne n’a pas ménagé ses efforts pour défendre les deux enclaves contre les vagues migratoires. La raison est évidente : pour Madrid, assister à des scènes comme celles de la semaine dernière est avant tout un problème politique. Cela signifie être vulnérable aux fluctuations des relations avec le Maroc. Et chaque fois que la question de la migration prend le dessus à Ceuta et Melilla, l’ensemble de l’opinion publique espagnole se distancie de l’exécutif au pouvoir.

Si le défi que représentent les deux enclaves est compliqué pour l’Espagne, la situation est peut-être encore pire pour l’Europe. Tout comme ces derniers jours, Bruxelles a montré qu’elle était incapable de protéger ses frontières. Ceuta n’est pas différente à cet égard de Lesbos et Lampedusa, territoires exposés depuis des années au chantage migratoire des pays tiers. Madrid a dû faire cavalier seul en envoyant son armée et en concluant une «trêve» avec le Maroc. Pour sa part, l’Europe est devenue encore plus « diminuée » et impopulaire. Ainsi, c’est précisément de ces deux bandes de terre surplombant la Méditerranée que pourraient naître, même dans les années à venir, de nouveaux défis révélateurs du destin de l’Union européenne. Des épines dans le flanc sur lesquelles, du moins pour le moment, personne n’a la volonté de mettre la main.

Mauro Indelicato. (Inside Over)