Zarif à Rome. Le rôle de l’Italie au Moyen-Orient passe par le JCPOA

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(Rome, 16 mai 2021). Le chef de la diplomatie iranienne, figure de proue des pragmatiques-réformistes iraniens, passe par Rome pour une tournée européenne. Une rencontre avec le ministre Di Maio à un moment où l’Italie peut aspirer à un rôle après la recomposition de l’accord JCPOA, explique Perteghella (ISPI/ Institut pour les études en politique internationale, ndlr)

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, est arrivé à Rome où il passera quelques jours au cours desquels il aura des entretiens avec le gouvernement italien (le lundi 17 mai son homologue Luigi Di Maio) ainsi qu’au Vatican. L’étape italienne fait partie d’un voyage vers le sud de l’Europe qui intervient à un moment particulièrement important pour Téhéran. Sur le plan national, nous sommes à quelques semaines du scrutin présidentiel ; sur le plan international, les discussions pour la recomposition de l’accord nucléaire du JCPOA ont peut-être atteint un tournant. Il est possible qu’un accord voit bientôt le jour pour le retour américain (après que l’administration Trump ait décidé d’un retrait unilatéral en 2018 et qu’Obama l’ait construit en 2015).

Selon Annalisa Perteghella, (chercheuse à l’institut italien ISPI, Iran Desk), l’Italie peut et doit chercher à jouer un rôle après le retour des États-Unis au JCPOA, « et ainsi transformer le format de l’E3 en E4 ». «E3» est le terme diplomatique utilisé pour définir l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, qui font partie des cinq pays du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne, qui composent les «5 + 1», c’est-à-dire les membres de la table de discussion qui ont clôturé il y a six ans, l’accord nucléaire avec la présidence Rohani (dont Zarif a toujours été le vif représentant diplomatique). « L’Italie doit avoir un objectif de rejoindre le club des trois Européens, comme c’est déjà le cas avec le Yémen, aussi parce qu’elle est très bien positionnée puisqu’elle est bien vue en Iran, encore mieux que l’E3 », ajoute Perteghella.

Pour l’analyste de l’ISPI, l’élargissement du mécanisme par lequel les Européens se rapportant à l’Iran serait positif, surtout dans la perspective de la construction d’une architecture de sécurité régionale. Cet aspect concerne la soi-disant «Méditerranée élargie», un bassin de projection géopolitique de l’Italie, dans lequel le gouvernement Draghi peut jouer un rôle important, «car il entretient de bonnes relations avec tous les acteurs régionaux et n’est pas perçu, contrairement par exemple à la France et au Royaume-Uni, comme aligné sur un camp particulier ». «Plus précisément, dans la perception iranienne, Rome n’a pas le même stigmate d’inefficacité que le groupe E3 a pour le moment, perçu comme incapable ces dernières années de répondre à l’unilatéralisme de Trump. De plus, contrairement à la France, à l’Allemagne et au Royaume-Uni, elle n’a pas formulé de déclarations sévères condamnant les actions menées par Téhéran en réponse au retrait américain du JCPOA et est donc perçue comme impartiale», a expliqué Perteghella dans un rapport rédigé à la fin avril pour le Parlement et le ministère des Affaires étrangères.

« En particulier – propose Perteghella – l’Italie, avec d’autres pays européens, pourrait piloter les efforts de construction de mesures de confiance entre les pays de la région afin de d’apaiser les tensions et d’accroître la confiance mutuelle. L’objectif de ces mesures est d’instaurer progressivement un climat de confiance entre les parties: pour ce faire, le dialogue et la coopération sur les questions de sécurité dites «douces» sont sollicités dans un premier temps, avant de passer progressivement, à un stade ultérieur, aux questions de sécurité «dures», qui sont plus conflictuelles par nature.

Zarif, arrivé en Europe après avoir rencontré le Raïs syrien Bashar el Assad à Damas, s’est d’abord rendu en Espagne avec l’objectif déclaré, expliquent les sources iraniennes, « d’une expansion générale des relations bilatérales et de la coopération dans des domaines d’intérêt mutuel ». Il devait également se rendre à Vienne, siège des négociations sur le JCPOA, sauf qu’il a été le protagoniste d’un incident diplomatique : il a décidé d’annuler la visite pour protester contre la décision du chancelier Sebastian Kurz de hisser le drapeau israélien sur la Chancellerie. L’Autrichien a qualifié ce choix «d’acte de solidarité» avec Israël «attaqué par des terroristes» ; Zarif dirige la diplomatie d’un pays qui soutient la question palestinienne et ne reconnaît pas l’État hébreu (et d’un pays qui, par le biais des initiatives semi-indépendantes des Pasdaran, fournit des armes aux groupes armés palestiniens).

Le ministre est le chef du groupe politique qui s’inspire des principes pragmatiques-réformistes, également appelés «modérés», un groupe qui gouverne le pays depuis août 2013 sous les deux mandats du président Hassan Rouhani. Une administration qui a toujours été attaquée par les conservateurs notamment les Pasdaran, qui ont mené (et continuent de le faire) des initiatives agressives en matière de politique étrangère pour entraver le travail du gouvernement. Récemment, il était la vedette d’une fuite audio dans laquelle il se plaignait que tout au long de son mandat, il avait les mains liées parce que la politique étrangère iranienne est menée par des personnalités appartenant au Pasdaran comme le général Qassem Soleimani, chef du corps théocratique éliminé lors d’un raid aérien américain en janvier 2020. Après des rumeurs selon lesquelles il était candidat, Zarif a confirmé mercredi qu’il ne se présenterait pas aux élections du 18 juin.

Emanuele Rossi. (Formiche)