(Rome, 23 mai 2021). Cette fois, il n’y a aucun doute sur la mort d’Aboubakar Shekau. Cette information a été confirmée et retransmise par les services de renseignement nigérians aux médias locaux. Le «Daily Trust», l’un des journaux les plus importants du pays africain, a décrit ce qui s’est passé il y a quelques jours dans la forêt de Sambisa, dans l’État de Borno (nord). Ici, le chef de Boko Haram, le groupe islamiste connu pour l’enlèvement de plus de 300 filles dans un collège de Chibok, aurait été identifié et encerclé par ses rivaux d’Iswap, à savoir l’État islamique d’Afrique de l’Ouest. La fin de Shekau ouvre désormais de nouveaux scénarios, dont certains sont inédits, dans la galaxie djihadiste africaine.
Ce n’est pas la fin de Boko Haram
La bataille finale au cours de laquelle Aboubakar Shekau a été tué a eu lieu dans un endroit symbolique de sa campagne de terreur au Nigéria. La forêt de Sambisa par nature a représenté pendant des années le refuge idéal pour cacher les bases des miliciens. A quelques kilomètres de là se trouve la ville de Maiduguri, où Boko Haram est né en 2002 où il continue d’exercer une forte influence et de recruter des miliciens. Pendant des années, l’armée nigériane a dû mener une lutte acharnée contre les militants djihadistes dirigés par Shekau, qui contrôlaient certains districts jusqu’en 2015. Cela a conduit à un désastre pour l’économie et la société de Maiduguri, et a représenté une véritable terreur pour la communauté chrétienne locale, dont une grande partie a été contrainte de fuir. Bien que le contrôle de Maiduguri et des principales villes de Borno, un État du nord à majorité islamique bordant le Cameroun, ait été repris, Boko Haram a poursuivi son action terroriste qu’il a toujours mené sous les couleurs d’Aboubakar Shekau. Il est à la tête de la formation depuis 2009, date à laquelle le fondateur Ustaz Mohammed Youssof a été arrêté dans le cadre des premiers raids antiterroristes des forces de sécurité nigérianes menées à Borno. Ces mêmes interventions ont précisément déclenché une première spirale de violence. Shekau voulait se venger en attaquant des casernes, des bureaux, ainsi que des églises et des écoles chrétiennes. Puis en 2014, la montée en puissance de l’Etat islamique au niveau international a eu lieu et le chef de Boko Haram s’est mis à opérer sous la bannière du califat. Cela a conduit au moment de la plus grande offensive du groupe terroriste dans le nord du Nigéria, ainsi qu’au Tchad, au Niger et au Cameroun voisins. Ces dernières années, Aboubakar Shekau a été donné pour mort à plusieurs reprises. En réalité, depuis les forêts denses à deux pas de Maiduguri, il a continué à piloter Boko Haram.
Derrière lui, une foule de loyalistes et de partisans qui, malgré les opérations de l’armée, ont contribué à maintenir en vie la structure terroriste. La multiplication des attaques terroristes dans le nord du Nigeria ces derniers mois en est la preuve. Ils prendront désormais les opérations en main. Rien ne changera pour cette partie troublée du pays africain. En effet, le spectre de 2009 refait surface, suite à la capture du fondateur de Boko Haram ayant déclenché les premières offensives violentes des terroristes.
Affrontement au sein des factions djihadistes
Il y a un détail sur la mort d’Aboubakar Shekau qu’il ne faut pas négliger. Selon les rapports des services de renseignement, le terroriste a décidé de se faire exploser lorsqu’il a réalisé qu’il était encerclé par des miliciens de l’ISWAP. Ce dernier est le groupe islamiste à la croissance la plus rapide au Nigéria ainsi que dans toute la zone occidentale du continent africain. Fondée en 2016 par des terroristes qui s’étaient échappés de Boko Haram, et qui ont initié une confrontation intense avec les partisans de Shekau. Dans la forêt de Sambisa un véritable règlement de compte entre les membres de la galaxie djihadiste s’est déroulé. Le fait que les derniers affrontements aient directement impliqué le chef de Boko Haram et aient finalement conduit à sa mort, pourrait marquer une longue phase de vendettas et de querelles croisées.
En outre, Boko Haram et Iswap ne se disputent pas uniquement la «primauté» parmi les djihadistes nigérians. Au contraire, sont en jeu des intérêts qui vont bien au-delà de «l’honneur» de représenter l’islamisme africain, comme le contrôle de la région stratégique septentrionale de Borno et, avec elle, de tout le trafic illicite qui passe par les États limitrophes. La guerre entre les deux groupes terroristes pourrait faire plus de victimes que celle entre les djihadistes et l’armée. Un scénario qui n’est pas totalement nouveau pour l’islam radical, mais pas si fréquent non plus. Certains précédents viennent de Syrie, où en 2013 le Front d’Al-Nosra (branche d’Al-Qaïda) s’est heurtée à l’EI, ainsi que de Somalie où Al-Shaabab ne salue pas l’émergence de cellules du califat dans la corne de l’Afrique. Dans ces cas, cependant, il s’agissait d’épisodes survenus dans des États en guerre ou dans tous les cas, là où le contrôle gouvernemental du territoire était limité. Au Nigéria, en revanche, après la mort de Shekau, on a pu assister à l’émergence d’un affrontement fratricide au milieu d’une campagne militaire inachevée contre les djihadistes. C’est peut-être le seul élément capable de donner, à ce jour, un certain avantage aux forces gouvernementales.
Mauro Indelicato. (Inside Over)